Les lectures dominantes et persistantes sur l’apparition du fascisme tendent à décrire et découper schématiquement sa construction. L’opération finale consisterait en un événement majeur, qui transformerait radicalement la phase des choses. Cette vision tend à s’incarner par l’élection d’un dirigeant d’extreme droite, en l’occurence Marine Le Pen. Cette interprétation a de quoi être largement erronée lorsque l’on constate la progression et l’accumulation des idées racistes alors que le FN n’a jamais érigé un de ses candidats sur le trône de France. Il semble clair qu’il n’y ai pas besoin de régnerpour gouverner avec des idées racistes, et que ces mixtes de savoirs-pouvoirs sont finalement les fondements de la gouvernance française présente. La lecture du fascisme qu’on tente de proposer ici s’articule à l’accroissement de micro-événements qui, nous le voyons bien, s’articulent chaque jour aux simulacres actuelles comme celles du séparatisme, du communautarisme, de l’islamisme, de la sécurité, du contre-terrorisme, du voile, ou de recettes de cuisines…

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Les mots changent, [ou pas véritablement d’ailleurs] quand nous percevons les retours et les résonances [racines] de thèmes et leurs actualités. Ce qui importe, c’est que ce lexique et cette quotidienneté racistes sont alimentés chaque jour, comme si des termes soit-disants neutres devaient briller sans qu’on les interroge. L’insécurité et la sécurité sont devenues les deux concepts clés qui dirigent les politiques, de droite comme de gauche. La République blanche produit ce qu’elle fait de mieux, la conjonction et la convergence des intérêts de droite et de gauche à créer la peur de l’autre : l’arabe et le noir. La persistance de ces sujets sert bien évidemment leur propre accumulation, car il parait fondamental d’invisibiliser le simple questionnement de leurs présences. Habiter continuellement l’espace de simulacres racistes permet de ne pas interroger leurs propres existences, et finalement de prétendre à leur neutralité.

Les racines françaises de la destruction en cours sont multiples : pétainisme, gaullisme, sarkozysme, valssisme. Cherchez les -ismes les plus vils et vous trouverez facilement les derniers défenseurs et producteurs des exclusions françaises actuelles. Le dernier projet de loi contre le séparatisme vise tout groupe ou toute bande d’amis qui tentent de se construire de manière autonome et qui osent un tant soit peu critiquer et dénoncer les mécanismes de notre chère République. Voir et écouter Marlene Schiappa rire sur une grande chaine de radio quand on lui parle de sexisme corse et reprendre tout son sérieux pour signaler, qu’au fond, les sexistes ce sont les Arabes et les Noirs et qu’il faut nettoyer la France de ces malades, nous alerte sur le fait que le fascisme est déjà là et que LREM se débrouille très bien tout seul. De même, quand la classe politico-médiatique et le plus haut de l’Etat et ses ministres soutiennent l’attaque et le harcèlement islamophobes contre une étudiante musulmane qui propose des recettes culinaires économiques ou tout récemment avec l’agression d’une jeune femme voilée lors d’une audition parlementaire. Sous les attraits du féminisme [femonationalisme] et de la laïcité, se trouvent les multiples possibilités du racisme.

II :

Il y a encore quelques mois en plein confinement, nous nous souvenons quand nous nous étions tous moqués de Macron déclarant la guerre au coronavirus. Cette fonction souveraine de déclarer la guerre n’est pourtant pas quelconque. La logique des différents gouvernements qui se succèdent réside pourtant ici : faire la guerre à ses ennemis déclarés. Cette hostilité n’est pas nouvelle et l’on pourrait à juste titre citer Foucault : «  à vrai dire, le discours raciste n’a été qu’un épisode, une phase, le retournement, la reprise en tout cas, à la fin du XIXe siècle, du discours de la guerre des races, une reprise de ce vieux discours, déjà séculaire à ce moment là, en des termes socio-biologiques, à des fins essentiellement de conservatisme social et, dans un certain nombre de cas au moins, de domination coloniale. » [1]. Ici, c’est la réactivation permanente d’un héritage de purification et de guerre raciale et sociale qui traverse la société française de part en part.

Ce qui est nouveau ce ne sont pas forcement les thèmes mais leurs articulations et leurs rôles premiers  et constants dans les débats et ses spectacles permanents. Ce n’est pas la première fois que les arabes et les noirs sont ciblés en France et ce ne sera malheureusement pas la dernière. Ce qui diffère, ce sont les phases d’intensification et l’articulation des attaques et des offensives qui sont menées contre eux. La tactique actuelle n’invente véritablement rien, si ce n’est qu’elle puise dans l’Histoire les sources multiples de la configuration générale des hostilités. Il n’y a pas besoin de remonter à bien loin pour voir que Darmanin regarde chez son ami Sarkozy pour voir ce qu’il a pu produire de mieux en terme de guerre des races au début des années 2000. Ce dernier ayant encore pu tranquillement déballer son racisme à une heure de grande antenne sans être inquiété. Ces réactivations s’exercent dans des discontinuités continues. L’intensité actuelle se traduit par les menaces que les combats anti-racistes à l’échelle mondiale construisent. Tout comme la campagne pour les élections (?) de 2022 est en ligne de mire, sans oublier le bilan catastrophique de Macron, avec la situation économique post-confinement. Cette guerre, [ou la dictature et le fascisme en cours] ne doit pas seulement s’interpréter en événement majeur, mais aussi par sa sourde quotidienneté, comme « stratégie globale des conservatismes sociaux » et « de purification permanente » [2].

N’oublions pas, d’autant plus, que du point de vue du pouvoir et du récit historique, le gouvernement doit se raconter à lui même et aux autres qu’ « il s’agit de faire que la grandeur des évènements ou des hommes passés puisse cautionner la valeur du présent, transformer sa petitesse et sa quotidienneté en quelque chose, également, d’héroïque et de juste » pour fonder sa gloire. [3] La guerre et la violence s’articulent à un récit et à un discours historique. Elles sont en quelques sorte nouées, l’une n’existe pas sans l’autre. Pour cause, la violence discursive actuelle ne peut exister sans une violence pratiqueexercée par la police, la justice, l’école, exercée sur ses ennemis. C’est ce que Foucault essayait lui aussi de démontrer à l’aide de Boulainvilliers ou Clausewitz.

L’hégémonie du pouvoir n’est pas une donnée de base mais bien une construction permanente  qu’il faut alimenter. De plus, cette lutte pour l’hégémonie reste un combat perdu d’avance, tant le terrain de la bataille est truqué par des vainqueurs déjà désignés qui ont façonné le milieu de la bataille pour détruire leurs adversaires. Pour cela, il faut saturer l’espace par des politiques racistes, faire abonder des discours à travers une présence quotidienne pour montrer sa force et sa légitimité. Les événements ont beau être insignifiants et ridicules, ce qu’ils fondent représentent bien quelque chose : le conservatisme social et la fondation du racisme en cours. L’esprit libéral du débat, de la discussion et de l’échange avec l’ennemi donne une configuration falsifiée. La bataille c’est l’offensive, l’attaque, le sabotage. On ne joue pas avec des règles dont on n’a pas décidé les fondements. Un minimum de culture historico-politique laisserait percevoir qu’accepter de se connecter sur les problématiques que commande la droite, aboutit forcément à des défaites sanglantes. Ce pays sait de quoi il parle, sa gauche étant une productrice inégalable dans la validation et l’agencement des politiques xénophobes les plus destructrices.

III :

Finalement, ce que nous soulignons réside dans une généalogie de cette micro-évènementialité, qui est à intégrer dans l’analyse sociale générale. Cela montre ce qui se produit à l’intérieur des mécanismes de l’Etat, de la République et du régime démocratique actuels. La dictature n’est pas un horizon seulement lointain, elle se re-construit et esquisse des retours, surgit partout là où elle peut nourrir la guerre actuelle, là où ses dispositifs et son appareillage se révèlent utiles et fonctionnels.

Les sursauts et les processus de transformations contre l’élection d’un candidat d’extrême droite ne sont pas mécaniques et automatiques, tout comme l’organisation révolutionnaire contre un parti non déclaré d’extreme droite mais qui réalise la politique désirée par cette dernière. En somme, ce qui se déroule en ce moment en France. Par ailleurs, ce que nous montre ces dernières semaines et mois sur le climat et l’ambiance générale française a de quoi inquiéter. L’atmosphère fascisante et son spectacle raciste rythment le quotidien médiatique et politique. Non seulement au sommet de l’échiquier politique mais également au ras de la société. Quand on voit la répétition des polémiques, des sujets ou des simulacres racistes qui conditionnent le quotidien des Français, il y a de quoi se questionner sur les fondements racistes et réactionnaires disponibles dans ce pays. La société est traversée de part en part par une actualité fasciste. Seulement, construire une analyse sur les élites racistes serait une erreur monumental à ce stade. Une analyse sociale du racisme, comme peut nous aider Foucault à la réaliser, est bien de percevoir ce qui pénètre la société française dans son ensemble, et les disponibilités et dispositions racistes de ce pays.

Bien évidemment, nous ne nions pas que l’élection d’une Marine Le Pen pourrait transformer radicalement la situation française. Néanmoins, il semble que se construisent maintenant des choses, des micro-évènemenents que Le Pen n’a même pas besoin d’élaborer, de ratifier, de fonder tant LREM s’y attelle et que la configuration générale actuelle nourrie le fascisme en cours. En somme, de dépasser l’analyse libérale et démocrate du fascisme.

IV :

Pour finir cet exposé, plusieurs indices et agencements massifs doivent être énoncés : la fusion des droites et des gauches sur le branchement de l’économie néolibérale et des politiques identitaires, la diffusion sociale du racisme, l’utilisation des appareils d’Etat et de la démocratie pour fonder la dictature, l’autonomisation des forces policières et militaires, un Parti autoritaire [LREM] et un homme providentiel [Macron], la construction et l’exclusion d’ennemis à l’intersection de critères multiples (classe/genre/race), la capture et la destruction des mouvements et résistances émancipatrices, le fondement de politiques pseudo-populaires articulées aux intérêts bourgeois, ou l’alignement des forces productives capitalistes et de la circulation marchande sur le bloc identitaire et raciste. La guerre n’interrompt pas la paix mais recouvre intégralement la société de part en part, ce qui fait d’elle la matrice des rapports sociaux et des différents champs en luttes. Civil et militaire se confondent, avec différentes armes pour arriver à leurs fins et se conserver. Ce fond civil et pacificateur de la guerre en cours, se cache derrière le monisme blanc républicain qui traverse les dualismes sociaux actuels dans « une histoire qui, maintenant, fait la guerre en déchiffrant la guerre et la lutte qui traversent toutes les institutions du droit et de la paix. » [4]

Tout cela, et bien d’autres choses encore, laissent percevoir le devenir fasciste français. Fascisme et république se confondent, démocratie et dictature s’articulent, et le racisme fonde la situation sociale actuelle. Le fascisme façonne son quotidien. Le présent est en permanence travaillé par ce devenir fasciste qui fait corps avec la réalité, où ils se superposent. La lutte contre la séparatisme, le terrorisme, le voile ou tout autre déclaration de guerre sont des offensives islamophobes et négrophobes organisées en devenir pour nuire et détruire les arabes et les noirs dans ce pays. 

[1] Michel Foucault, Il faut défendre la société (1975-1976), Paris, Gallimard, p.57

[2] Ibid, p. 53.

[3] Ibid, p.58.

[4] Ibid, p.154.

https://fractaledit.wordpress.com/2020/09/21/le-devenir-fasciste-francais-et-son-quotidien/