GENS UNA NON SUMUS

Les doctorants ont-ils un quelconque droit réel ?

Isabelle Debergue

25 rue d’Arcueil, 92120 Montrouge

Portable : 0615086308

isabelle_debergue@yahoo.fr

1. Qui contrôle les établissements d’ « élite » ?

En janvier 2005, deux importantes universités et un institut de recherche
également très connu ont fait la une des médias. Non pas pour une importante
découverte scientifique, mais à cause de leur mise en examen dans l’affaire de
l’amiante de Jussieu. Tout en respectant la présomption d’innocence, on est en
droit de se dire, comme pour l’affaire de l’ARC, que certaines situations
n’auraient pas lieu de se produire si les institutions chargées de contrôler
les établissements et organismes scientifiques agissaient de manière plus
conséquente et sur le terrain, dès que les indices d’un problème potentiel
surgissent. Paradoxalement, l’influence des hiérarchies scientifiques semble
avoir des effets négatifs.

2. Des ambiguïtés institutionnelles et politiques

Cette insuffisance du contrôle des institutions scientifiques frappe les plus
faibles dans le contexte professionnel, dont les doctorants font partie. Et les
lobbies institutionnels ont la mémoire courte. Des personnalités « en vue » qui
se plaignent, et qui disent représenter ou défendre les chercheurs,
participaient avant le printemps 2002 à des activités du gouvernement de la
France : qu’ont-ils fait alors ? Ma modeste expérience en tant que doctorante
en Biologie ne parle pas en leur faveur.

Le projet initial du financement de ma thèse impliquait une Unité Mixte, un
organisme de recherche associatif et un partenaire industriel privé qui, à ce
jour, m’est inconnu. Dès septembre 1998, j’aurais dû pouvoir commencer la
préparation de ma thèse : il n’en a rien été. Pendant un an et demi, j’ai été
obligée d’ « attendre » sans avoir accès à des négociations soi-disant sur le
point d’aboutir. Après de nombreuses annonces vaines de l’arrivée imminente du
financement, restées sans suite et sans qu’il m’ait été permis de m’inscrire en
thèse faute de ces fonds, il m’a été notifié en novembre 1999 une « bourse » de
7000 FF pendant 24 mois à compter du 1 janvier 2000 qui devait être « gérée par
»
l’organisme associatif placé sous la tutelle de l’Etat et dont, selon ses
statuts, les « bourses » sont contractualisées. La Présidence de l’Université
Paris VII a autorisé mon inscription en thèse, ce qui d’après la Charte des
Thèses, , impliquait que ma
situation était censée être claire, couverture sociale et assurances comprises.
La réalité s’est avérée très différente. En arrivant dans mon laboratoire
d’accueil, je restais sans nouvelles précises de mon financement, de ma
couverture sociale, de la « régularisation » annoncée de ma situation…

Le financement s’est fait attendre et, lorsque j’ai commencé à recevoir ma «
bourse »
, ça a été via des chèques personnels d’un responsable, ensuite par des
chèques de l’organisme associatif sans aucun bordereau précisant ma situation
administrative et contractuelle. Je m’en suis inquiétée, mais j’ai alors été
éjectée par une simple décision du directeur (de thèse et de laboratoire) qui,
en mai 2000, a déclaré mettre fin à ma thèse et s’est adressé à l’organisme
associatif pour faire supprimer mon financement. Je me trouve sans ressources
depuis cette date.

Mon expulsion étant manifestement illégale, car seul le Président de
l’Université aurait pu prendre une telle décision, je me suis adressée à cette
Présidence et au Ministère de la Recherche. Au sein du Ministère, mon dossier
a été traité par l’une des personnalités les plus significatives de l’actuel «
Sauvons la Recherche »
. Sa réponse a consisté à se solidariser avec mon
directeur sous prétexte que « les directeurs » seraient souverains « chez eux
». Le 8 décembre 2000, le Tribunal Administratif de Paris a annulé mon
expulsion mais, même après une procédure juridictionnelle en exécution, je n’ai
jamais pu obtenir une réelle réintégration. Je n’ai eu droit à aucun
encadrement, pas plus qu’à des moyens de travail pour la poursuite du programme
de recherche sur la base duquel j’avais été inscrite en thèse. L’inscription
pour 2003-2004 m’a été refusée (ainsi que pour 2004-2005), comme si on ne me
pardonnait pas d’avoir gagné un procès « contre » un professeur – directeur –
praticien hospitalier – chef de service. Lorsque je me suis plainte de ce qui
m’est apparu comme un refus systématique d’appliquer la Charte des Thèses, le
Tribunal Administratif de Paris m’a répondu par ordonnance que cette Charte
n’oblige personne
, ni le directeur de thèse ni l’Université.

3. Je demande votre solidarité pour faire valoir la Charte des Thèses

Aussi incroyable que cela puisse paraître, l’Université Paris VII et le
Ministère de tutelle ont plaidé que la Charte des Thèses ne comporterait aucune
obligation concrète pour le directeur de thèse ni pour l’école doctorale.
Auraient-ils osé le faire en public ou devant des organisations de doctorants ?
Tel ne semble pas être le cas, à en juger par la réponse (voir 5. ) faite
quelques mois plus tard par le Ministre Monsieur François d’Aubert à une
question écrite du Député Monsieur André Santini. Avec tout le respect dû à la
justice, je constate que l’ordonnance du 8 janvier 2004 du Tribunal
Administratif de Paris (voir 4.) ne répond pas à mon moyen principal basé sur
le caractère réglementaire de la Charte des Thèses découlant de son adoption
par le Conseil d’Administration de l’Université et de l’arrêté ministériel du 3
septembre 1998, .

J’ai fait appel de ladite ordonnance. S’agissant d’une décision qui porte sur la
valeur réglementaire d’un texte officiel
, son contenu est susceptible de faire
grief aux organisations représentatives des chercheurs et des doctorants
.
J’invite ces organisations à se solidariser avec mon action.

4. Extrait de l’ordonnance du Tribunal Administratif de Paris

(…) N° 0311110/7 (…) Ordonnance du 8 janvier 2004
(…) Melle Isabelle DEBERGUE demande au tribunal d’annuler la décision par
laquelle son directeur de thèse a refusé d’appliquer la charte des thèses
signée le 20 janvier 2000 ; (…)

Sur les conclusions à fin d’annulation présentées par Melle DEBERGUE

Considérant qu’aux termes de l’article R 222-1 du code de justice
administrative: « … les présidents de formation de jugement des tribunaux …
peuvent, par ordonnance: 4° rejeter les conclusions entachées d’une
irrecevabilité manifeste non susceptible d’être couverte en cours
d’instance… »
;

Considérant que Melle DEBERGUE conteste une décision par laquelle son directeur
de thèse aurait refusé d’appliquer la charte des thèses
; que cet acte a été
adopté par le conseil d’administration de l’université Paris VII – Denis
Diderot le15 décembre 1998, puis cosigné par la requérante et son directeur de
thèse le 20 janvier 2000; que s’il est prévu qu’au moment de son inscription le
doctorant signe avec le directeur de thèse la charte des thèses, une telle
indication implique simplement que les intéressés ont pris connaissance de ce
document et n’a pas pour objet d’établir une relation contractuelle entre les
signataires; qu’ainsi la décision de refus contestée (…) ne saurait présenter
le caractère d’une décision administrative faisant grief et n’est pas de nature
à être déférée au juge de l’excès de pouvoir (…)

Sur les conclusions reconventionnelles à fin d’indemnisation présentées par
l’université Paris VII – Denis Diderot

Considérant que l’université Paris VII – Denis Diderot saisit le tribunal de
conclusions tendant à la condamnation de Melle DEBERGUE au paiement d’une
indemnité de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure
abusive; que le juge administratif ne peut être saisi que de conclusions
indemnitaires présentées à l’encontre d’une personne morale de droit public;
que, par suite, les conclusions reconventionnelles formulées par le défendeur à
l’encontre de Melle DEBERGUE, personne physique, doivent être rejetées comme
portées devant un ordre de juridiction manifestement incompétent pour en
connaître ; (…)

Considérant, que dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire
droit aux conclusions de l’université Paris VII- Denis Diderot tendant à la
condamnation de la requérante à lui verser une somme de 2 500 euros au titre
des frais exposés et non compris dans les dépens;

ORDONNE:

Article 1er : La requête susvisée est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par l’université Paris VII Denis-Diderot
tendant à la condamnation de Melle DEBERGUE au paiement de la somme de 5 000
euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive sont rejetées
comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 3 : Les conclusions présentées par l’université Paris VII Denis-Diderot
sur le fondement de l’article L 761-1 du code de justice administrative sont
rejetées. (…)

5. Question écrite de M. Santini et réponse du Ministre de la Recherche

Question : (JO du 11 mai 2004) M. André Santini appelle l’attention de M. le
ministre délégué à la recherche sur la valeur juridique de la charte des
thèses. L’arrêté ministériel du 3 septembre 1998 (…) dispose que « directeur de
thèse et doctorant ont donc des droits et des devoirs respectifs d’un haut
niveau d’exigence. Cette charte définit ces engagements réciproques en
rappelant la déontologie inspirant les dispositions réglementaires en vigueur
et les pratiques déjà expérimentées dans le respect de la diversité des
disciplines et des établissements. Son but est la garantie d’une haute qualité
scientifique. L’établissement s’engage à agir pour que les principes qu’elle
fixe soient respectés lors de la préparation de thèses en cotutelle ». Le
caractère réglementaire de la charte des thèses semble découler de l’arrêté
ministériel du 3 septembre 1998 (…) Or le tribunal administratif de Paris
vient de juger, dans une ordonnance rendue le 8 janvier 2004, que la charte des
thèses n’oblige ni le directeur de thèse ni l’université de tutelle (…). Par
conséquent, il lui demande de préciser le statut et la portée de la charte des
thèses, et de lui faire savoir si l’adoption de la charte par le conseil
d’administration d’une université génère une obligation concrète pour le
directeur de thèse ou l’organisme d’accueil des doctorants.

Réponse du Ministre de la Recherche: (J0 du 27 juillet 2004) (…) Créée par
l’arrêté ministériel du 3 septembre 1998, la charte des thèses définit les
droits et les devoirs respectifs du doctorant d’une part, de son directeur de
thèse ainsi que des structures d’accueil d’autre part, en rappelant la
déontologie qui inspire les dispositions réglementaires en vigueur (…) Si elles
n’ont pas valeur contractuelle, les dispositions de la charte des thèses,
approuvées par le conseil d’administration de l’université, constituent
néanmoins des règles d’organisation du service que doivent respecter les
enseignants et les doctorants de l’établissement (…).