Car si l’on mesure les faits aux effets qu’ils produisent, force est de constater que le muscle est plus dévastateur que la pluie. Depuis le 10 mai dernier, au moins 126 Palestiniens, dont 31 enfants, ont été tués. Israël compte de son côté neuf morts, dont un enfant de 6 ans et un soldat.  Aujourd’hui, samedi 15 mai, dix membres d’une même famille ont été tués dans un bombardement aérien israélien à l’ouest de Gaza, huit enfants et deux femmes, qui se trouvaient dans leur immeuble du camp de réfugiés Al Shati.

          Ce n’est pas nouveau, hélas. Entre 2008 et 2020, le « conflit israélo-palestinien« , selon la formule vaseuse consacrée, a causé la mort de 5 600 Palestiniens, tandis que 115 000 ont été blessés. Du côté israélien, on recense 250 victimes sur la même période et plus de 5 600 blessés. En 2014, Israël a mené durant sept semaines l’opération « Bordure protectrice » à Gaza et fait plus de 2 000 morts. (1) D’importantes manifestations avaient également éclaté en 2018 le long de la frontière entre Israël et Gaza, total plus de 300 morts, hommes, femmes, enfants, et plus de 28 000 blessés du côté Palestinien. Et l’on peut ajouter à ce terrible bilan les 1 183 civils tués et 4 054 blessés libanais de l’été 2006 et 160 tués dont 117 soldats côté israélien. La disproportion des horreurs est flagrante.

           Aujourd’hui, la focalisation délibérée sur le terrorisme, réel, du Hamas, ne dédouane absolument pas Israël de sa responsabilité historique et de ses crimes contemporains. C’est l’écran de fumée, le prétexte, le meilleur ennemi, qui permet à B. Netanyahou de renforcer son pouvoir menacé et qui ne tient qu’à une alliance avec les extrémistes et ultraorthodoxes juifs qu’il faut satisfaire, ceux-là mêmes qui ont crié « Mort aux Arabes » à Jérusalem le 23 avril dernier. En somme, si le Hamas n’existait pas, il faudrait l’inventer. D’ailleurs, en 1987, Israël a laissé se constituer une organisation qui pouvait mettre en difficulté le Fatah de Yasser Arafat. Passons.

          Cependant, il faut être ferme sur les principes et condamner tout acte terroriste d’où qu’il vienne et quel qu’en soit l’auteur, car, citons A. Camus « Quelle que soit la cause que l’on défend, elle restera toujours déshonorée par le massacre aveugle d’une foule innocente.« 

          Cela ne dispense pas de faire l’effort de comprendre comment on en est arrivé là, faute de quoi la protestation reste incantatoire et occulte les véritables responsabilités dans cette nouvelle flambée de violences. Ces tensions ont émergé la semaine dernière à Jérusalem-Est, secteur palestinien occupé par Israël depuis 1967, où des familles palestiniennes ont été menacées d’expulsion au profit de colons juifs. Il faut reconnaître que cela n’a ému la communauté internationale qu’à partir du moment où des roquettes sont tombées sur Israël et le Hamas s’est saisi de la situation à son profit devant la passivité de la mal nommée Autorité palestinienne de M. Abbas.

          Mais on ne peut décoder ces affrontements si l’on ignore le contexte qui perdure depuis soixante-treize ans : un conflit asymétrique entre un Etat autoproclamé en 1948 (2), solidement constitué, et des mouvements de résistance qui ont connu des fortunes diverses, avec une occupation violente, une colonisation galopante, la dépossession de la terre en Cisjordanie et à Jérusalem-Est sur un territoire palestinien morcelé, réduit au fil du temps comme peau de chagrin. 

          Quant aux méthodes israéliennes, aux moyens colossaux employés par son armée depuis des décennies, bombardements, usage d’avions de combat, de missiles, de chars d’assaut, etc., ses interventions régulières dans des pays souverains, le Liban, l’Iran, la Syrie, soyons clair, elles portent un nom : terrorisme. (3) et peuvent constituer des crimes de guerre. (4)

          Depuis plus de 100 ans, en effet, Israël mène, les armes à la main, un projet sioniste, colonial et discriminatoire, à savoir, un Etat du peuple juif (5) débarrassé de la présence autochtone palestinienne. Faute d’y parvenir complètement : l’apartheid. Israël est « la seule démocratie du Proche Orient » (selon les médias) qui peut se permettre, en janvier 2019 d’inaugurer au nord de Jérusalem « une route où automobilistes Israéliens et Palestiniens sont séparés par un mur central de huit mètres de haut. » (Les journaux). Pas étonnant que tout cela suscite quelques irritations dans le camp d’en face !

          Le soutien inconditionnel, militaire, financier, diplomatique, des USA, le silence complice de la soit disant communauté internationale, la tétanisation de ceux qui redoutent d’être taxés d’antisémites s’ils osent la moindre critique, le poids sur les consciences de l’extermination des juifs d’Europe largement exploitée depuis les années soixante (6), l’incapacité de l’ONU à faire respecter ses propres résolutions (7), et, de l’autre côté, une résistance dispersée, des dirigeants discrédités, une impuissance à se fédérer autour d’un leader charismatique comme N. Mandela, par exemple, font que « la question palestinienne » reste, pour l’instant, sans réponse…

          Certes E. Macron ne se désintéresse pas de la chose. Il a « fermement condamné les tirs revendiqués par le Hamas et d’autres groupes terroristes » qui mettent « en grave danger la population de Tel-Aviv » et nuisent « à la sécurité de l’Etat d’Israël« . On croit rêver ! C’est le monde à l’envers. Pas un seul mot sur les bombardements israéliens et le massacre des civils palestiniens. Qui peut croire un seul instant à ce bobard de propagande que la sécurité d’Israël, qui dispose, entre autre, de l’arme atomique, puisse être menacée ? Et, conséquence logique, le gouvernement et son ministre Darmanin, interdisent de manifester le soutien à ceux qui ne demandent qu’à vivre, à disposer d’un toit, à exercer leurs droits. Car, figurez-vous, ceux qui projettent d’exprimer leur solidarité sont, je résume, des antisémites qui soutiennent le Hamas. C.Q.F.D. Méprisable, comme si les excès favorisaient les progrès de la cause !

          Quant aux pro sionistes décomplexés genre M. Valls, B.H. Lévy, H. Meyer…et leurs comparses, ce sont des fanatiques. Ils assument consciemment et délibérément leurs tromperies. Dans ce cas, aucun fait établi, aucun argument n’ont la moindre chance de les convaincre et encore moins de les persuader que leur cause est haïssable. L’histoire, le droit international, la souffrance séculaire toujours recommencée du peuple palestinien, ils s’en contrefoutent, ils sont complices. Et, si, selon la loi de Bardolini, « La quantité d’énergie nécessaire à réfuter des idioties est supérieure à celle qu’il faut pour les produire« , il faudra du courage et de la persévérance pour faire avancer la cause palestinienne.

          Ce qui est pathétique, c’est que ce déni des réalités, historiques, géographiques, diplomatiques va contre l’intérêt même du peuple juif qui, à juste titre, souhaite vivre en sécurité sur une terre partagée…mais il n’en prend pas le chemin. Et, fourrier de l’antisémitisme, le positionnement inconditionnel de ses faux amis, par ses outrances, ne l’aide pas. A force de se cogner le front sur les bottes de B. Nétanyahou et de ses représentants du CRIF, ils déshonorent la France et la discréditent. Et en tentant de stigmatiser, de disqualifier, de bâillonner leurs contradicteurs, ils s’en prennent aux meilleurs défenseurs du camp de la justice et de la paix.

          Car on ne cultivera pas un espace de conciliation au milieu des ronces du déni et du mensonge. Un espace, la Palestine, où juifs, musulmans, catholiques, agnostiques, athées, hommes et femmes de bonne volonté pourraient enfin disposer d’eux-mêmes, en toute sécurité, bâtir l’état laïque du vouloir vivre ensemble et de la fraternité retrouvée.

          Car c’est sur la vérité qu’on construit.

1 – C’est le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) qui recense les victimes du conflit.

2 – Alors que le mandat britannique sur la Palestine expirait le lendemain, David Ben Gourion proclamait, le 14 mai 1948 à Tel-Aviv, l’indépendance de l’État d’Israël. Le plan de partage de l’ONU du 29 novembre 1947 divisait la Palestine entre un Etat juif et un Etat arabe, Jérusalem était placé sous contrôle international. (Résolution 181)

3 – Ce sont des terroristes juifs qui, notamment :

            ont fait sauter l’hôtel King David le 20 juillet 1946 (91 morts, 46 blessés);

            ont assassiné le comte Bernadotte, diplomate suédois, le 17 septembre 1948;

            ont organisé l’expulsion des Palestiniens en 1948 selon le plan Daleth (Lire Ilan Pappé, Le nettoyage ethnique de la Palestine);

            ont massacré les villageois de Deir Yassin le 9 avril 1948 (entre 80 et 120 morts);

            ont commis le massacre d’Hébron le 25 février 1994 : 29 palestiniens tués et 125 autres blessés par Baruch Golstein un colon israélien;

            ont assassiné Yitzhak Rabin le 4 novembre 1995, l’auteur est un ultra-nationaliste israélien, Yigal Amir;

            ont bombardé le quartier général des Casques bleus au Liban tuant 106 civils qui s’y étaient réfugiés le 18 avril 1996;

            ont tué par balles l’enfant Mohamed al-Durah, 12 ans, le 30 septembre 2000;

            ont massacré 28 civils dans un immeuble où ils s’étaient réfugiés à Cana au Liban le 30 juillet 2006;

           ont tué 9 militants pro Palestiniens de la flottille qui tentait de forcer le blocus de Gaza le 31 mai 2010.

Ainsi Israël porte un lourd fardeau de la « banalité du mal » formule d’Hannah Arendt, tant l’utilisation de la terreur fait partie de son histoire.

4 – « Aujourd’hui, je confirme l’ouverture par le Bureau du procureur de la Cour pénale internationale d’une enquête sur la situation en Palestine…L’enquête portera sur les crimes relevant de la compétence de la Cour qui auraient été commis dans la situation depuis le 13 juin 2014. » Fatou Bensouda, Procureure générale de la CPI.

5 – Depuis le 19 juillet 2018, il se définit comme tel. C’est une loi de discrimination qui dit qu’un citoyen arabe (21% de la population israélienne) n’est pas un citoyen comme les autres.

6 –  Voir « L’industrie de l’Holocauste : réflexions sur l’exploitation de la souffrance des juifs« , Norman Finkelstein, 2001.  

7 –  Depuis la résolution 181 du 29 novembre 1947 jusqu’à la résolution 1860 du 10 janvier 2009, 34 résolutions n’avaient pas été respectées par Israël.

https://blogs.mediapart.fr/henri-giorgetti/blog/150521/le-muscle-et-la-roquette