On évoque souvent le darwinisme social qui s’est mis en place durant la crise du coronavirus : médecine de guerre (d’abord à Mulhouse), faire vivre et laisser mourir, tri âgiste et validiste des patient.e.s. 

 

L’austérité politique qui dérive d’une gestion étatique de la crise économique est à la source de ce désastre (« casse de l’hôpital public »). 

 

Cela étant sur un plan existentiel et social, on évoque moins souvent les traumatismes qu’ont dû subir les soignant-e-s eux-mêmes et elles-mêmes (en particulier les soignant-e-s subalternes), en devant « assumer » apparemment de tels actes. Certains et certaines d’entre eux seront durablement impactés dans leur vie par une telle séquence de crise sanitaire. Leur non-reconnaissance se poursuit d’ailleurs, et la répression de leurs luttes actuelles montre à quel point ils et elles ne sont pas respectées.

 

Un.e syndicalisme révolutionnaire conséquent.e devrait promouvoir la reconnaissance sociale et même la réparation pour ces personnes qui sont devenues apparemment maltraitantes voire « meurtrières », contre leur gré. Un système qui contraint ses agents exploités d’assumer des actes violents alors même que de tels agents sont d’abord victimes d’une casse qu’ils dénoncent depuis des années est bien la barbarie en soi. 

 

Plus généralement, un tel combat syndicaliste révolutionnaire pourrait cibler le monde du travail en général. Le syndicalisme est trop souvent redistributionniste ; il ne remet pas en cause le travail, l’argent la production et l’exploitation mais il se contente de les gérer de façon dite « humaniste » (contradiction dans les termes). Un syndicalisme révolutionnaire qui viserait l’abolition du travail et donc son auto-abolition future, est beaucoup plus conséquent et cohérent. Ainsi, la plupart des travailleurs et travailleuses, dans l’économie nationale actuelle, contribuent à affermir des structures qui détruisent les individus concrets dans le même temps où elles et ils tentent de préserver leur connexion sociale. Le professeur voudrait instruire et émanciper, mais il se met au service d’une méritocratie bourgeoise cynique et destructrice. Le juge épris de justice (si cela existe encore) voudrait défendre un droit « universel » mais il se met au service d’une justice classiste, raciste et patriarcale.

 

De façon général tout salarié prolétarisé qui entretient le productivisme capitaliste contribue à aggraver la crise écologique et climatique. Chacun et chacune, même la personne exploitée ou exclue (si elle dépend du système de l’argent) est violemment insérée dans un système raciste, classiste, patriarcal, âgiste, validiste, écocidaire.

 

Il serait tout à fait manichéen et absurde d’accuser les exploité-e-s de contribuer consciemment à ce désastre. Ils et elles sont au contraire victimes non simplement parce qu’ils et elles sont exploitées, mais aussi parce qu’on leur impose un cadre de production et de consommation qui détruit le vivant (on les force à être des destructeurs apparents, malgré eux et elles).

Même les gestionnaires de ce désastre finissent par devenir les victimes du système d’oppression qu’ils défendent, en développant des formes névrotiques obsessionnelle et des formes d’auto-destructions terrifiantes. Il ne s’agit pourtant pas de « plaindre » ces derniers, qui constituent une classe profitante, mais de chercher des moyens de les combattre qui prennent en compte, stratégiquement, leur intérêt intime (et inconscient) à dépasser leur propre condition.

 

Il faudrait aussi penser des voies pour la réparation et la reconnaissance pour toustes les exploité.e.s et exclu.e.s qui doivent apparemment assumer la destruction, qui deviennent maltraitant.e.s contre leur gré, dans un monde morbide où l’économie et les marchandises valorisées se sont autonomisées à l’égard des désirs et des besoins conscients des individus.

 

L’enjeu d’une réparation pour les soignants et soignantes du covid-19 en temps de « médecine de guerre » est une métonymie : ces personnes voudraient soigner mais certaines d’entre elles récemment, ont dû laisser mourir. Cette situation exacerbe au maximum la condition des travailleurs et travailleuses que nous venons de décrire.

 

Le syndicalisme révolutionnaire qui prendrait en charge l’enjeu de la reconnaissance et de la réparation de ces soignants et soignantes pourrait être une brèche : il ouvrirait la brèche par laquelle une dénonciation plus globale de la société du travail se formulerait, dans les luttes et dans la critique, vers l’abolition du travail lui-même, de la marchandise, de la valeur, de l’argent et de l’Etat.