En tant que meuf trans, quand je suis arrivée dans le milieu féministe j’ai vécu quelque chose de similaire. J’ai vécu une pression hyper forte à comprendre toute de suite les enjeux des meufs cis (blanches) autour de moi, car à chaque fois que je disais un truc qui dérangeait un tout petit peu leur vécu on me reprenait, souvent avec maternalisme (il faut qu’on t’apprenne ce que c’est LE féminisme), voire avec hostilité. Ça a été une période de déconstruction très intense, dans laquelle j’ai été obligée de me décentrer de moi-même et développer une empathie particulière pour les vécus d’autres personnes. Je crois que sur plein de bouts ça m’a appris à être une personne plus humble, à l’écoute, capable d’empathie pour des vécus différents du mien. C’est des qualités que j’apprécie et donc je ne regrette pas de l’avoir fait.
Mais par contre au bout d’un moment j’ai commencé à comprendre que tous les efforts que moi je faisais n’étaient pas du tout symétriques à ceux que la grand plupart des meufs cis blanches autour de moi faisaient pour comprendre et respecter mon vécu en tant que femme trans. Plus qu’une femme trans, je me suis rendue compte que pour elles j’étais une « femme en période d’essai ». Quand elles disaient des trucs qui me blessaient, qui me renvoyaient à de la dysphorie, je leur trouvais toujours des excuses, en me disant que sûrement je ne comprenais pas assez « la condition féminine » et que c’était sûrement moi qui prenais mal les choses. Mon standard (en termes d’efforts à fournir pour comprendre et s’adapter au vécu des autres) était placé au niveau d’une perfection inatteignable. Le leur, souvent même pas le seuil minimum de la décence. J’ai mis des années avant de me rendre compte que certains de leurs comportements étaient transmisogynes et me faisaient du mal, et quand j’ai enfin osé le dire la réaction des personnes pointées du doigt, mais surtout la réaction collective, a été tellement invalidante et empreinte de solidarité cis que j’ai craqué et je me suis éloignée de ces milieux. La tentation de ne plus prendre en compte que mon vécu et d’arrêter avec toute empathie a été forte, mais je refuse catégoriquement de rentrer dans ces mécanismes, pour la simple raison que j’ai horreur de m’abrutir à ce point. La seule issue que je vois est d’arriver à établir enfin du dialogue entre égales, mais ça ne va pas être une mince affaire…

Du coup, quelques pistes de réflexion adressées aux meufs cis qui naviguent dans des espaces féministes pour démonter ce mécanisme du double standard :
→ Combien de temps avez-vous passé à vous renseigner sur les enjeux des meufs trans/personnes transfem ? Combien de temps ces personnes ont passé à se renseigner sur vos enjeux à vous ?
→ Es-tu vraiment sûre que ton vécu est plus dur et plus légitime que le leur ? Comment tu sais que ce n’est pas le contraire ? Et pourquoi d’ailleurs tu ressens ce besoin de compétition ?
→ Comment se fait que ce double standard existe-t-il ? Ne serait-il pas à tout hasard une conséquence du rapport de force cis, voir du système de domination cis dans nos milieux ?
→ Quels autres doubles standards as-tu l’impression qui existent entre toi et les meufs trans ?
→ Quand tu as l’impression qu’une meuf trans commet une maladresse vis-à-vis du vécu des meufs cis, demande-toi avant de réagir combien de temps il lui est arrivé l’inverse et qu’elle a dû fermer sa gueule. Demande-toi s’il y a vraiment besoin de l’humilier devant tout le monde et lui relancer une crise de dysphorie pour ça. Demande-toi si cette personne, qui probablement est la seule ou une des rares personnes transfem présentes, représente vraiment une menace pour toi ou que tu la choisis juste comme bouc émissaire. Demande-toi pourquoi tu bloques autant sur cette personne alors que tu laisses probablement passer sans arrêt les propos misogynes de tes copines cis sans même pas les remarquer.
→ Quelle authenticité arrives-tu à créer dans le rapport avec les meufs trans dont t’es éventuellement proche ? Est-ce que votre relation vous permet d’échanger autour de comment c’est pour elle d’être trans, sans tomber dans la fétichisation, le paternalisme ou d’autres trucs pourris ? Est-ce que au contraire c’est un sujet que tu n’abordes jamais parce que t’as peur de dire des conneries ? À quel point tu soutiens ta pote dans son parcours de transition (que toi t’as eu le privilège de ne pas devoir faire) ?
Bref, il y a plein de ressources sur internet et ailleurs pour déconstruire le privilège cis, je ne vais pas continuer la liste ultérieurement.

Si nous voulons construire des alliances politiques sincères (qui doivent partir pour moi de relations humaines authentiques), il faut que chacun-e prenne du temps et de l’attention pour se renseigner et respecter les vécus qui ne sont pas les siens. Les meufs cis blanches, arrêtez de vous poser en tant que sujet principale du féminisme. Apprenez comme tout le monde à vous voir aussi en tant qu’oppresseurs, à vous décentrer de votre propre vécu, et arrêtez de reproduire exactement les mêmes comportements d’évitement de la responsabilisation que vous reprochez aux gars cis(het).
On est plein à en avoir marre.

PS Ce petit texte parle juste d’un parmi les nombreux aspects de la transmisogynie en milieu féministe, je n’avais pas l’énergie d’écrire un essai de 500 pages désolée. C’est pour la même raison que j’ai fait le choix de ne pas trop chercher tous les liens avec d’autres systèmes d’oppression (que je peux subir ou pas). Vivement plus d’écrits à ce sujet !