– Q :

1) Quelles sont à vos yeux les principaux points positifs du Traité Constitutionnel ? En quoi représente-t-il une avancée en particulier par rapport à la démocratie et aux citoyens européens ?

En élargissant considérablement le champ des politiques votées à la majorité et en « codécision » par le Parlement et le Conseil, le TCE représente une avancée incontestable dans l’édification d’un pouvoir politique démocratique, seul capable de lutter contre la toute puissance du marché.
Le contrôle des élus du suffrage universel direct (le Parlement européen) devient la règle, y compris sur la totalité des dépenses budgétaires et de la Politique Agricole Commune (art. 404), alors que le Traité de Nice n’accorde au Parlement que le vote du tiers des dépenses.

La diplomatie intergouvernementale, avec ce qu’elle implique de soumissions des Etats aux lobbies, et le droit de veto de chaque gouvernement deviennent l’exception.

Or pour qui sait que la pollution n’a pas plus de frontières que le marché, l’Europe se désarme et désarme les conquête sociales et la protection de la planète, à cause de cette discordance entre un espace économique unique et une multiplicité d’Etats qui doivent adopter unanimement la même décision pour avancer.
La règle de la majorité représente un pas en avant vers une Europe fédérale où le politique et la démocratie prendront progressivement le pas sur le marché.
L’autre avancée démocratique, c’est la possibilité offerte aux citoyens, qui réuniront un million de signatures sur une pétition, « d’inviter la Commission à proposer une loi ».

Les Verts, lors de la campagne pour les élections européennes, ont déjà proposé de telles pétitions, contre les OGM, pour la citoyenneté de résidence, etc.
Avec ces pétitions nous pourrons mener des campagnes à travers toute l’Europe : elles sont l’outil de la construction d’une conscience publique européenne…

– Q :

2) Sur un plan plus formel, pourquoi avoir donné à la partie III une valeur constitutionnelle ? Et que penser des modalités de révision exposées dans la partie IV du Traité ? Le Traité sera-t-il plus facilement révisable que les Traités actuels ?

La partie III du TCE est la compilation « améliorée » des traités de Maastricht, Amsterdam, et Nice.

C’est là qu’est acté, article par article, l’accroissement des pouvoirs du Parlement et le passage de l’unanimité à la majorité. En outre c’est là que figure le fameux article 122 qui fait obligation de financer les services publics définis par la loi européenne. La troisième partie est donc indispensable (sinon on en resterait, sur tous ces points, à Nice).

Mais il aurait fallu lui donner le statut d’une loi organique, amendable selon une règle moins rigoureuse que le reste de la constitution (ce qui est d’ailleurs pris en compte, mais pas suffisamment, par les articles IV-444 et IV-445). Les gouvernements, qui voulaient « blinder » leurs droits de veto, en ont décidé autrement.
Quant aux autres parties, elles constituent la « vraie constitution ». En fait, depuis le traité de Maastricht, l’Europe a commencé à se doter d’une Constitution, un ensemble de méta-règles qui ne précisent plus toutes les politiques communes, mais seulement la manière dont celles ci doivent être collectivement décidées. Et il est excellent que cela soit solennisé.

Mais cette Constitution sera révisable, et plus facilement que ne l’est l’actuel traité de Nice qui précise en trois lignes qu’il ne peut être révisé qu’à l’unanimité.
La procédure de révision ordinaire (art. 443) innove, en dotant le Parlement du droit d’initiative, en prévoyant la réunion de la Convention (assemblée de députés européens et nationaux) pour examiner les modifications importantes, et en autorisant le Conseil à trouver un arrangement au cas où la révision, au bout de deux ans, ne serait ratifiée que par quatre cinquièmes des pays. La partie IV rend le TCE amendable en permanence.

– Q :

3) Qu’est-ce qui vous fait voter oui à ce texte alors que vous, ainsi que les Verts français et européens, vous étiez opposés à Maastricht, Amsterdam et Nice ?

Le traité de Maastricht a offert à l’Europe une monnaie unique, consolidant un marché unique qui solidarise nos nations. Mais il lui manquait les institutions démocratiques permettant aux citoyens de contrer les excès de la concurrence et de la loi du profit. En outre, la défense européenne était intégrée à l’OTAN (article 17-4). Enfin je désapprouvais les règles budgétaires et monétaires associées à l’euro.
Pour ces raisons, j’avais voté Non, doutant qu’une Europe politique viendrait vite s’ajouter à l’Europe des marchés.

Puis je me suis opposé à Amsterdam et Nice, qui confirmaient les critères de convergence de Maastricht, gravés dans le marbre du « pacte de stabilité », et qui verrouillaient encore plus la décision politique par un système de triple majorité.
Par rapport à ces traités, le TCE propose deux avancées importantes. La première, je l’ai déjà dit, c’est le bond en avant de la démocratie, le pouvoir à la majorité.
La seconde concerne l’autonomie de l’Europe par rapport à l’Otan : avec le TCE, l’intégration de la défense européenne à l’Otan disparaît purement et simplement. Il est simplement précisé que « certains pays » pourraient demeurer dans l’Otan, et qu’alors leur défense dans le cadre de l’Otan serait « compatible » avec la défense européenne.

En revanche la capacité d’intervention de l’Europe en tant que telle, « dans le cadre de la charte des Nations Unies », ne fait tout simplement plus référence à l’Otan (article 41-6, qui remplace le 17-4). C’est un changement considérable, un premier pas vers la défense autonome de l’Union européenne.

Bien entendu, cette évolution reflète les désaccords profonds entre l’Europe et les Etats-unis qui se sont révélés à l’occasion de l’invasion de l’Irak, mais qui sont appelés à se développer.

Concernant le troisième point, il est vrai que les règles monétaires et budgétaires adoptées à Maastricht restent inchangées dans le TCE. Cela ne veut pas dire qu’elles ne seront jamais changées.

Déjà, le Conseil européen du 26 mars 2005 a aboli (à l’unanimité à 25, donc !) les sanctions relatives au pacte de stabilité. Avec l’article 445 du TCE, ces gouvernements auraient pu modifier le pacte lui-même. La révision des objectifs de la banque centrale pourra être obtenues sans difficulté par le même article, en copiant par exemple les objectifs de la FED américaine (stabilité des prix ET plein emploi).

Au-delà des trois points qui m’avaient fait voter non à Maastricht, et dont deux « tombent avec le TCE », j’ajouterai un Oui de solidarité avec les autres pays de l’Union, et notamment ceux de l’ex-Europe de l’Est, parce que le TCE propose une « égalisation dans le progrès » (article 209) des conditions de vie et de travail au sein des pays de l’Union européenne.

La Charte des droits fondamentaux (partie II) reconnaît des droits individuels et sociaux qui, s’ils sont le plus souvent acquis en France – et encore – ne le sont pas dans de nombreux pays de l’Union. Par exemple, le « droit de fonder une famille » n’est plus associé au mariage hétérosexuel (art. 69).

– Q :

4) Quel sens donnez-vous à votre oui ?

A quelques semaines du référendum, le Non fait la course en tête. Les tenants du Non, en France, sont désormais devant leurs responsabilités. J’entends bien ce Non de ras-le-bol, ce Non qui veut dire Non à la politique de démolition sociale du gouvernement Chirac-Raffarin.

Mais ceux-là, je les supplie de ne pas se tromper d’élection. Plus question « d’envoyer un message » ou « d’exprimer son mécontentement ». Chaque voix compte, chacun est « le peuple souverain » qui décidera, le 29 mai, que la France est pour adopter la Constitution européenne, ou pour en rester aux actuels traités.
Ceux qui prônent un Non révolutionnaire, un Non parce que « peut mieux faire », n’ont jusqu’à maintenant pas dit « avec qui », avec quels alliés majoritaires en Europe ils parviendront à mieux faire.

Chacun doit donc voter en fonction de l’Europe qu’il souhaite pour le 1er novembre 2006, date supposée d’entrée en vigueur du Traité constitutionnel (art. 447). Ne pas adopter la constitution, ce serait simplement en rester au traité de Nice. Et l’Europe actuelle, celle de Maastricht-Nice, c’est l’Europe de la stagnation, des privatisations et du chômage.

Aujourd’hui, enfin, le projet de Constitution marque un pas en avant, limité, mais conséquent. Les gains démocratiques, sociaux, écologistes, féministes, sont réels et immédiats. La possibilité d’aller encore plus loin est ouverte. Déjà le groupe Vert au Parlement européen travaille à un « premier » amendement ». Déjà, dans toute l’Europe, les mouvements sociaux rôdent leurs futures pétitions (pour la citoyenneté de résidence, contre les OGM, etc…)

Entre Nice et le TCE, il n’y a pas photo. Mon Oui est un oui de combat. Pour démocratiser l’Europe dès l’année prochaine. Pour construire demain, avec nos alliés des 25 pays, l’Europe écologiste et sociale.

– Alain Lipietz
– Député Européen (les Verts)

http://lipietz.net