Cette loi sécuritaire met également au centre des débats les violences policières et les vidéos qui les documentent. De l’évacuation du camp des exilé-es Place de la République, au tabassage en règle de Michel Zecler (le producteur de musique), le racisme de la police inonde les écrans depuis plusieurs jours, relayé par un très large public. En position de faiblesse, le Ministre Darmanin s’est vu contraint de réagir à ces images qu’il veut pourtant interdire. Forcé de condamner à demi-mots des « dérives », il a même prononcé des suspensions de policiers, dans un temps record pour ce type d’affaire.

Mais l’intitulé choisi pour la marche, brandissant le mot « liberté », incite à voir bien au-delà des mesures gouvernementales visant à renforcer et défendre l’arsenal policier. Dans une société confinée qui impose des laissez-passer pour les déplacements et des couvre-feux à 21 heures, la question des libertés publiques se pose désormais dans le quotidien de toutes et tous. Mises en œuvre par un Conseil de Défense, puisant dans un répertoire colonial, ces mesures sont celles d’un pouvoir autoritaire qui surfe sur les crises pour accentuer son oppression.

Le soulèvement des Gilets Jaunes, en poussant Macron dans ses retranchements, avait déjà fait ressurgir une ligne politique autour du fonctionnement de la démocratie, en lui donnant un caractère nouveau, loin des habituels discours sur la citoyenneté. Plutôt que la liberté, les Gilets Jaunes ont brandi la « révolution » et le « pouvoir au peuple », affirmant clairement la volonté d’un changement de cadre et pas simplement un respect du cadre existant. Mais on peut quand même voir dans le moment actuel un retour ou peut être l’aboutissement de cette dynamique, sous une forme plus consensuelle pour l’instant.

Pour saisir ce cycle répressif et pour l’attaquer de front, le mouvement contre la Loi Sécurité Globale devra aussi s’inscrire dans d’autres temporalités. D’abord dans le temps bien plus long de la violence d’État, celle qui s’exerce quotidiennement dans les quartiers populaires. Et ensuite dans les temps à venir, en opposition au projet de Loi « séparatisme » qui sera porté devant l’Assemblée Nationale en décembre. En donnant la parole aux familles des victimes de crimes policiers, les précédents rassemblements contre la Loi Sécurité Globale ont fait un premier pas dans ce sens. En revanche les dissolutions du CCIF et de Baraka City, point de bascule fondamental dans l’islamophobie d’État, ont soigneusement été mises de côté. Elles marquent pourtant une sombre restriction des libertés associatives, touchant prioritairement les musulman-es et menaçant de s’étendre à d’autres formes d’auto-organisation.

Dans les universités, les lycées et les écoles, l’emprise autoritaire se resserre également. Dès le début du second confinement, les lycéen-nes se sont confrontés aux mensonges de l’État sur la gestion de la crise sanitaire et à la répression de toute contestation. Dans les écoles élémentaires, des enfants ont été dénoncés et conduits dans des commissariats pour avoir simplement défié l’autorité. Les facs sont aussi dans le viseur, accusées de propager des idées qui ne rentrent pas dans le moule macroniste, via le concept d’islamo-gauchisme directement transféré de l’extrême-droite au gouvernement, qui vise aussi bien les courants antiracistes que le féminisme ou l’analyse critique des inégalités sociales.

Cette loi porte finalement bien son nom. Elle incite à voir large, à jouer l’effet masse, en construisant une opposition « globale » face à un pouvoir engagé dans une spirale autoritaire sans fin. La modification en cours de son article 24, en faveur d’une protection des journalistes, n’est absolument pas en mesure d’infléchir cette crise profonde du modèle démocratique dans laquelle nous plongeons à nouveau.