Ce texte a été écrit collectivement au sein de la Rigaer 94, un House Project de Berlin anarchiste et déter. J’ai voulu vous le partager parce qu’il m’a semblé porter une réflexion féministe radicale pertinente sur cette journée « De lutte contre les violences faites aux femmes », sur la situation du patriarcat et de la lutte contre celui-ci. Je précise que quand le texte mentionne les femmes*, nous parlons de toutes les personnes qui s’identifient comme telles, peu importe leur assignation à la naissance.

Nous sommes le 25 novembre et on va encore avoir droit au discours pro-étatique et pseudo-féministe merdique. A vrai dire, la situation que nous connaissons est vraiment pourrie : en Allemagne une femme est assassinée par son partenaire tous les trois jours – et on ne parle pas des attaques que subissent les travailleuses et travailleurs du sexe. Le cyber-harcèlement organisé par le NSU 2.0 affecte presque uniquement des femmes et des personnes queer (note de la traductrice : le NSU 2.0, est le renouvellement du national socialist underground, un groupe d’action néo-nazi qui organise des attaques racistes notamment). Tous les jours on veut nous faire penser que les violences sexuelles sont « sexy » ou « romantiques ». Le gouvernement polonais interdit l’avortement. Dans la métropole française, les femmes qui portent la burqa continuent d’être exclues des espaces sociaux et de décision, certaines connaissent des attaques au couteau, comme dernièrement aux abords de la Tour Eiffel. Dans l’indifférence presque totale, les réfugié.es LGBTQI+ sont en permanance confronté.es à la violence patriarcale à la violence de la police, de l’État et des fascistes sur leur chemin pour l’Europe. Dans nos propres milieux, de plus en plus de cas de violences sexuelles contre les femmes* sont publicisées ces derniers temps.

En ce jour de « lutte contre les violences faites aux femmes », on entendra de nombreux discours en roue-libre sur la femme opprimée et pauvre qui a besoin d’être libérée ailleurs dans le monde. L’ONU et les gouvernements exigent plus de réformes juridiques, de mesures étatiques et de condamnation de la part de l’État pour combattre l’oppression ou la violence sexuelle. Nous connaissons un recul général causé par le patriarcat. En d’autres termes, la tendance patriarcale et conservatrice en politique devient suffisamment forte pour remettre en question les acquis féministes. Pourtant, la seule exigence reste la protection des femmes.

Mais qu’est-ce qui se cache exactement derrière cet appel à « protéger les femmes » ? Tout d’abord, que les « femmes » sont incapables de se défendre ni même de se protéger par elles-mêmes. Cette assignation persiste. Elle commence avec la princesse qui doit être secourue. Elle se faufile dans la salle du tribunal où la femme qui s’est défendue est accusée de violences. On attend des « femmes » qu’elles continuent à se remettre, sans défense et passives, entre les mains protectrices de l’État et/ou des hommes, et qu’elles ne prennent pas d’initiative pour leur intégrité physique.

Sur cette question les politiques, les bourges et les fascistes et les fondamentalistes font front commun. Le discours soi-disant généreux et progressiste de la « protection des femmes » est une manipulation idéologique et rhétorique qui est servie à la population. Et ainsi le « féminisme » parlementaire est utilisé à plusieurs reprises pour faire passer des mesures de « sécurité » racistes, classistes et autoritaires et pour justifier le monopole de l’État sur l’usage de la force. Des peines de prison plus longues et moins d’aménagements de peine ? Pour protéger les femmes. Un contrôle plus strict des migrants ? Pour protéger les femmes. L’expulsion forcée des camps de fortune ? Pour protéger les femmes. L’augmentation des prélèvements ADN ? Pour protéger les femmes. Un nouveau lampadaire ? Pour protéger les femmes. Une nouveau mât de caméra 360° ? Pour protéger les femmes.

Tout comme les pro-Deutschland ou les groupes autoproclamés Bürgerwehr, les groupes de femmes de droite non seulement encouragent la haine raciste, sociale-chauviniste et fasciste en réclamant « une protection contre les étrangers/criminels/asociaux », mais elles luttent également pour plus d’autoritarisme et d’hétéro-patriarcat dans la société. (note de la traductrice : les pro-Deutschland font référence à un mouvement et un parti d’extrême droite en Allemagne dit « mouvement citoyenniste pour l’Allemagne », dont le programme est absolument xénophobe et raciste, tandis que les Bürgerwehr sont des groupes de voisins vigilants en non mixité hommes).

Mais nous n’avons pas besoin de regarder aussi loin à droite : afin de légitimer l’utilisation de plus de flics dans la chasse aux personnes noires dans le Görlitzer park, Monika Hermann, maire de Kreuzberg, a déclaré : « Je ne traverse aucun parc à Berlin, je ne sais pas comment vous faîtes, mais en tant que femme, c’est trop dangereux pour moi ». (note de la traductrice : KereuzBerg est un quartier de Berlin). Si le soupçon de trafic de drogue ne suffit pas à chasser les noirs et les migrants du quartier, alors la bonne vieille devise fera l’affaire : protéger les femmes.

Pas toutes les femmes, bien sûr. Seulement les femmes cis et blanches d’une certaine classe sociale. (note de la traductrice : une personne « cis » est une personne dont le genre correspond au genre assigné à la naissance). Les meurtres de Beate Fisher et de Rita Awour Ojunge n’ont pas suscité d’indignation.

Il est important de rappeler que l’origine de la violence patriarcale se trouve également dans les rôles genrés. Les femmes doivent être passives, les hommes forts pour deux. Les hommes cis deviennent violents non seulement en raison de leur rôle social, mais aussi lorsque ce rôle est remis en question – car la violence patriarcale sert généralement à maintenir le pouvoir. Une première étape pour agir contre la violence patriarcale est de briser les rôles genrés. D’autant plus que de nombreuses femmes* n’apparaissent même pas dans ces rôles genrés : les femmes noires, lesbiennes, transexuelles qui subissent la violence patriarcale uniquement en raison de leur identité.

Mais il n’est pas si facile de rompre avec cette norme de passivité et avec le rôle binaire cis-sexiste. Car si vous vous défendez en tant que femme* et devenez active contre les nazis, les misogynes, les racistes ou les fascistes, vous devez vous attendre à des sanctions particulièrement sévères, et pas seulement de la part des organes répressifs de l’État. Cela n’est apparu que récemment dans le cas de l’arrestation théâtrale de Lina. Lina est accusée, dans le cadre de l’article 129 à Leipzig, d’avoir agressé des nazis organisés. (note de la traductrice : l’article 129 est grossièrement l’équivalent de notre association de malfaiteurs française). Au grand plaisir de Welt, Bild, Tag24 et autres journaux merdiques similaires, elle a été emmenée en hélicoptère de Leipzig au bureau du procureur général fédéral à Karlsruhe. Cela n’a pas manqué de nous rappeler le transport par hélicoptère de Stephan Balliet, l’assassin fasciste, dont l’idéologie antisémite et raciste a coûté la vie à deux personnes à Halle le 9 octobre 2019. Il est remarquable de voir comment dans cette pièce de théâtre orchestrée par la justice, des assassins nazis et une femme qui lutte activement contre eux sont placés côte à côte.

La presse se jette bien sûr avec avidité sur cette affaire. Il n’est pas nouveau que certains individus du mouvement de gauche radicale soient spécifiquement mis sous les feux des projecteurs. Mais voici autre chose, l’expression d’un étrange imaginaire sur le radicalisme et les femmes* radicales. En gaspillant leur encre dans la description du corps et des vêtements de notre compagnonne, ces sales journalistes n’expriment rien d’autre que leurs propres fantasmes patriarcaux.

Il en résulte une double peine pour Lina : non seulement elle a été enlevée et emprisonnée à cause de ses actions radicales et auto-déterminées, mais maintenant elle est aussi sexualisée et fantasmée par des machos. La réaction de la presse contre les femmes* qui ne se comportent pas et ne s’adaptent pas à leur rôle assigné est dégoûtante. L’affaire n’est malheureusement pas nouvelle et a particulièrement touché les femmes des groupes armés des années 70 et 80. De Gudrun Ensslin en « petite amie de Baader » à Nathalie Ménigon et Joelle Aubron, membres de l’Action Directe, sur lesquelles la presse française s’est excitée pendant des années.

Cette double punition devient une triple punition lorsque les femmes* radicales sont sexualisées ou fétichisées par leur propre mouvement, ne sont pas prises au sérieux ou exploitées par les mecs cis pour se valider.

Les temps sont durs, mais nous sommes déterminées, solidaires et ingénieuses. Ni la dynamique patriarcale du milieu militant, ni le recul patriarcal général, ni les fascistes violents ou les fascistes en uniforme ne nous empêcheront de nous protéger, de nous défendre, et d’agir de manière offensive et autodéterminée contre toute autorité et contre l’existant. Car tout antifascisme, toute lutte anti-autoritaire doit être féministe, et vice versa.

Pour un féminisme offensif et radical et un antifascisme qui ouvre les portes d’entrées des fafs au pied de biche.

Salutations très chaleureuses et vener à Lina, aux Feministische Aktions Zellen, au collectif Liebig34, à Migrantifa, à l’Alliance des féministes internationalistes et à toutes les personnes qui se battent dans des luttes intersectionnelles.

Faisons de chaque jour un jour de contre-violence féministe !

https://rigaer94.squat.net/2020/11/24/25-11-tag-fur-eine-feministische-gegengewalt-day-for-feminist-counterviolence/