Avant de répondre à une question, le bon sens voudrait que, d’abord on la comprenne. Et qu’après, et seulement après, on donne une réponse. Ca, c’est le bon sens. L’ennui, c’est que ce mot semble absent du dictionnaire de la démocratie actuelle.
Et pour cause ! Comment se forger une conviction sur un texte présenté à l’approbation populaire lorsque ce texte est – et les mots sont pesés – totalement incompréhensible à la quasi totalité du corps électoral. 448 articles, à côté desquels les 89 articles de la Constitution française font figure d’abécédaire pour gamins de maternelle. Sur les rares votants au référendum du 29 mai, car ils seront rares n’en doutons pas, l’immense majorité n’aura pas lu le texte, quant à le comprendre…

Drôle de système politique qui demande à des électeurs de se prononcer sur un texte totalement obscur à l’entendement du plus grand nombre. Qui abuse de la crédulité du corps électoral en lui faisant croire que de son oui ou de son non dépendra l’avenir de l’Europe, ce qui est totalement faux, dans un sens comme dans l’autre. Drôle de démocratie encore qui joue sur le passionnel au détriment du raisonnable, en oubliant que ceux qui ont des convictions sans connaissances raisonnent comme des tambours. Et, drôle de démocratie enfin, qui ne craint pas d’affirmer que si le non l’emporte il suffira de faire re-voter le peuple un peu plus tard. Et si c’est le oui, on fait pareil ?

Si ce texte, au lieu d’être issu de la réflexion (?) de la caste politique, émanait d’un organisme marchand, les politiques se bousculeraient au créneau pour dénoncer ce que l’article L.122.8 du Code de la consommation qualifie d’abus de faiblesse : « Quiconque aura abusé de l’ignorance d’une personne pour lui faire souscrire (…) des engagements (…) sous quelque forme que ce soit, (…) sera puni d’un emprisonnement de cinq ans (…) lorsque les circonstances montrent que cette personne n’était pas en mesure d’apprécier la portée des engagements qu’elle prenait ». C’est, au mot près, l’exacte définition de ce qui va être proposé aux Français le 29 mai.

Juste pour l’anecdote, il y a même dans cette constitution un paragraphe qui ratifie un traité passé entre la Norvège et la Laponie. Avant d’avoir la curiosité de savoir de quoi il s’agit, si ça se trouve c’est bien ! commencez donc par apprendre le Lapon. Ou, si vous n’êtes pas trop courageux, le Norvégien. Il n’existe aucune traduction. De toute façon, comme ce paragraphe est en fin d’un texte que personne ne lira jusqu’au bout, à quoi bon ! ont dû se dire les rédacteurs du projet. Les adeptes de l’humour au deuxième degré iront jeter un coup d’œil sur le texte du « Protocole sur l’Eurogroupe » et sur celui du « Protocole portant modification du traité Euratome » qui font partie intégrante de la Constitution européenne. Un véritable régal !

Devant une telle aberration, la seule conduite raisonnable est l’abstention. Car est citoyen sensé celui qui ose affirmer : « Je ne peux pas savoir donc je ne me prononce pas ». Certains se consoleront en se disant que tout n’est pas perdu car, au final, c’est la raison qui l’emportera puisque les abstentionnistes seront largement majoritaires. Piètre consolation !

Dans un système politique cohérent, on ne consulte le peuple que sur des sujets dont il peut connaître les tenants et aboutissants. Cela s’appelle du bon sens. De la clérocratie aussi.