Dans les années qui ont suivi la prise de pouvoir par Adolf Hitler en Allemagne, un fléau sans précédent en termes de systématisation et de justification du crime de masse s’est abattu sur l’Europe et en particulier sur les peuples que les nazis qualifiaient d’indignes de vivre et pour lesquels ils entendaient appliquer leur solution finale, c’est-à-dire l’extermination physique, ceci pensaient-ils en toute impunité, dans la mesure où Adolf Hitler considérait le précédent du génocide des Arméniens définitivement oublié.

Les deux premiers peuples programmés pour le génocide furent les Juifs et les Rroms (appelés Zigeuner par les Allemands, c’est-à-dire les Rroms, les Sintés et les Kalés confondus) ; les Slaves devaient suivre.

Ces humains étaient condamnés pour ce qu’ils étaient, condamnés même avant leur naissance, par l’identité de leurs parents, sans la moindre possibilité d’échapper à la mort décidée par les nazis. La machine de massacre ne fut stoppée que par le renversement du pouvoir nazi par la force.

Or, on constate que dans cette entreprise de génocide, les nazis trouvèrent de nombreux complices dans la plupart des pays d’Europe, qui devançaient même, soit en déclarations, soit en actes, l’occupation allemande sur leur territoire. Tout se passait comme si le régime nazi donnait le coup d’envoi pour une entreprise génocidaire que tout le monde attendait mais que personne n’osait entamer le premier.

Ce double génocide, le Samudaripen des Rroms et la Shoah des Juifs, est resté tu pendant plus de vingt ans, jusqu’au moment où il a constitué un enjeu à la fois identitaire et politique. C’est alors que le monde a enfin compris que tout racisme comporte en son mécanisme la machinerie qui peut conduire à l’extermination de millions d’humains pour la seule raison d’être nés ce qu’ils sont.

Avec cette prise de conscience ont commencé des études qui conduisent aux conclusions suivantes : 1.Des quantités de documents historiques et de témoignages nous prouvent que les nazis ont considéré les Rroms et les juifs comme des races inférieures et qu’ils ont organisé l’extermination systématique de ces deux peuples en tant que peuples.

2.Ce n’est qu’en 1982 que le gouvernement allemand a admis officiellement l’extermination de 500.000 Rroms pendant la Seconde Guerre mondiale.

3.Ce chiffre est celui des Rroms exécutés dans les camps de la mort, massacrés dans les autres lieux de détention ou abattus par toutes sortes d’armes dans les villages et les forêts, sans compter les centaines de milliers de veufs, de veuves, d’orphelins, de personnes handicapées à vie dans leur santé physique et/ou mentale et toutes les autres victimes indirectes de la démence des nazis et de leurs semblables.

4.Après la libération, de nombreux Rroms ont été maintenus dans les camps plusieurs mois, voire un an, dans des conditions semblables à celles qu’ils avaient connues sous le Reich.

5.Ne disposant ni d’un appareil d’Etat ni d’institutions propres de type occidental, il n’a jamais été question à ce jour faire reconnaître par le large public l’ampleur du génocide des Rroms, ni même souvent encore son existence.

6.Les Rroms eux-mêmes ne se sont sentis concernés globalement qu’en 1971, lorsqu’ils ont créé leur première organisation internationale. Auparavant, la plaie ouverte était encore trop fraîche pour être évoquée et beaucoup de Rroms, survivants isolés de familles entières massacrées, craignaient la réaction des autres Européens, peut-être leur regret que la solution finale n’ait pas été menée à son terme, s’ils évoquaient devant eux leurs années de calvaire. C’est la nouvelle génération qui a eu l’audace de dépasser ces blocages.

7.A ce jour, seuls les Rroms résidant en Allemagne ont été indemnisés, au moins symboliquement, pour leurs souffrances dans les camps de concentration. La Suisse et d’autres pays européens ont attendu 1997 pour prendre en considération le génocide des Rroms et le reconnaître comme tel. On sait que les programmes humanitaires de la Suissepour les victimes dans le besoin ont été entachés de graves irrégularités.

8.Dans certains pays, notamment l’Autriche, la Bohême et la Moravie, l’Allemagne. les Rroms possédaient de petites usines, des entreprises, des commerces, des cinémas, des cirques, etc. et certains d’entre eux détenaient des comptes bancaires où ils avaient déposé leur épargne. Certains possédaient également de l’or. La majorité de ces Rroms se sont retrouvés en camp de concentration, pour ne jamais en revenir.

9.Dans certains pays d’Europe, comme la Tchécoslovaquie, l’Ukraine, l’Allemagne et la Yougoslavie, les Rroms avaient créé leurs propres centres culturels, écoles, églises, théâtres et orchestres, petits et grands, avec tous les instruments de musique nécessaires ; ils avaient même fondé des organisations politiques. Ces institutions contribuaient à l’émergence d’une intelligentsia rrom ; or ce développement a été interrompu avec brutalité. Le statut social actuel de nombreux Rroms européens découle largement de cette décapitation.

10.De nombreuses expériences pseudo-médicales ont également été menées sur des prisonniers rroms de tous âges. Certaines de ces expériences eurent des conséquences tragiques pour toutes les autres victimes de l’Holocauste : le gaz mortel zyklon B, par exemple, fut testé pour la première fois à Dachau sur un groupe de 200 enfants rroms de Bohême avant de tuer des millions d’autres victimes.

11.Certains documents historiques récemment dévoilés indiquent que les Rroms furent contraints de payer un « impôt sur la race » à partir de 1933 en Allemagne et dans certains pays fascistes.

12.Les atrocités et les dimensions stupéfiantes de la solution finale après 1940 ne doivent pas faire oublier les mécanismes insidieux qui ont permis, au sein d’un peuple aussi cultivé et humaniste que les Allemands, de monter petit à petit et sans grande protestation la machine de mort la plus élaborée de l’Histoire.

Dans l’Europe d’aujourd’hui, en particulier depuis 1989, et surtout en Europe de l’Est, les Rroms sont continuellement confrontée au racisme et à la discrimination directe, mais aussi à des formes plus sournoises d’exclusion et de déshumanisation, notamment au paternalisme, à la corruption, aux fausses représentations, au double langage et à d’autres formes de manipulation. Constituant une nation unique, inscrite dans une communauté d’origine (l’Inde, plus précisément sa capitale en l’an mille : Kannauj), de langue (le rromani) et de culture, douze millions de Rroms européens sont plus que jamais désemparés, pour ne pas dire isolés, face à la situation économique, sociale et culturelle probablement la plus difficile qu’on puisse connaître dans l’Europe civilisée. L’entrée dans l’Union européenne de pays comportant une forte population rromani ne semble pas améliorer sensiblement la situation de ces derniers. Diverses mesures, ouvertes ou non, sont prises pour empêcher de nouvelles migrations des Rroms, mesures souvent aussi coûteuses qu’inefficaces, sans toutefois s’attaquer aux véritables mécanismes des pratiques racistes qui sont à l’origine des migrations.

Toutes les analyses conduisent pourtant à la conclusion suivante : la tsiganophobie sous ses formes classiques et modernes se nourrit de l’ignorance concernant ce peuple et la première étape d’une amélioration doit passer d’une part par l’éducation de tous à ce sujet, tant par les moyens scolaires que par les médias, et d’autre part par la formation sérieuse d’une génération de Rroms co-responsables de la vie de la cité.

Or, l’éducation à la vérité sur les Rroms, leur histoire, leur culture, leur contribution au patrimoine européen et leur potentiel humain ne peut passer que par la reconnaissance du Samudaripen et la diffusion, d’abord dans le système scolaire, mais également sous les formes les plus variées, d’une information correcte concernant ce génocide et l’histoire des mécanismes qui y ont abouti.

L’objet de la demande ici présentée est la reconnaissance officielle du Samudaripen de la part de tous les pays qui ont contribué directement ou indirectement au génocide des Rroms et la prise de mesures pour que l’Histoire de cette tragédie soit traitée avec dignité dans l’information publique.

par Rromani Baxt Ternikano Berno Centre AVER contre le Racisme La Voix des Rroms le 2 avril 2005

– Article vu sur le site d’un des courants des Verts

– Voir aussi l’article « L’Europe vue par les gens du voyage » : http://www.onesta.net/carre18.html#Au%20bord%20de%20la%20route