L’épidémie de Covid-19 a entraîné une crise sanitaire qui s’est rapidement imposée au cœur des pays les plus riches puis, par les mesures prises pour ralentir l’impact du virus sur les systèmes de soins, une forte récession. Certains secteurs de l’économie devraient être durablement touchés. Les conséquences de cette épidémie globale la font apparaître à certains comme une catastrophe majeure. A ce titre, elle n’est pas toujours saisie comme un phénomène biologique se déroulant dans un espace-temps spécifique (celui du capitalisme globalisé) : du romantique « la nature se réveille » au plus sombre « complot de big pharma », la pandémie a été l’occasion d’interprétations multiples.

La popularité de discours complotistes dans les pays économiquement prospères, comme de « résistances » aux mesures visant à ralentir la circulation virale, nous interroge sur la situation actuelle. Qu’est-ce qui pousse certaines personnes à considérer que cette épidémie n’est pas réelle ? Comment comprendre l’insistance sur l’idée d’un « complot » ou d’une « grande réinitialisation » qui seraient nécessairement à l’origine des mesures prises pour endiguer la propagation du virus ? Que penser de la dimension économique de cette crise : laisse-t-elle présager une transformation sociale d’ampleur, ou un effondrement ? Finalement, pour quelles raisons des raisonnements basés sur tout autre chose que les dynamiques de l’épidémie et ses conséquences sur les populations ont-ils pu devenir le socle de différentes approches invitant à la « résistance », et qu’est-ce que cela nous dit sur notre époque ?

Afin de tenter de répondre à ces questions, nous allons dans un premier temps remettre l’épidémie en contexte, afin de saisir les conditions spécifiques dans lesquelles elle a vu le jour par ici, ce qui nous permettra de voir qu’elle peut difficilement y être considérée comme une crise uniquement d’ordre sanitaire. Dans un second temps, nous allons nous intéresser plus précisément à la notion de crise, dans le contexte d’une économie capitaliste, en cherchant à saisir si cette crise est, malgré son origine spécifique, fondamentalement différente de celles qui l’ont précédé. Enfin, nous tenterons d’établir les raisons ayant entraîné de nombreuses personnes vers une réaction basée sur l’idée que la question de la circulation virale peut être ignorée, plutôt que sur une réappropriation pratique des problématiques sanitaires.

Crise sanitaire ou complot ?

Tout d’abord, il est étonnant de remarquer qu’un nombre non négligeable de personnes soutient que cette « crise sanitaire » serait avant tout un complot. Il est pourtant clair que pour que celui-ci puisse exister dans le monde actuel, il devrait être mondial et dépasser des alliances – ou mésententes – géopolitiques ou économiques parfois profondes. Il impliquerait aussi la collaboration de la « communauté scientifique » globale : la possibilité logique d’un tel complot ne va pas de soi. Il ressort en outre des discours faisant du Covid19 une « grande manipulation » que celle-ci profiterait nécessairement à quelques-uns, qui pourraient l’avoir orchestrée, ou en jouer. On retrouve sous une nouvelle forme une « oligarchie » qui n’est pas sans évoquer les « 1% » ciblés par la plupart des mouvements sociaux de ces dernières années, dont on peut remarquer qu’ils sont toujours les autres, et cela même pour une part importante des classes dominantes. Comment comprendre cela ?

Encore un coup des « 1 % »…

La focalisation sur un ennemi en petit nombre (« la finance », « big pharma », etc.) remplace souvent une analyse sérieuse de la domination réelle dans sa complexité, et invisibilise les souffrances spécifiques des catégories ouvrières dans les pays développés. Ces dernières connaissent pourtant « plus d’années d’incapacité au sein d’une vie plus courte »1, dans des pays riches dans lesquels, « l’espérance de vie à la naissance des 5 % les plus pauvres est inférieure de treize années à celle des 5 % les plus aisés »2. Cette « analyse » fait aussi fi des dynamiques qui rendent possible la consommation massive des classes moyennes occidentales3. La domination est alors perçue comme la domination personnelle de quelques individus qui décideraient des directions prises par la société marchande, quand une analyse plus fine permettrait de la comprendre – par exemple – comme « structure de domination à deux pôles, marché et organisation »4, invitant à considérer que cette domination n’est pas uniquement le fruit de la volonté d’une « élite », mais un processus bien plus complexe. Les ultra-riches permettent de détourner l’attention d’une classe moyenne globale dont le niveau de vie implique nécessairement et en lui-même le désastre. Les « 1% » sont aisément montrés du doigt comme étant l’élément clef d’un simple problème de suraccumulation, de surconsommation – et donc de distribution, de circulation – tandis que la production marchande en elle-même et tout ce qu’implique réellement le triomphe d’une civilisation capitaliste ne sont que rarement interrogés. En cela, cette « analyse » est confortable pour une bonne partie de la population des pays dominants…

Remise dans ce contexte plus large, l’idée d’un complot face à une situation imprévue et nouvelle n’est pas étonnante. Comment pourrait-il en être autrement, quand la situation dans laquelle nous sommes est souvent comprise comme le fruit des décisions d’une minorité plutôt que d’un système économique dont la remise en cause est devenue difficilement concevable ? Comprendre l’épidémie de Covid19 comme un complot – ou considérer la gestion de crise qui y a répondu sous cet angle – n’est-ce pas alors adapter légèrement un discours préexistant, masquant la réalité du capitalisme contemporain ?

Il serait toutefois simpliste de considérer que la popularité des thèses complotistes est uniquement liée à la difficulté – ou au refus – de prendre en compte la réalité d’une société capitaliste dans sa complexité. L’année écoulée a vu le monde politique passer rapidement du déni – illustré par la sortie de Macron au théâtre – à la rhétorique guerrière lors de l’annonce du premier confinement ; ce volte-face s’est transformé en un oscillement entre une volonté de réduire le taux de reproduction du virus (R0) pour éviter une croissance exponentielle de l’épidémie, et celle de tout faire pour protéger le PIB. C’est ainsi qu’il a été décidé de ne pas « reconfiner » pour limiter la circulation de nouvelles souches virales avant que celles-ci ne soient dominantes, contre les avis des scientifiques supposés épauler le chef de l’État. Dès lors, comment ne pas considérer qu’il se joue forcément autre chose qu’une crise sanitaire, alors que l’on ne voit aucune stratégie claire face à l’épidémie, ni se dessiner la possibilité d’une sortie de crise certaine, les promesses d’un « retour à la normale » étant toujours renouvelées pour plus tard ? Faut-il pour autant y voir un complot ou simplement de l’incompétence, face à une situation imprévue, un impensé de la globalisation capitaliste ?

L’immunité naturelle, solution négligée ?

D’autres voies que le « stop and go »5 et l’attente de l’immunité vaccinale décidés par ici auraient pu être mises en œuvre, du « zéro covid »6 expérimenté pour l’instant avec succès dans certains pays d’Asie ou d’Océanie, à la tentative de Bolsonaro de laisser l’épidémie flamber pour atteindre l’immunité naturelle, au risque – comme on l’a vu à plusieurs reprises – de voir saturer hôpitaux et services funéraires, et de favoriser des variants échappant à cette immunité. Mais même si l’autoritarisme comme certains choix gouvernementaux sont clairement contestables, doit-on considérer que face à la saturation des hôpitaux toute tentative de ralentissement de l’épidémie est illégitime ? Dit autrement, dans le contexte d’une évolution exponentielle des contaminations, quelles mesures envisager qui n’entraîneraient qu’un minimum de contraintes, tout en évitant la saturation du système de soins ?

L’attente de l’immunité collective (issue de contaminations massives, et ce en en assumant le coût en vies humaines) a été mise en œuvre dans certaines zones géographiques, et on peut remarquer qu’elle a été revendiquée comme la plus raisonnable partout par de nombreux libéraux dès le début de la pandémie. Il est difficile d’y voir autre chose qu’un échec chez ceux qui l’ont tentée, bien que certains affirment toujours que ça serait la voie la meilleure.

Il est tout d’abord clair que l’épidémie touche inégalement les populations en fonction de leur niveau de vie et de leur place dans la hiérarchie sociale. Ceci est flagrant quand on s’intéresse à l’impact de l’épidémie par ici, mais aussi si l’on compare ce qu’il en est entre pays. En Inde, la mortalité liée au virus semblait en net recul en janvier dernier avec un nombre réduit de décès malgré une circulation virale élevée et une forte densité de population, mais il ne faut pas oublier que la population y a pour plus de 50% moins de 25 ans, et que le système immunitaire des habitants est rodé par la pression de maladies infectieuses présentes dès la petite enfance, comme la fièvre typhoïde et la tuberculose7. Malgré cela, on peut observer que l’épidémie y repart de plus belle depuis plusieurs semaines : de nombreux hôpitaux sont maintenant totalement saturés, et certains lieux voient se multiplier crémations et enterrements à un rythme effréné. Le nombre réel de décès dépasse de loin les chiffres officiels et l’avenir proche s’y annonce plus tragique encore8. La recherche de l’immunité collective issue d’une circulation non maîtrisée du virus semble difficilement pouvoir constituer une approche viable face à cette épidémie, en Inde comme ailleurs…

La mise en place de cette stratégie dans les pays riches, sans aucune mesure de freinage, y aurait en effet causé un grand nombre de décès, et cela très rapidement. La population y est vieillissante et nombre d’habitants y souffrent de pathologies récurrentes tout en vivant assez confortablement grâce à des systèmes de soins très développés et accessibles car financés en partie par les fonds « publics » (c’est à dire l’impôt et la dette, deux éléments fortement liés aux performances du capitalisme national comme à la position du pays dans la hiérarchie internationale). Dans ce monde dans lequel l’hygiène, la délocalisation massive de certains métiers ainsi qu’une alimentation riche rendent possible une longue espérance de vie (bien entendue à relativiser pour certaines couches de cette société)9, les maladies sont principalement dégénératives, et si le cancer prend une place prépondérante, c’est aussi car il est massivement traqué, avec l’aide d’une technologique médicale avancée. Ce n’est pas pour rien que c’est tout d’abord les grands centres urbains, devenus points névralgiques du monde globalisé, qui ont été touchés vite, et fort : de Wuhan au Nord de l’Italie, à la région parisienne ou à New York, non seulement les liaisons aériennes et terrestres sont variées et fréquemment utilisées, mais les populations y sont en partie âgées, augmentant l’impact de l’épidémie sur des hôpitaux pourtant parmi les mieux équipés du monde.

Une crise plus large qu’uniquement sanitaire.

La perspective d’une épidémie touchant de plein fouet les vieux pays riches a été bien entendu un choc pour ceux-là mêmes qui, convaincus de leur supériorité économique, technologique et parfois – de manière moins avouée – civilisationnelle se croyaient à jamais épargnés par les épidémies. Certains considéraient ce phénomène dorénavant limité aux zones dites « sous développées », à ces « non-lieux », où vivent les travailleuses et travailleurs qui rendent possible la richesse dont bénéficient les habitants des grands pays capitalistes. A ce titre, ce n’est probablement pas pour rien que c’est avant tout dans les pays les plus prospères du monde que les thèses complotistes s’épanouissent. La difficulté à se concevoir comme potentiellement fragiles, touchés par une pandémie mondiale réelle – et non seulement touchés aussi mais touchés, au début de la pandémie, plus que les autres10y est d’ailleurs souvent allé de pair avec la difficulté à adopter des changements de comportements visant à réduire l’impact de l’épidémie sur le système de soin11. Quelles spécificités peuvent expliquer cela ?

L’individu de la civilisation libérale cherche avant tout à optimiser son bien-être, à « maximiser son utilité » comme le formule la théorie néo-classique. Après avoir façonné un sujet nécessairement orienté vers lui-même et fondamentalement égoïste – l’égoïsme individuel étant supposé entraîner la cohésion sociale, via la médiation du marché -, voilà maintenant que cet individu s’est vu sommé de se contraindre et de réduire ses « libertés » individuelles, sa vie sociale, culturelle, bref, de faire un effort pour des personnes souvent autres que lui. Alors qu’on lui a toujours indiqué qu’il fallait rechercher la performance et l’efficacité, ces personnes lui ont d’abord été présentées comme « vieilles et vieux », « fragiles », et/ou « obèses ». Ces autres sont aisément oubliés au point d’inverser radicalement le sens de toute mesure visant à limiter les contaminations et la pression sur le système de soin. Ces mesures sont alors présentées et comprises comme ayant avant tout un objectif individuel : se laver les mains, conserver une certaine distance physique et porter un masque non pour ne pas contaminer autrui (ou réduire la charge virale transmise involontairement) si l’on était porteur du virus, mais pour se protéger soi-même. L’insistance de certains discours politiques sur l’idée d’une « protection individuelle » est à interpréter dans ce contexte autant comme la tentative de parler au sujet libéral dans un langage qui peut le décider à agir que comme l’impossibilité d’envisager une politique sanitaire qui remette en question ce dernier, fruit et base de l’autorité du corps politique.

Le refus d’adopter certaines pratiques visant à ralentir l’épidémie est alors souvent présenté comme un choix individuel détaché de la situation générale : on retrouverait d’un côté « nous qui n’avons pas peur » (de s’entre-contaminer) et de l’autre « ceux qui ont peur » (du virus). L’autre, potentiellement plus fragile, plus vulnérable que soi12 a alors totalement disparu, ainsi que toute considération liée à la dynamique de propagation d’une épidémie respiratoire. Si cette démarche est cohérente avec le négationnisme de l’épidémie (s’il n’y a pas d’épidémie, toute mesure pour ralentir le virus est effectivement absurde), elle l’est aussi avec les limites d’une subjectivité façonnée par des siècles de libéralisme. En cela, les affirmations complotistes – et ce quel que soit le vernis plus ou moins radical qui les recouvre – ne sont qu’un des discours possibles permettant de revendiquer un je-m-en-foutisme hédoniste et individualiste partagé en pratique bien au-delà des cercles complotistes.

On peut dès lors considérer que l’épidémie entraîne une crise spécifique, qu’il est difficile de comprendre comme uniquement sanitaire : c’est bel et bien aussi d’une crise du libéralisme comme fondation de la subjectivité dont il s’agit. C’est jusqu’au cœur de l’individu de la civilisation capitaliste que la crise sanitaire se fait sentir, pas uniquement car elle peut le toucher directement, dans sa chair, rendant son corps malade, mais aussi car les politiques publiques visant à limiter la saturation des réanimations (ainsi qu’à rendre possible une reprise économique plus rapide, une fois la crise terminée), lui demandent des efforts contraires à l’injonction qui lui a toujours été faite dans le contexte fordiste et post fordiste : profiter. L’aspect « existentiel » de cette crise est spécifique à certains espaces sociaux de l’économie mondiale. L’individu y voit ce qui fait pour lui office de monde s’effondrer et s’accroche à ce qu’il souhaiterait pouvoir conserver face à un imprévu qui imposerait une rupture avec son cadre de pensée habituel. Si l’on observe ce qui s’est passé ailleurs, par exemple chez certaines tribus indiennes d’Amérique du Nord ou d’Amazonie, la crainte n’y a pas été celle d’une remise en cause des « libertés » libérales, ou d’un risque individuel, mais du risque visant le groupe, la communauté. Et c’est précisément cela qui a entraîné la mise en place de mesures préventives pour protéger la tribu, ses anciens et sa langue, avant et parfois contre l’État fédéral13.

Néanmoins, cette crise n’est pas uniquement celle d’un type d’individualité façonné et nourri par le capitalisme : la crise sanitaire et les mesures prises par les États pour y faire face ne sont pas sans conséquence sur l’économie-monde, perturbant certains secteurs et en favorisant d’autres. Doit-on alors y voir un processus à l’œuvre qui laissera envisager des lendemains qui chantent, le signe précurseur du dépassement nécessaire d’un mode de production ayant montré ses limites, ou à l’inverse un processus visant à renforcer artificiellement la domination du capital et pour lequel l’épidémie ne serait qu’un prétexte ?

Conséquences économiques de la crise du coronavirus

Tout d’abord, on peut souligner qu’une crise imprévue et impliquant des difficultés économiques pour certains secteurs, n’a rien de nouveau : le capitalisme en connaît régulièrement depuis sa naissance. La crise liée à l’épidémie et aux mesures prises pour y faire face n’est, remise dans un contexte plus large, rien d’autre qu’une crise parmi d’autres. Bien entendu, celle-ci a été initiée en partie par les mesures prises par les États pour ralentir la propagation du virus ; elle a aussi été amortie par ce biais, au moins dans les pays les plus riches. En cela s’il doit y avoir une crise économique réelle dans les pays riches, elle aura lieu quand les plans de soutien massifs à des entreprises sous oxygène s’arrêteront et que la croissance « réelle » devra prendre le relais. Certains y voient pourtant déjà le signe d’une crise finale, d’un effondrement. Est-ce probable ?

Un monde de crises

En observant ce qui a été mis à l’œuvre pour faire face à la crise sanitaire, et l’impact de ces mesures sur l’économie, on peut y voir de grandes similitudes avec les réponses à la crise de surproduction qui marque le monde capitaliste depuis quelques années, qui n’entraîne pour l’instant pas autre chose que le désormais habituel quoi qu’il en coûte de banques centrales qui peuvent se le permettre. La situation actuelle trouve ainsi sa résolution temporaire dans les « politiques monétaires non conventionnelles » pratiquées assidûment par le Japon depuis les années 90, et par la plupart des économies dominantes depuis maintenant plus d’une décennie… Considérer que s’il y a une crise, il va forcément y avoir un effondrement ou que cette crise, vu l’ampleur des sommes dépensées pour y faire face, est nécessairement majeure est problématique dans le contexte qui est le nôtre.

La crise n’y est en effet pas forcément rupture, transformation radicale d’un état vers un autre. Elle apparaît certes quand il y a une situation de déséquilibre. Le latin crisis indiquait bien la phase grave d’une maladie, le moment où la vie du patient peut basculer. Pourtant, l’époque se trouve souvent définie comme une époque de la crise, ou des crises (économiques, sociales, écologiques…) alors que rien ne change fondamentalement. Ces crises ne semblent pas aller vers une transformation de la société autre que celles initiées par le développement du capitalisme ; elles apparaissent détachées de toute perspective déterministe qui verrait le capitalisme entraîner nécessairement son dépassement. Elles ne sont pas l’ouverture vers un autre état mais un état qui tend à devenir permanent… Comment l’expliquer ?

L’instabilité structurelle des sociétés capitalistes.

Si l’on prend en compte le fait que notre société est capitaliste, il s’agit d’une société dans laquelle la recherche d’accumulation du capital façonne le monde, afin de permettre la reproduction du capital. Le mode de production capitaliste produit ainsi de la survaleur (ou profit), mais pas uniquement : il (re)produit avant tout le rapport social capitaliste. Le capitalisme façonne donc bien plus que le monde matériel, il implique un certain rapport entre les êtres, aux choses et à la nature. Il impose par exemple la propriété privée, qui marque fortement le rapport à l’espace nous entourant. Comme le dit Marx dans les Grundrisse, « le capital en tant qu’il représente la forme universelle de la richesse – l’argent -, est la tendance sans borne et sans mesure de dépasser sa propre limite. Toute limite est et ne peut être que bornée pour lui. Sinon, il cesserait d’être capital : l’argent en tant qu’il se produit lui même »14. Si cette limite n’est bornée que pour le capital, alors une seule chose ne connaît pas la crise : le capital lui-même, dans son processus de valorisation. Au sein de ce processus, le bouleversement est par contre forcément permanent. Les crises sont ainsi parfois – mais pas toujours – des « sous produits » du processus de valorisation du capital. Que l’on pense par exemple aux évolutions techniques visant à réduire le temps de travail nécessaire pour produire des marchandises, et donc à augmenter la compétitivité d’une entreprise sur le marché qui impliquent la ruine de certains capitalistes ; ou à la mise en concurrence globale du travail ouvrier qui implique de nombreuses crises locales, quand de manière plus large la logique du capital persiste…

L’histoire du capitalisme est ainsi nécessairement histoire de crises, de passages d’une réalité à une autre, dans lequel tout change, pour que rien ne change. Du point de vue du capital, une crise qui ne remet pas en cause la possibilité même d’accumulation du capital n’est pas une mauvaise crise, qu’elle que soit son origine. L’éviter n’est pas une fin en soi : l’impératif est de s’y adapter. En cela, la crise liée à l’épidémie de Covid-19 n’est pas si différente des autres crises : tant qu’elle ne remet pas en cause la possibilité de valorisations futures, ce n’est qu’une crise mineure pour le capital.

Crises et dispositifs néolibéraux.

L’économie contemporaine n’est pas celle du 19e siècle. Le processus de valorisation du capital étant fondamentalement instable, il est apparu nécessaire à certains d’œuvrer à ce que les crises – inévitables -, n’impliquent pas de trop grand déséquilibre, ne brisent pas la possibilité d’accumulations et de valorisations futures. Des mécanismes ont rapidement été mis en place pour stabiliser l’édifice. Si l’on gratte un peu la surface du mythe libéral du marché libre on trouve la réalité néolibérale d’un état au service de l’économie, d’institutions nationales et para-étatiques visant à assurer la stabilité du marché. Il ne faut donc pas forcément opposer une économie keynésienne « de gauche » dans laquelle l’État jouerait un rôle important à une économie « néolibérale » dans laquelle il serait absent et qui viserait à le réduire à sa fonction régalienne. Dans les deux cas l’enjeu est de mettre l’État au service du marché, et tant pis pour la « main invisible »15.

Certaines formes de crises seront ainsi amoindries, calmées par des pratiques ou institutions visant à assurer la continuité du procès de valorisation. Le « marché libre » se retrouve encadré pour son bien, tout comme les « peuples » et leurs « démocraties ». Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que les États qui le peuvent aient volé au secours de « leurs » entreprises nationales à coup de milliards. Si les mesures politiques ont un coût, leur raison d’être est elle aussi et avant tout économique : celles-ci visent à permettre à ces entreprises d’être toujours prêtes une fois que la course reprendra, permettant de limiter les dégâts de la crise sur la « compétitivité » du pays et d’assurer ainsi la possibilité d’une « reprise » plus rapide. C’est par contre une toute autre histoire pour les travailleurs les plus précaires des pays du Sud…

Il est évident que les différentes réponses à la crise sanitaire auront limité ou amplifié le choc économique, et inversement. La volonté libérale de « laisser faire, laisser circuler » – ou la nécessité de faire entrer des devises quoi qu’il en coûte – aura dans certains cas profité au virus. Que l’on pense à la France, cherchant à pousser les Français des couches favorisées à dépenser les millions épargnés durant le premier confinement pendant l’été, ou au Mexique, voulant à tout prix attirer touristes américains et européens et prêt pour cela à devenir une zone relativement restrictions free, au prix d’une des surmortalités les plus élevées du monde…

Une « grande réinitialisation » ?

La réponse à la crise sanitaire a été avant tout dictée – et en partie limitée – par les impératifs économiques. La décision de « vivre avec le virus » tout en mettant en place quelques mesures pour limiter la circulation virale est issue du choix d’éviter la saturation totale des hôpitaux tout en ménageant le PIB. C’est celle qui a semblé économiquement la plus rationnelle au pouvoir, alors qu’il était clair que l’épidémie était bien repartie et que le virus circulerait durablement sur tout le territoire, malgré les prédictions du druide de Marseille.

« Mauvais moment à passer » plus que changement de paradigme pour les pays dominants, rien n’indique pour l’instant que cette crise comme les mesures prises pour y faire face donneront lieu à des changements majeurs. De manière similaire à celles qui l’ont précédé, cette crise apparaît évidemment comme une opportunité pour certains, qui, comme toujours, sera payée par d’autres. Bien entendu, certains secteurs de l’économie vont évoluer. Certaines chaînes de productions vont par exemple se rapprocher (relativement) des consommateurs finaux. Cette crise sera aussi, comme celles qui l’ont précédé, l’occasion d’ajustements géo-politiques.

Comme à l’accoutumée, une disparité liée à la puissance des acteurs est à envisager. Alors que l’Amérique de Joe Biden profite de l’occasion pour lancer un plan d’investissement massif et adapter son économie à un monde en perpétuelle transformation, il semble certain que l’Europe ne puisse pas suivre. L’austérité y sera alors logiquement affirmée comme étant la voie d’avenir… Par contre, alors que les économies dominantes ont pu s’offrir des plans de soutien massifs, il est important de souligner que ce n’est pas le cas des économies aux monnaies faibles dans lesquelles la situation est souvent dramatique pour les travailleurs de l’économie informelle. Il y a bien dans ces pays une catastrophe pour des millions de personnes… Certaines nations se retrouvent contraintes de renégocier des prêts avec leurs créditeurs, des capitaux se déplacent. Drame pour certains, business as usual pour d’autres. Difficile en tout cas d’y voir le début d’un « effondrement » de l’économie tant les pays du centre sont éloignés de ces problématiques ; difficile d’y voir une « grande réinitialisation » tant les réponses à cette crise ne sont finalement que l’application de vieilles recettes.

Si sur le plan épidémiologique, on peut juger critiquables des décisions politiques prises systématiquement le plus tard possible, afin d’en limiter l’impact sur l’économie, les mesures mises en place pour ralentir la diffusion du virus sont souvent critiquées non pour leur retard, ni à cause du drame humain causé par la décision politique de « vivre avec » une forte circulation virale, mais au nom de la certitude qu’il existe forcément une meilleure solution que ces mesures de ralentissement, que le pouvoir refuse volontairement de suivre. Comment interpréter cela ?

« Il y a forcément une meilleure solution ! »

Derrière la volonté de trouver un homme providentiel qui apporte une solution rapide et efficace, comme derrière l’impossibilité de considérer qu’une meilleure solution que les mesures visant à réduire la circulation du virus ne soit pas immédiatement disponible dès le début de l’épidémie, on retrouve une foi totale en la société capitaliste. Si on ne nous en parle pas, si elles ne nous sont pas proposées, alors ces solutions nous sont forcément cachées (par l’État, par ceux qui profitent de la crise, etc.)16. La société capitaliste apparaît alors – de manière implicite – comme devant nécessairement posséder les moyens techniques de faire face à cette pandémie17.

Les moyens matériels de contrôle de l’épidémie (visant à ralentir sa propagation) n’apparaissent pas alors comme les éléments d’une gestion – clairement contestable – de la pandémie, mais comme n’étant rien d’autre que les moyens de brimer la population gratuitement, étant donné que c’est par choix qu’« ils » ont décidé de nous imposer cela quand d’autres solutions, plus efficaces, existent nécessairement. Une alternative réelle à la continuation sans fin de la domination marchande étant devenue impensable, l’impuissance de celle-ci face à un phénomène imprévu apparaît elle aussi inenvisageable. De manière similaire au Covid et ses mutations rapides, cette conception se décline en différents variants. Ce qui varie est alors principalement la raison cachée des restrictions, celles-ci ne pouvant jamais avoir un objectif avant tout sanitaire. On retrouve par exemple un variant « anti-capitaliste » pour lequel l’objectif des restrictions serait d’enfoncer artificiellement les peuples du monde dans la dette, de les pousser vers des transformations sociales et économiques déjà en cours18.

Il faut distinguer ici ce que nous pourrions nommer complotisme « mou » tel que nous venons de le dessiner, centré sur un refus des mesures permettant de ralentir l’épidémie mais considérant qu’une épidémie existe, et un complotisme « dur », niant totalement l’existence de l’épidémie, considérée comme inexistante car tout simplement impossible dans nos sociétés d’opulence. Ces deux positions sont-elles pourtant si différentes, dans le fond ?

Réalités fictives et perte de monde.

Dans le cas du complotisme « mou » comme de son avatar « dur », on est face à un certain déni de la réalité épidémique, dans sa dimension matérielle, concrète. Dans le refus de prendre en considération les conséquences pratiques d’une circulation exponentielle du virus, comme dans le refus de l’épidémie en elle-même, on retrouve aussi et avant tout des éléments qui étaient déjà présents dans la réalité précédant l’épidémie. Ces discours, comme ceux des leaders populistes dont les dernières années ont vu l’ascension, se basent sur un même rejet de la science et de la raison, qui n’est pas rejet de la technoscience et d’une raison qui serait marchande, ou instrumentale, mais négation de « l’unité (l’universalité) de la vérité, de la raison, de la réalité et de la science précisément au nom de ceux qui auraient besoin le plus urgemment de celles-ci – le « peuple résistant au despotisme et à ses mensonges » »19. En cela, la crise du Covid rend visible des traits déjà à l’œuvre dans nos sociétés, et qui ne sont pas limités aux démocraties libérales occidentales. Les notions de vérité et de réalité perdent tout contenu plus vaste que celui accessible dans l’expérience subjective la plus superficielle. La réalité devient fiction. Les publications scientifiques ne peuvent alors qu’être instrumentalisées pour soutenir un programme prédéfini, comme l’illustrent la plupart des « complotistes mous » et certains membres du gouvernement20

Qu’importe si les désirs du sujet sont irréalisables, la réalité extérieure n’ayant plus de sens pour lui. A ce titre, il n’est pas impossible que celles et ceux qui se plaignent des mesures restrictives auraient hurlé au meurtre si l’État avait opté pour une vraie politique libérale sans aucune mesure de ralentissement de l’épidémie21 : le souhait non formulé semble être de pouvoir bénéficier des services médicaux habituels (hôpitaux disponibles, non saturés) et « en même temps » des « libertés libérales » mises à mal afin de limiter la saturation des réanimations…

Dans la négation de l’existence de l’épidémie en elle-même, comme dans la volonté de « vivre avec le virus », comme si de rien n’était, on retrouve ainsi la même volonté de plier le monde à certains désirs, sans s’interroger ni sur leur origine ni sur ce qu’impliquerait leur mise en pratique effective. On retrouve aussi une cécité sélective qui est similaire à celle de l’utilisateur des réseaux sociaux, produisant du contenu pour les géants de la big tech tout en ignorant volontairement ce que cela implique, ou chez le consommateur souhaitant profiter des marchandises capitalistes sans souffrir des nuisances liées à leur production, expérience quotidienne des couches privilégiées de la société marchande. En cela, le complotisme comme le déni d’une réalité épidémique indésirable sont un luxe.22 L’attrait pour les thèses complotistes s’explique peut-être ainsi en partie par la marchandisation avancée et la fracture que celle-ci implique avec le monde des besoins matériels comme avec la pratique permettant d’y faire face, dans un devenir-touriste qui transforme l’être humain des zones dites « développées » de l’économie mondiale en « homme sans monde »23

Une « résistance » purement spectaculaire.

On aurait pourtant pu penser que la naissance d’une pandémie en direct, ait pu produire tout autre chose que le désolant spectacle auquel nous avons assisté. Avant que l’État ne réagisse, nous savions ce qui se passait en Italie. Il semblait logique à tout un chacun que le virus circulait probablement de ce côté-ci de la frontière, invitant à mettre en œuvre des mesures préventives sans attendre d’en avoir reçu l’ordre. Mais comment opter pour des mesures préventives ? Cela aurait impliqué de chercher à comprendre l’épidémie, ses dynamiques, les voies de transmission du virus, de statuer sur son éventuelle dangerosité ou innocuité. De trouver une issue de manière collective et autonome. De cesser de nier l’épidémie. Une « biopolitique populaire », comme proposée par Sotiris24, aurait été une autre voie de défiance à l’égard du pouvoir, bien plus radicale que le refus de mesures visant à ralentir l’épidémie. Celle-ci n’aurait pas été une réaction à des transformations sociales imposées de l’extérieur, mais le fruit d’une volonté de reprise en main du destin collectif. Pourtant, à part quelques rares initiatives, ce n’est pas cela qui a eu lieu. Était-ce inévitable ?

Une crise, quelle qu’elle soit, n’a pas les mêmes effets, ne prend pas les mêmes formes, en fonction du contexte social qui la voit naître et se développer. Les réactions que nous avons pu observer jusqu’à maintenant face à cette crise sont finalement bien peu différentes des réponses à la domination que nous pouvons rencontrer au quotidien, en temps « normal ». Révoltes existentielles, défense de modes de vie… L’enjeu semble bien souvent de « changer sa vie sans changer le monde »25. Les mouvements « anti-masques » revendiquent ainsi la possibilité de refuser une contrainte jugée intolérable en elle-même, en ignorant scrupuleusement les éléments n’allant pas dans le sens de ce désir. La volonté souvent affichée d’avancer au plus vite vers une « immunité naturelle » car « l’humanité a toujours vécu avec des virus » suit un schéma similaire, et va souvent de pair avec le refus de considérer les difficultés matérielles posées par une trop forte circulation virale : pénurie d’oxygène médical, difficulté d’approvisionnement en cercueils, saturation des morgues, etc.

Exprimant son « insoumission » et revendiquant sa « liberté », en se comportant au maximum « comme si de rien n’était », l’individu affirme ainsi avant tout son attachement à des normes jusqu’ici dominantes. Ces positionnements ne sont alors pas grand chose d’autre que la tentative d’aménager l’existant pour un meilleur confort personnel et l’occasion d’afficher son désaccord. Loin d’être l’affirmation d’une autonomie réelle de l’individu, cette opposition spectaculaire peut alors se lire comme le témoignage de son impuissance concrète, la marque de son conformisme. Quand sa capacité d’action dans le monde devient fictive, la subjectivité peut-elle être autre chose qu’un « ensemble de fictions éphémères »26 ? L’épidémie entraîne ainsi sa forme de « résistance », qui offre avant tout la garantie de ne rien changer à la marche du monde, celle-ci n’étant rien d’autre que le signe d’une appartenance identitaire, culturelle…

Quelle catastrophe ?

La crise du Covid 19 ne peut être extraite du monde dans lequel elle a lieu. Que celle-ci ait pour origine un protocole de sécurité défaillant au laboratoire P4 de Wuhan, la volonté d’une puissance d’affaiblir une ou des économies concurrentes ou tout simplement une zoonose à l’effet amplifié tant par l’agriculture industrielle que par les flux du capitalisme mondialisé, cette crise n’existe pas de manière isolée.

Comme nous l’avons évoqué, la popularité des thèses complotistes se situe, dans les pays les plus prospères, dans la droite ligne d’une critique de la domination réduite à la remise en cause d’une petite « oligarchie » et refusant de prendre en compte les dynamiques concrètes d’une société capitaliste. Dans ces pays, les mesures prises pour faire face à l’épidémie entraînent une crise de la subjectivité produite par le libéralisme économique, dont elles rendent visibles les limites, jusque dans la révolte spectaculaire de l’individu. Pourtant, les effets de la crise sanitaire ne touchent pas uniquement cette subjectivité, mais entraînent une crise d’ordre économique, pour l’instant à relativiser pour les pays du centre capitaliste dont la domination monétaire permet le « quoi qu’il en coûte » visant à soutenir – et pour certains transformer – leurs économies.

Si les restrictions temporaires que la gestion de l’épidémie à entraînée apparaissent à certains comme une véritable catastrophe, il est flagrant que la vraie catastrophe n’est pas tant là que dans la dépossession mise en lumière par les réactions que nous avons pu observer face à la pandémie. Quand ce qui prétend être une forme de résistance se base avant tout sur la négation de la réalité27, et quand la mise en place d’une pratique collective réellement en rupture avec le pouvoir semble être devenue impossible, voire même inimaginable, alors même que ce pouvoir est dépassé par les évènements, comment envisager une sortie de crise réelle, c’est-à-dire le dépassement effectif de ce monde de crises ?

La faible auto-organisation populaire face à la pandémie et l’émergence, au cœur des pays les plus riches, de pseudo-résistances spectaculaires, mettent sous les projecteurs la colonisation des imaginaires par la « toute-puissance » capitaliste et le repli de l’individu dans des sphères dans lesquelles la domination ne risque pas d’être mise à mal.

Une autre attitude face à la pandémie était difficilement envisageable massivement dans le contexte qui est le nôtre. Il apparaît alors d’autant plus urgent de rouvrir en pratique la question d’une émancipation réelle, seule à même de mettre un coup d’arrêt à une catastrophe que la crise du Covid-19 aura rendue difficile à ignorer. Cela implique de s’interroger sur les formes prises par la domination aujourd’hui, et sur les stratégies à mettre en œuvre afin d’y faire face. Cela implique également de sortir du repli sur une « éthique » individuelle, ou de postures incarnant l’abandon de toute perspective de transformation radicale des rapports sociaux : sans réel retour au politique, cette crise, replacée dans le temps long, risque de n’apparaître comme pas grand-chose d’autre qu’une mise en bouche au goût amer…

  1. E. Cambois, « La “double peine” des ouvriers : plus d’années d’incapacité au sein d’une vie plus courte », sur Ined – Institut national d’études démographiques, (https://www.ined.fr/fr/publications/editions/population-et-societes/la-double-peine-des-ouvriers-plus-d-annees-d-incapacite-au-sein-d-une-vie-plus-courte/)?

  2. D. Fassin, « La pandémie a montré que toutes les vies n’ont pas la même valeur? », sur CNRS Le journal, (https://lejournal.cnrs.fr/articles/la-pandemie-a-montre-que-toutes-les-vies-nont-pas-la-meme-valeur)?

  3. Celles-ci ne profitent en effet pas uniquement d’une productivité élevée, mais surtout de leur position dans l’économie-monde, qui peut s’apparenter à une forme contemporaine des bénéfices hérités de l’impérialisme. A ce sujet, voir Smith/Rivallan, L’Imperialisme au Xxie Siecle. Mondialisation, Sur-Exploitation et Crise Finale du Capitalisme, Paris, Editions Critiques, 2019?

  4. J. Bidet, Le néolibéralisme?: Un autre grand récit, Paris, Les Prairies Ordinaires, 2016, p. 71?

  5. Mise en place de restrictions afin de réduire les contaminations, puis leur relâchement afin de favoriser la reprise de l’activité économique (tout en entraînant une reprise épidémique, comme nous avons pu l’observer à plusieurs reprises).?

  6. Stratégie visant à « éteindre » l’épidémie par un confinement strict puis la mise en place de mesures strictes très localisées dès que des nouveaux cas font surface. C’est ce qui permet à la population de certains pays de vivre tout à fait normalement depuis des mois. Cette stratégie implique un contrôle strict aux frontières, ainsi qu’une mise en « quarantaine » des nouveaux arrivants, potentiellement porteurs du virus…?

  7. The Guardian, « Dramatic drop in Covid cases gives India hope of return to normal life » (https://www.theguardian.com/world/2021/jan/28/dramatic-drop-in-covid-cases-gives-india-hope-of-return-to-normal-life)?

  8. Pour certains observateurs, l’épidémie y a toujours été plus dramatique que les chiffres officiels ne le laissent penser. Voir par exemple P. Chatterjee, « Is India missing COVID-19 deaths? », The Lancet, 5 septembre 2020 (https://doi.org/10.1016/S0140-6736(20)31857-2). La situation est similaire dans plusieurs pays du Sud, où un test Covid (coûtant parfois jusqu’à un quart du salaire mensuel) est un luxe inconcevable pour les habitants des bidonvilles. Il en va de même pour la (sur)mortalité, dans des pays dans lesquels en temps normal de nombreux décès ne sont pas enregistrés.?

  9. Cette alimentation souvent trop riche par certains aspects (calories vides) et pauvre par d’autres n’est pas homogène dans la société contemporaine. Ici encore les habitudes alimentaires reflètent bien souvent un habitus de classe, intégré durant l’enfance, comme la réalité de conditions matérielles d’existence qui ne sont pas les mêmes pour tous… ?

  10. Si cette observation était évidente dans les premiers mois de la pandémie, de part les spécificités démographiques et la plus forte présence de certaines comorbidités dans les pays riches, il n’est pas impossible que cette dynamique s’inverse dans les semaines à venir. Les vaccins à ARN messager, affichant pour l’instant les plus forts taux d’efficacité face aux derniers variants sont (malgré le peu de recul sur l’usage vaccinal d’ARNm synthétique encapsulé dans des nanoparticules lipidiques) massivement diffusés aux populations du centre capitaliste, et, dans le reste du monde, en premier lieu aux personnes qui en ont les moyens. La vaccination plus rapide des pays les plus riches, effectuée majoritairement avec les vaccins les plus efficaces, pourrait ainsi leur permettre d’envisager une accalmie relativement rapide de l’épidémie, alors que d’autres pays, moins dotés en capital, resteraient dans une situation sanitaire tendue.?

  11. Si cela peut s’observer sur les comportements individuels, on retrouve le même phénomène dans la gestion étatique. Que l’on pense par exemple aux réservoirs de circulation virale que constituent les établissement scolaires, dans lesquels un protocole adapté à la situation n’a pas été mis en place à la rentrée 2020 en France, malgré la possibilité de préparer durant l’été de quoi garantir de bonnes conditions pour élèves comme enseignants (systèmes d’aération dans les salles de classes et réfectoires, détecteurs de CO2 permettant d’assurer un renouvellement de l’air optimal, embauches supplémentaires, etc.). Comme lors du fiasco sur les masques, c’est alors le mensonge d’État, épaulé par certaines « sociétés savantes » à la solde du politique qui permet de justifier un refus d’adapter certaines pratiques, ici par soucis d’économie comme par volonté non avouée de laisser circuler le virus à bas bruit pour que se développe une certaine immunité naturelle dans la population, afin de pouvoir revenir plus rapidement au « monde d’après ».?

  12. Mais qui est parfois soi-même comme le découvrent certaines personnes jeunes et initialement en bonne santé pourtant touchées par le « covid long ». Un pourcentage non négligeable des personnes ayant contacté la Covid-19 auraient des symptômes après plusieurs mois. Cela n’est pas sans conséquence sur la vie de ces millions de personnes. Si les autorités sanitaires ont d’abord ignoré le phénomène, avant d’être dépassées par les demandes lors des premières prises en charges pluri-disciplinaires visant à mieux comprendre cette maladie, c’est avant tout des collectifs de malades qui ont, dès le début de la pandémie, cherché à visibiliser l’existence de ces long haulers. Voir par exemple les ressources du collectif « Après J20 » (https://www.apresj20.fr).?

  13. Ce qui a rendu possible un taux de mortalité très faible dans certains communautés, avec la mise en place d’un protocole sanitaire non pas décidé par l’État, mais par la communauté elle-même. ?

  14. K. Marx, Manuscrits de 1857-1858 – Grundrisse?: 2 tomes, Paris, Éditions Sociales, 1980, T. 1, p. 273?

  15. Comme le disait Keynes dans une célèbre lettre à Hayek, dans laquelle il indiquait s’être trouvé tout à fait en accord avec les points principaux de La Route de la servitude ; son « attaque sur le laisser faire » de 1924 était motivée par la même volonté de sauver le capitalisme que celle d’Hayek quelques années plus tard, qui sera fondatrice du « néolibéralisme »  . Voir O. Innset, Reinventing Liberalism: The Politics, Philosophy and Economics of Early Neoliberalism, Springer, 2021, p. 71 sq.?

  16. Comme l’hydroxychloroquine ou un investissement massif dans le système hospitalier, en amont ou dans les mois suivants la première vague (faisant fi des éventuelles conditions de possibilité de ce désir : lits et respirateurs disponibles, soignants disponibles ou formables en quelques semaines…). Sur la question des traitements médicamenteux, l’objectif n’est pas ici de tenter une méta analyse des différentes études. On notera cependant que bien des « études » ont joué avec les chiffres pour défendre une stratégie thérapeutique, bien loin de toute démarche scientifique. ?

  17. Bien entendu cette croyance en la toute puissance de l