Quel combat antifasciste ?

Les anarchistes ont toujours été en première ligne dans le combat antifasciste car leur position libertaire se situe par définition aux antipodes de la position autoritaire du fascisme. De ce point de vue, il s’agit à la fois du fascisme brun et du fascisme rouge. Défendant leur projet politique global – le communisme libertaire, une société autogestionnaire et fédéraliste sans capital ni État – et par conséquent la liberté d’expression, de réunion et d’association, ils ont fatalement trouvé sur leur chemin tous les autoritaires qui, sous diverses raisons, voulaient limiter cette liberté et imposer une société ultra-dirigiste, autoritaire, totalitaire. Toujours dans le camp révolutionnaire, ils ont eu affaire à la réaction bourgeoise mais aussi à l’horreur stalinienne pendant les révolutions russe (écrasement de la Makhnovtchina en 1921, de Cronstadt en 1921, emprisonnement des anarchistes et liquidation de leurs organisations alors que le danger tsariste était éliminé), espagnole (provocation stalinienne des journées de Barcelone en mai 1937), chinoise (liquidation des derniers anarchistes par les maoïstes), bulgare et cubaine (liquidation ou exil des anarchistes) [83].

Dans l’Italie mussolinienne et l’Allemagne hitlérienne, ils furent parmi les premières victimes du fascisme brun. L’arrivée des militaires au pouvoir en Amérique latine, comme au Brésil ou en Argentine, acheva un mouvement anarchiste et anarchosyndicaliste encore important. La victoire du franquisme en 1939, avec la complicité des démocraties occidentales et de Staline qui coupèrent tout élan à la révolution anti-franquiste, ainsi que du salazarisme coûta très cher aux anarchistes et aux anarcho-syndicalistes qui subirent une sauvage répression sur place mais aussi l’emprisonnement dans les camps de concentration pour ceux qui essayaient d’y échapper par l’exil (comme Gurs en France et Mauthausen en Autriche).

En matière de combat anti-fasciste, les anarchistes ont donc, malheureusement, une certaine expérience. Certes, les conditions actuelles sont différentes et il serait vain de se contenter de rappeler cette mémoire. Du moins cela serait-il suffisant vis-à-vis de ceux qui sont tenter d’amalgamer anarchistes et fascistes sont prétexte que les uns comme les autres sont anti-parlementaires et pour l’action directe, alors même que, comme on l’a vu, les fascistes se sont toujours vautrés dans le parlementarisme et la politicaillerie et que leur pseudo action directe ne sert qu’à renforcer l’autorité, et non le contraire. La position des anarchistes qui doivent se battre sur plusieurs fronts n’est pas facile.

Deux questions sont à retravailler au regard de l’expérience historique et des évolutions contemporaines :

– celle du « frontisme », du large front anti-fasciste et pluriclassiste qui a, en particulier, montré ses limites et ses dangers lors de la révolution espagnole ;

– et celle des risques que peut entraîner le mot d’ordre de grève générale lorsque les anarchistes n’ont pas les moyens de l’appliquer jusqu’au bout : malgré le succès de la grève générale contre le putsch allemand de Kapp en 1920, c’est aussi en lançant de façon répétée et désordonnée les travailleurs dans des grèves générales infructueuses, en évitant tout prolongement insurrectionnel ou autogestionnaire, que les socialistes et les communistes ont découragé la base antifasciste. Certaines grèves générales furent même des échecs retentissants qui ouvrirent un peu plus le chemin au fascisme. Malatesta, Luigi Fabbri et Camillo Berneri, notamment, ont écrit à ce sujet des textes dont les principes restent encore valables.

Enfin, il faut s’attaquer à l’imposture accompagnant la démocratie. Tâche probablement la plus difficile dans un contexte de contre-offensive idéologique menée par la classe dominante qui tente d’accréditer la faillite de tout idéal sur le dos de l’échec stalinien, et au profit du système parlementaire.

Partout où les anarchistes ont la capacité de mener le combat anti-fasciste sur des positions libertaires et révolutionnaires, ils peuvent mener l’action de façon autonome. Ce n’est pas partout possible. Là où ils doivent agir dans des collectifs plus ou moins élargis, c’est non seulement un combat idéologique qu’ils doivent mener, pas toujours facile car les individus sont de plus en plus réfractaires à ce type de discours, les médias et les politiciens brossent d’ailleurs démagogiquement le poil dans ce sens alors que les fascistes font au contraire leur miel de positions idéologiques fortes, mais aussi et surtout un combat pratique contre l’exploitation et l’oppression du système capitaliste et étatique actuel. C’est concrètement, dans les luttes quotidiennes menées par le prolétariat au sens large – tous ceux qui ne disposent que de leur force de travail – manuelle ou intellectuelle – et qui ne sont pas détenteurs des moyens de production et d’échange – que le combat libertaire s’élargira. Le soutien aux sans-papiers, même si, dans notre objectif final, nous aspirons à une société débarrassée de toute paperasserie, doit être résolu, d’autant qu’une grande partie de la gauche l’abandonné après s’en être servi une fois arrivé au pouvoir. C’est un enjeu crucial dans un combat antiraciste qui débouche logiquement et inéluctablement sur le combat antifasciste.

Philippe Pelletier et le Groupe Nestor Makhno (région stéphanoise) de la Fédération Anarchiste Novembre 1997.

Du FASCISME au POST-FASCISME : Mythes et réalités de la menace fasciste – éléments d’analyse – pp. 93-96.

http://www.monde-nouveau.net/spip.php?article168

(83). « Lalonde : O.P.A. sur les Verts ! » Le Progrès du 15/6/1991.