« Il ne faut pas chercher asile au temple ; il faut l’abolir. Il ne faut point tolérer le temple. Il ne faut point tolérer la pierre du temple. C’est l’église avec son dôme, ses piliers, son clocher, sa flèche, ses tours, sa nef et sa crypte, c’est cette impertinente pétrification du mensonge dont l’ombre jette sur la beauté de la terre la tristesse d’un voile de deuil, qu’il ne faut pas tolérer. Pour détruire le pouvoir du prêtre, ce n’est ni un philosophe avec ses arguments ni un révolutionnaire avec ses formules que je demande ; c’est un maçon avec sa pioche. (…)

Il faut être intolérant pour être libre (…)

Pourquoi tolère-t-on l’Église ? Les riches la tolèrent parce qu’ils en ont besoin ; les pauvres, parce qu’ils sont trop sots et trop veules pour se débarrasser de son joug. Du reste, ils ne se font pas la moindre illusion sur son rôle ; ils savent que sur toutes les croix qui souillent les places publiques, qui se dressent dans les palais de justice, dans les oratoires des honnêtes gens et même dans les boudoirs des putains, c’est le Déshérité d’aujourd’hui qui saigne et qui pantèle, et non un défroqué d’existence problématique qu’on donne comme le fils d’une vierge. S’ils veulent cesser de souffrir, il faut qu’ils descendent de la croix et qu’ils brisent l’instrument de supplice auquel fut clouée leur chair. L’Église prétend compatir aux souffrances des misérables ; si sa compassion était autre chose qu’une vile hypocrisie, il y a longtemps qu’elle les aurait fait cesser. Elle en a eu le pouvoir pendant des siècles. Elle l’a encore aujourd’hui. Elle ne supprime pas la misère, parce qu’elle en vit. Toutes les églises sont à base de servitude morale et physique. L’église catholique romaine est la plus immonde de toutes ces églises. Tant qu’elle existera, elle sera le lien entre les différentes entreprises d’exploitation du Pauvre, qui manquent de cohésion et se désagrégeraient sans elle ; elle saura donner le mot d’ordre et la consigne aux gendarmes bien-pensants qui assurent la sécurité des voleurs. Tant qu’elle existera, elle s’opposera à ce qu’on délivre la femme de l’épouvantable esclavage qui la meurtrit ; elle sanctifiera la répugnante tyrannie de l’homme sur celle qui devrait être sa compagne et son amie… Il n’y a qu’un moyen, qu’un seul, de faire cesser toutes ces horreurs : c’est de ne point tolérer l’Église. (…)

La foi, la croyance et même la superstition disparaîtraient si elles ne pouvaient trouver sous ]es voûtes des églises l’atmosphère empoisonnée nécessaire à leur éclosion. Le prêtre sait que son pouvoir s’écroulerait avec la chute de l’édifice qui l’abrite ; c’est pourquoi tout a été mis en œuvre, à toutes les époques, pour prévenir la destruction de ces monuments qui sont la base et le sens de la religion, qui sont la religion elle-même. Lisez l’histoire et comprenez-la. Si vous voulez en finir avec la religion, avec son hypocrisie blafarde et sa cruauté lâche, ce n’est pas le dogme qu’il faut discuter, ce n’est même pas le prêtre qu’il faut frapper, c’est l’église qu’il faut détruire. »

Georges Darien – La Belle France (1900)