Dès le début d’après-midi, il semblait clair que la préfecture de police était décidée à faire respecter l’interdiction à la lettre : un dispositif hallucinant, mobilisant plus de 4000 policiers, bouclait tout le secteur s’étendant d’Anvers à Stalingrad – contrôles, fouilles, blocage de la circulation, fourgons à perte de vue.

Ayant reçu la consigne de disperser le moindre regroupement, en l’occurrence embryonnaire et pacifique, les forces de l’ordre ont fait usage de leur canon à eau avant même le début officiel du rassemblement fixé à 15 heures. Les premiers manifestants rejoignant Barbès ont ainsi été dispersés brutalement, ce qui a conduit à la constitution de plusieurs cortèges sauvages notamment dans le quartier de la Goutte-d’Or et à travers tout le 18ème arrondissement. À peine agrégés, les cortèges subissaient des charges et gazages, puis se ré-agréagaient quelques rues plus loin, aux sons de « Palestine vivra, Palestine vaincra ! », « Israël assassin, Macron complice ! », « Nous sommes tous des Palestiniens » ou encore « Libérez Gaza ». Une banderole (l’une des seules ayant réussi à se déployer au milieu du chaos provoqué par la police) disait : « De la mer au Jourdain, de Jérusalem à Gaza, Defend Palestine ».

Finalement, alors qu’une partie des manifestants a réussi à rejoindre la place de la République, une autre était nassée durant trois heures boulevard Magenta, la police décidant, alors que s’approchait l’horaire du couvre-feu, de faire sortir une par une les quelques centaines de personnes bloquées en leur distribuant à chacune des amendes pour participation à une manifestation interdite (procédé punitif déjà observé lors du mouvement des Gilets Jaunes). Ce dimanche matin, on dénombre plusieurs dizaines d’interpellations, dont 15 gardes-à-vue, et plus de 400 amendes.

S’il est difficile d’estimer la mobilisation en termes de chiffres, vu son éclatement et sa dispersion, force est de constater que plusieurs milliers de personnes ont bravé l’interdiction pour exprimer leur solidarité avec le peuple palestinien en révolte. On notait d’ailleurs une composition très jeune et majoritairement non-blanche, rappelant (à échelle réduite) ce qui avait pu être observé en 2014 lors des manifestations pour Gaza, ou plus récemment lors des mobilisations antiracistes de masse à l’appel du Comité Adama. Un cortège de Gilets jaunes était également présent derrière la banderole : « Un peuple uni ne sera jamais vaincu, les Gilets Jaunes crient Free Palestine ! »

Mais il faut aussi reconnaître que depuis 2014 le maintien de l’ordre a considérablement évolué et que la journée d’hier est le symptôme de cette évolution, accompagnant une mutation autoritaire plus générale des structures de l’État. Les marges de manoeuvre sont désormais quasi nulles, le dispositif pléthorique, l’utilisation des BRAV constante, signant une volonté d’écrasement répressif qui s’inscrit dans la continuité de la séquence ouverte par l’instauration de l’état d’urgence en 2015. L’État français fait également la preuve, une nouvelle fois, de son actualité coloniale, en cherchant à réduire au silence une mobilisation majoritairement portée par la jeunesse populaire dont les slogans affirment une solidarité internationale avec la jeunesse palestinienne subissant depuis des décennies la colonisation, la dépossession et l’agression de l’État sioniste allié de la France.

Ce que certains appellent déjà la Troisième Intifada se signale par un caractère inédit, du fait de la conjonction entre une résistance armée ayant développé ses capacités militaires et, surtout, un soulèvement de masse prenant des formes insurrectionnelles : des villes dites « mixtes » à l’intérieur de la ligne verte à Jérusalem et à la Cisjordanie occupée en passant par les réfugiés du Liban et de Jordanie, ce sont toutes les fractions du peuple palestinien qui se réunifient dans la lutte et imposent à l’État d’Israël un rapport de force nouveau. 

C’est pourquoi il est si important de poursuivre la mobilisation, ici au coeur des métropoles impérialistes, pour doubler la résistance palestinienne d’une pression internationale et pour exprimer, de Jérusalem à Paris, une même révolte des damnés de la colonialité du pouvoir face à l’impérialisme et au racisme d’État.

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