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Appelez cette idéologie a/acc, an/acc, AnAcc, accélérationisme anarchiste, anarchisme accélérationiste, etc., etc…

Je suppose que l’existence même de cet essai est un cas expérimental du ridicule de la politique en ligne. Je crée à la fois un nouvel ?/Acc et un nouvel anarcho-.

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Il y a une tendance dans les milieux politiques radicaux à estimer que ce que vous pensez importe. Je n’en suis que trop conscient dans le cadre de la gauche, en particulier pour l’anarchisme – des harangues sans fin à propos de ce que le monde « devrait » être, de la part de personnes qui ont peu de contact avec ce que le monde est réellement.

Je n’ai aucun intérêt à grossir cette pile sans valeur. Au lieu de cela, j’ai l’intention de parler de la mesure dans laquelle ces idées politiques abstraites sont déjà en jeu dans la vie quotidienne.

Marx disait :

« Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde ; il s’agit désormais de le transformer ».

C’est de l’arrogance aveugle. Mon objectif est de comprendre le monde, et je comprends déjà assez pour savoir à quel point je manque de pouvoir. Le monde est vaste et je suis insignifiant. Il est absolument vain d’essayer de changer la société de masse.

Si cela est vain, et si l’on trouve que la société de masse est insupportable, alors il ne reste qu’une seule option : y échapper.

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L’Anarchisme est souvent défini comme « l’abolition des hiérarchies injustifiées ». C’est, en fait, une très mauvaise définition. Personne ne veut d’une hiérarchie qu’iels perçoivent comme injuste.

Bien sûr, beaucoup l’ont remarqué. Cela n’a pas beaucoup d’importance – parce que chaque tendance individuelle de l’anarchisme a vraiment, semi-secrètement, soutenu que l’anarchisme était « quand tout le monde suit mon plan personnel pour établir l’anarchie ». L’anarchisme, la déterritorialisation de la politique vis-à-vis de l’État, est reterritorialisée en factions de fidèles suivant quelques hommes ou femmes sages qui déclament leurs lois « anarchistes ».

Toustes ne sont pas aussi cyniques, ni aussi sectaires – il y a des anarchistes qui essayent de s’attaquer à ce problème rhétorique/philosophique évident. La pratique la plus courante consiste simplement à supprimer le mot « injuste » de la phrase : « L’Anarchisme est l’abolition des hiérarchies ».

Mais cette définition pose aussi des problèmes – bien que moins évidents. Le mouvement anarchiste a traditionnellement inclus et s’est même centré sur un anarcho-communisme pro-démocratie fétichisant la commune, un anarcho-syndicalisme avec des délégué.es élu.es, et même un municipalisme à la Bookchin. Je suis un anarchiste de marché de gauche, ou peut-être un mutuelliste, et il y a celleux qui ont insisté sur le fait que le marché est lui-même une forme de hiérarchie. Ce courant est, en fait, celui d’origine – bien que, du moins en Amérique, ce ne soit plus le courant hégémonique. Que devons-nous en faire ?

Pendant un certain temps, je suis resté fidèle à une définition tirée des paroles de Nestor Makhno – qui avait dit qu’ « il n’y a pas de pouvoir inoffensif ». Alternativement, cela pourrait être formulé comme « l’anarchisme est la minimisation de la hiérarchie ».

Cela pourrait fonctionner comme une définition. Cependant, je vais faire valoir dans cet essai que l’anarchisme est en fait la maximisation des lignes de fuite. Succinctement, on pourrait considérer que j’essaye de contourner les tendances de reterritorialisation du sectarisme anarchiste. Le reste de cet essai cherche à couvrir exhaustivement cette question.

 

 

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Vous avez probablement entendu parler de l’accélérationisme comme une idéologie consistant à faire empirer la situation actuelle, pour que le système s’effondre et soit remplacé par quelque chose de meilleur.

Personne ne pense cela. Enfin, quelques personnes idiotes pourraient y croire. Mais aucun.e de celleux attaché.es à la philosophie accélérationiste ne suivent cette ligne de pensée. Si la vague idée que vous avez d’une idéologie sonne caricaturalement malveillante et/ou idiote, et vous n’avez jamais lu aucun des textes liés à cette idéologie, alors ce que vous pensez de cette idéologie est probablement erroné.

L’Accélérationisme est, entre autres choses, l’idée selon laquelle le capitalisme de marché (et son support, l’État) est lui-même le sujet révolutionnaire. Notons que je dis le capitalisme de marché, et non la « bourgeoisie ». C’est une idée radicalement anti-humaine, ou peut-être simplement post-humaine. Que cela ne laisse aucune place à l’action humaine, ou juste très peu, est une question assez centrale.

En d’autres termes : le système est totalisant. Tout est contenu à l’intérieur de ses limites. Parce que tout y est contenu, toutes les modifications apportées au système y sont apportées par le système lui-même. Vous ne pouvez pas rester en dehors du système. Rien ni personne ne le peut. C’est tautologiquement vrai.

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Le capital est usuellement divisé en actifs incorporels et en actifs physiques. On parle assez souvent des actifs physiques – ce sont les moyens de production. Les actifs immatériels, cependant, sont trop souvent oubliés dans les discussions socialistes sur l’économie.

Les actifs incorporels sont toutes les formes de capital qui ne se manifestent pas physiquement. Il inclut le capital humain, le capital relationnel et le capital structurel.

Le capital humain est l’ensemble des caractéristiques inhérentes à l’individu. Cela comprend, entre autres, le savoir et la compétence – et leurs attributs physiques et mentaux inhérents.

Le capital relationnel est les relations qu’un.e agent.e entretien avec d’autres agent.es. La forme la plus lucrative que cela prend est la part de notoriété que des plateformes peuvent détenir. Le plus grand obstacle à la création d’un concurrent à Uber ou Lyft (par exemple) est qu’il serait difficile d’amener d’autres personnes à télécharger votre application concurrente. Le forme la plus courante que cela prend, cependant, est dans la réputation et les contacts personnels – « ce n’est pas une question de savoir ce que vous connaissez, mais qui vous connaissez ».

Le capital structurel est toute l’infrastructure institutionnelle qui organise une firme. Il s’agit de la hiérarchie, de la culture d’entreprise, de la circulation du savoir dans les bureaux, des méthodes développées pour traiter de problématiques spécifiques au sein de cette firme spécifique, etc, etc…

 

 

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Je devrais clarifier que, lorsque je parle d’ « accélérationisme », je ne parle presque exclusivement que de U/Acc (Unconditional Accelerationism, L’Accélérationisme Inconditionnel). Le R/Acc (Accélérationisme de Droite) est idiotement obsédé par des questions de pureté raciale et de formes d’organisation économique déjà obsolètes, entretenant la même relation avec le XXIème siècle que le fascisme avec le XXème siècle. Le L/Acc (Accélérationisme de Gauche) n’est plus ou moins qu’une forme de léninisme camouflée sous une couche de peinture fraîche.

Je suis sûr que j’aurais des choses à dire à propos du R/Acc et du L/Acc dans de futurs articles, mais maintenant n’est pas le moment.

L’Accélérationisme Inconditionnel contient des concepts utiles. Ils doivent être décomposés et exportés vers l’extérieur – vers l’en dehors.

Xenogothic, dans leur propre « A U/Acc Primer », articulent ainsi leurs idées centrales :

« Contrer le « conservatisme esthétique formel » des autoproclamées politiques radicales (de gauche comme de droite).

Considérer, dans la totalité du capitalisme tardif, les façons dont l’humanité, comme agente, est le produit d’un système surplombant sur lequel elle n’aurait que relativement peu d’influence et certainement aucun contrôle.

Exacerber le déchirement du sujet humain tel que nous le connaissons – c’est à dire d’un sujet contemporain qui est un produit des forces qui l’entourent et qui se produisent fatalement en lui – et de ces systèmes qui limitent la persistance de ses lignes de fuite (le genre, l’État-nation…) pour le bien d’une production radicale du nouveau.

De plus, exacerber l’attraction en dehors de la temporalité de la modernité comme ce fondement absolu de la structure de « l’expérience moderne » – l’expérience moderne pourrait être comprise comme cette barrière temporelle qui nous tient séparés d’autres formes de vie ».

Par le biais de mon anarchisme, j’interprète ces idées ainsi :

  • Il y a une guerre contre l’imagination. Il faut riposter.
  • Vous n’êtes pas important.e. Recherchez votre propre liberté plutôt que de vainement tenter de changer le monde tout entier.
  • Posons-nous les bonnes questions à propos de l’anti-universalisme – qu’est-ce que cela signifie réellement que de vouloir traiter tout le monde de façon égale ? L’Universalisme n’est-il rien d’autre que le totalitarisme ?
  • Nous vivons sous une idéologie qui insiste que tous les êtres humains puissent se comprendre les uns les autres, et devraient vivre selon les mêmes règles. Ce n’est pas vrai. Cela n’a jamais été vrai. Célébrons les « safe spaces ». Multiplions-les.

J’en appelle à vous pour construire de nouvelles sociétés « dans la coquille de l’ancienne », tout comme les zapatistes appellent à créer « un monde où plusieurs mondes soient possibles ». Cependant, contrairement aux zapatistes, je ne vous enjoins pas à faire quelque chose d’aussi littéral que d’établir des municipalités rebelles. Je souhaite que vous formiez de nouvelles sociétés, mais cela n’implique pas nécessairement le contrôle de façon permanente de grands territoires contigus.

Contrairement aux zapatistes, je ne m’adresse pas à une audience rurale depuis une perspective rurale. Je parle à une audience urbaine, une qui n’a pas de connexion réelle à la terre – qu’est-ce que le rentier sait de l’usage de la terre ? Je ne vous demande pas de conquérir quoi que ce soit, bien que j’accepte que vous puissiez le faire. Je vous demande de former des institutions nouvelles et alternatives, et de créer de nouvelles normes – et ensuite, inviter d’autres à se joindre à vous.

Ce n’est pas une praxis qui s’oriente vers une révolution distante. C’est une praxis du quotidien. Je ne vous demande rien d’exceptionnel – Je vous demande de réexaminer, peut-être de redoubler, ce que tout le monde a déjà fait.

 

 

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L’Anarchisme insurrectionnel n’est pas révolutionnaire – ce qui ne signifie pas qu’il soit pacifiste. On pourrait même considérer qu’il soit plus enclin à la violence que l’anarchisme révolutionnaire (non-insurrectionnel).

 

 

Les principales distinctions entre anarchisme insurrectionnel et anarchisme révolutionnaire seraient :

  • L’anarchisme révolutionnaire voit la (potentielle) transition vers le post-étatisme comme un événement clairement définit, dans lequel la classe ouvrière se soulèvera et s’engagera dans des batailles formelles contre le capitalisme et l’État.
  • L’anarchisme insurrectionnel voit cette transition et cette dissolution de l’État comme ayant lieu tout autour de nous, d’une manière continue et distribuée. Plutôt que de voir une armée anarchiste se constituer et mener bataille contre une armée des étatistes, il y a (ou du moins on l’imagine) une multitude de microrébellions en activité constante (et potentiellement de courte durée) contre l’État et le capitalisme. Notre but, alors, n’est pas tellement d’organiser ces rebellions que de les intensifier, jusqu’à ce qu’elles débordent le système.

 

J’aime résumer ces idées par le slogan : « Don’t smash the state, erode it » (Ne détruisez pas l’État, érodez-le).

Il est crucial de comprendre l’anarchisme insurrectionnel, parce que l’insurectionnisme est l’anarchisme de l’expérience quotidienne – c’est la compréhension de l’anarchisme comme étant non pas une chose décrétée par un comité de vieux militants savants, mais comme quelque chose dans lequel nous pourrions toustes entrer et auquel nous pourrions toustes participer dans un grand nombre de façons différentes et pour un grand nombre de motivations différentes. Et, bien sûr, si nous sommes sérieux.ses à propos de notre anarchisme, il s’agit de la seule façon de pouvoir nous en approcher.

 

 

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L’anarchisme de marché de gauche (« Left-Wing Market Anarchism », LWMA, ou juste « Anarchisme de Marché ») se fonde principalement sur la conception du capitalisme et du marché comme deux forces qui s’opposent.

Le capitalisme est un système dans lequel les biens (et les services) sont produits. Les marchés sont un système de distribution.

Le capitalisme est un système de normes de propriété, se concentrant largement sur le sol, et appliqué grâce à la violence de l’État. Les marchés sont un ensemble flottant d’échanges réciproques.

Le capitalisme est un nœud de hiérarchies. Les marchés sont l’une des façons par lesquelles ces hiérarchies sont croisées et affaiblies.

Le capitalisme se manifeste quand de grandes entreprises se cartellisent, ou se servent de régulations pour supprimer la concurrence, et utilisent la force étatique pour punir toustes celleux qui souhaitent ou qui souhaiteraient faire défection de ce régime. Les marchés sont ce qui motive ces transfuges, et ce qui motive les gens à saisir et redistribuer les moyens de production.

Les marchés déterritorialisent ; le capitalisme reterritorialise.

 

Comme disait Edmond Berger :

« Le fameux argument de Braudel, implicite dans Capitalisme et Schizophrénie (il s’agit du sujet d’un travail en court) et entièrement opérationnalisé par Manuel Mandela, est que le marché et le capitalisme doivent être distingués l’un de l’autre, et que le capitalisme doit être pensé comme opposé au marché : un antimarché. Le marchéou microcapitalisme – est le champs de la « vie économique » ; il est constitué d’activités clairement visibles, les interactions commerciales ont lieu avec rapidité, et les variations du taux de profit sont attachées à des évolutions permanentes des prix. « Le marché énonce la libération, l’ouverture, l’accès à un autre monde ». Le capitalisme, par contraste, se définit par une centralisation à grande échelle, la bureaucratie, l’oligopole, et une mobilité beaucoup plus faible des régimes des prix. Les marchés se lient avec des « réseaux horizontaux  de communication » entre petites entreprises et des acteurs joints dans un comportement compétitif. Les antimarchés sont fondés sur le monopole, et ainsi repoussent le spectre de la compétition ».

Les anarchistes de marché de gauche proposent de suivre cet anticapitalisme inhérent au marché comme un moyen d’avancer au point où l’anticapitalisme de marché atteint son paroxysme : une société dans laquelle, en l’absence d’un État obligeant par la force au respect de la propriété privée, la propriété du sol (et du capital dans une moindre mesure) devienne basée sur le principe d’occupation et d’utilisation – plutôt que sur des titres de propriété décernés ou reconnus par l’État.

Cela mènerait à une société de producteurices libres, se confédérant en coopératives de travailleurices et faisant un usage étendu de production basée sur la commune. Sans la capacité d’externaliser les coûts nécessaires à l’entretien et la protection de larges quantités de choses, il y aurait une limite pratique à la quantité absolue de richesse qu’une personne puisse détenir.

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L’agorisme est, fondamentalement, l’idée selon laquelle la meilleure stratégie antiétatique est de priver l’État de ses sources de revenus. L’État est, après tout, une chose économique tout comme il est une chose de pouvoir. La meilleure façon de le priver de ses revenus est alors de pousser le plus d’activités économiques dans le marché noir (non-taxé et non-taxable). Il faut noter, bien sûr, qu’un grand nombre de personnes font déjà cela quotidiennement – pour des raisons non-idéologiques. Les sections les plus pauvres de la classe travailleuse sont déjà engagées dans l’agorisme, c’est juste qu’elles ne le nomment pas ainsi.

Dans « In search of respect : Selling crack in El Bario », une ethnographie du Harlem espagnol, on peut lire :

« Selon les statistiques officielles, mes voisin.es dans ma rue devraient être sans domiciles, mourant de faim et habillé.es en haillons. Compte tenu du coût de la vie à Manhattan, il aurait dû être impossible pour une majorité d’entre elleux de pouvoir payer leur loyer et un minimum de provisions et de toujours pouvoir payer pour leur électricité et leur gaz. Selon le recensement de 1990, 39,8 % des habitant.es de l’est de Harlem vivaient sous le seuil de pauvreté (contre 16,3% pour l’ensemble des New Yorkais.es), avec un total de 62,1% recevant moins que la moitié du revenu moyen des personnes vivant sous le seuil de pauvreté. Les blocs d’habitation qui m’entouraient directement étaient nettement plus pauvres avec la moitié des habitant.es vivant sous le seuil de pauvreté. Compte tenu des prix des biens et des services essentiels à New York, cela signifie que, selon les mesures économiques officielles, bien plus de la moitié de la population d’El Barrio ne devrait pas être en mesure de subvenir à ses besoins.

Dans les faits, cependant, les gens ne meurent pas de faim en masse. Bien que beaucoup de personnes âgées et d’enfants en bas âge n’aient pas une alimentation adéquate et souffrent du froid en hiver, la plupart des résident.es sont convenablement habillé.es et en assez bonne santé. L’énorme économie souterraine, non recensée et non taxée, permet aux centaines de milliers de New Yorkais.es vivant dans des quartiers tels que Harlem de subsister avec ce que les américain.es considèrent comme les nécessités de base. J’étais déterminé à étudier ces sources alternatives de revenus qui consommaient tant de temps et d’énergie aux jeunes hommes et femmes assis sur les perrons de leurs immeubles et les voitures garées devant mon immeuble. ».

Cela souligne le double potentiel de la praxis agoriste. Premièrement, l’État est privé des taxes perçues sur la vente, le revenu, etc… qui seraient normalement payées par ces personnes. Deuxièmement, ces personnes sont enrichies par la formation d’institutions économiques et d’activités en dehors de l’État – l’agorisme (bien qu’iels ne le nommeraient pas ainsi) permet à ces personnes de survivre.

Plus encore, cet agorisme actuellement en existence montre comment quotidiennement des personnes normales vivent à moitié sans État, ostensiblement, au milieu de ce dernier. Cela montre qu’il est possible pour l’action directe de ne pas paraître politique, ni même particulièrement intentionnelle. Cela montre que « la nouvelle société, construite dans les fissures de l’ancienne » ne serait pas tellement illustrée par l’activité militante – et que la voie à suivre pourrait ne pas ressembler à une réunion de parti sans fin.

 

 

 

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Une chose étrange m’est arrivé – J’ai fait l’expérience du Dehors, ou quelque chose qui en est proche.

À l’époque, je n’avais pas idée de ce qui m’était arrivé. J’avais simplement ressenti un certain crépitement inoubliable des nerfs. J’étais à une action antifasciste. Les fascistes étaient tellement dispersé.es et en sous-nombre qu’il était difficile de les trouver. C’est alors que j’ai ressenti clairement pour la première fois que nous avions gagné – après des étés passés à les combattre, les fascistes avaient arrêté de se montrer. La seule résistance que nous éprouvions provenait de la police – et la police gardait ses distances avec nous, bien qu’elle bloquât notre progression sur plusieurs rues. Nous réalisâmes que cela était fait pour les fascistes, et que cela indiquait qu’il fallait nous diriger là où la résistance était la plus forte pour atteindre les fascistes – moment à partir duquel la série habituelle de rixes pourrait se produire, et nous pourrions rentrer chez nous, ayant toustes fait notre devoir civique.

Ainsi, nous avions en quelque sortes prit collectivement la décision de marcher en une colonne dense au milieu des rues, pour pouvoir ainsi maintenir une bonne mobilité et la cohésion nécessaire pour résister aux flics. Je me suis retrouvé à l’avant de la colonne, et j’ai suivi l’exemple de plusieurs autres personnes en courant en direction des intersections vers lesquelles le groupe se dirigeait, pour arrêter les voitures qui autrement empêcheraient le mouvement rapide de la colonne. Après avoir fait ainsi sur plusieurs blocs, nous nous sommes amélioré.es et sommes devenu.es plus rapides – et, par ailleurs, nous avions provoqué un embouteillage massif.

Les voitures ne pouvaient pas nous contourner, alors nous manœuvrions simplement à travers elles. Je me suis retrouvé, de plus en plus, à diriger le traffic. L’effet était enivrant. Nous utilisions la ville d’une façon qui n’avait jamais été voulue, et un ordre spontané – quoique brutal et ultimement temporaire – en émergeait.

Cette expérience a, bien sûr, définitivement changé et affiné mes réflexions au sujet de la structure du tissu urbain dans lequel nous nous trouvons. Ces quelques heures ont été l’expérience directe d’autres possibilités pour l’instant en dehors de notre portée.

Imaginez comment les choses changeraient, si plus de personnes faisaient cette expérience – une fois que l’on a donné à quelqu’un.e la preuve de l’existence d’alternatives, comment cette personne peut-elle l’oublier ? Nous sommes – nous toustes, anarchistes et accélérationistes – habitué.es à cette citation :

« Il est plus facile d’imaginer la fin du monde que d’imaginer la fin du capitalisme ».

Eh bien : si l’on veut vraiment que les gens puissent imaginer la fin du capitalisme, il faut leur en donner un avant-goût. L’imagination des gens prend inévitablement racine dans leurs réalités. Néanmoins, en dépit de ces racines, elle peut également aller bien au-delà. Il pourrait être possible de changer profondément l’imagination d’une personne même avec les plus petites expériences.

 

 

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L’accélérationisme aime beaucoup considérer le capitalisme comme une I.A.

Nous devrions être plus précis à ce sujet. Parlons-nous du marché, un cadre particulier dans lequel les agent.es interagissent ? Ou bien parlons-nous du capitalisme en tant que système de propriété établit par la force ? Je maintiendrais que nous parlons des deux, et plus encore.

Les agent.es font le calcul, tandis que le marché distribue les informations entre elleux, et – pour l’instant, et non pas de façon inévitable ou irremplaçable – le capitalisme donne aux agrent.es qui participent au système des motivations et des buts. Dans l’idée de rappeler que le capitalisme, le marché et les agent.es sont distincts et (théoriquement) des composants séparables, je me réfèrerais à ce système – dans son ensemble – par le terme « capitalisme de marché ».

Ce système de capitalisme de marché est une intelligence vaste, répartie, suivant certaines règles et motivations dans la poursuite de certains buts ; c’est même semi-prédictible. Nous reconnaissons cela, lorsque l’on considère que « le marché » a prit telle ou telle décision – qu’il y a une grande intelligence, étrange, active dans l’économie, et comment l’information peut être prédite en observant ces mouvements.

Non seulement le capitalisme est une intelligence, mais c’est surtout une intelligence fractale – non seulement dans le sens qu’elle est ultimement composée de gens, mais aussi dans le sens que ses éléments les plus importants sont aussi des Intelligences Artificielles, composées d’autres agent.es.

« Voilà le problème avec les entreprises : elles sont clairement artificielles, mais légalement ce sont des personnes. Elles ont des buts, et opèrent pour atteindre ces buts. Et elles ont un cycle de vie naturel. Dans les années 50, une entreprise américaine typique indexée sur le S&P500 avait une espérance de vie de 60 ans ; de nos jours cette espérance de vie est tombée à 20 ans.

Les entreprises sont cannibales ; elles se dévorent les unes les autres. Elles sont également des ruches, des superorganismes, à l’exemple des abeilles ou des fourmis. Pendant le premier siècle et demi de leur existence, elles se reposèrent entièrement sur le travail humain pour leurs opérations internes ; mais désormais ces opérations s’automatisent de plus en plus rapidement.

Chaque humain n’est conservé que tant qu’il peut effectuer les tâches qui lui sont assignées et peut être remplacé par un autre être humain, tout comme les cellules de notre corps sont fonctionnellement interchangeables (et un groupe de cellules peut, in extremis, être remplacé par une prothèse). Les entreprises peuvent être entraînées jusqu’à un certain point à répondre aux désirs de leur PDG, mais même ces derniers peuvent être supprimés si leurs activités nuisent à l’entreprise, comme Harvey Weinstein l’a découvert il y a quelques mois.

Finalement, notre cadre légal actuel a été largement taillé au profit des personnes morales – les entreprises – aux dépends des personnes physiques, au point où nos gouvernements imitent désormais les entreprises dans leurs organisations internes. ».

Bien sûr, comme les anarchistes – et les économistes – l’ont montré, les entreprises ne sont pas des agents économiques parfait : leur unité est illusoire, et imparfaite. Et il en va de même pour le capitalisme dans son ensemble. Néanmoins, les algorithmes computationnels n’ont pas besoin d’être parfaits dans la recherche d’objectifs – nul n’en a besoin.

Les méthodes computationnelles du capitalisme sont stochastiques – si un agent (un individu, une entreprise, n’importe quoi) ne réussit pas à trouver la bonne réponse, un autre y parviendra. Les agent.es les plus compétent.es obtiennent (généralement) plus de ressources, et les agent.es les moins efficaces sont privé.es de ressources et doivent se subordonner, elleux et leurs possessions, aux agent.es les plus efficient.es.

Les entreprises licencieront généralement les travailleureuses qui sont tout particulièrement mauvais.es dans leur travail et dans la réalisation des objectifs fixés par l’entreprise, et si une entreprise donnée est plus inefficace que la moyenne dans ses activités, elle fera faillite – à moins de se réformer.

Les éléments efficaces verront leurs méthodes copiées, et ces méthodes seront – dans certains cas – changées. Si ces changements rencontrent des succès, ils seront à leur tour copiés par d’autres agents. S’ils n’obtiennent pas de résultats, ils seront mis au rebut.

Ces motifs ne sont pas particuliers au capitalisme de marché, et persisteront dans le système qui succèdera au capitalisme de marché. Ils ont précédé le capitalisme de marché, également – ils sont des motifs d’évolution mémétique auxquels sont soumis tous les groupes et toutes les personnes.

 

 

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Les anarchistes ont longtemps méprisé les concepts de « volontarisme » ou de « principe de non-agression », et pour de très bonnes raisons.

L’idée même que quelque chose soit volontaire, ou involontaire, découle du contexte d’institutions plus larges. Quand un libertarien dit quelque chose comme :

(« Une fois de plus les ayatollahs fondamentalistes perdent face aux forces du libéralisme, de l’ouverture et des individus libres qui poursuivent leurs propres intérêts et valeurs »)

Les cimes de l’idiotie sont atteintes. Et si je confirmerais qu’il s’agit bien de « libéralisme », je maintiens qu’il n’y a pas question ici d’ « ouverture » ou d’ « individus libres suivant leurs propres intérêts et valeurs ».

Pour le premier, il y a très peu « d’ouverture » – dans la mesure où la seule ligne de fuite qui existe, c’est seulement celle qui nous mène d’un supermarché à un autre. Et, comme les hypermarchés ne diffèrent entre eux que par des détails, il est difficile d’appeler cela un choix significatif. La chose la plus proche de cette Fuite qui puisse être offerte par la société de consommation (dans le texte originel : Black Friday Shopping) est la possibilité d’acheter de nouveaux signifiants sous-culturels, et ainsi changer vos normes actuelles pour de nouvelles, quand cela vous paraît pertinent.

Pour le second point, il est difficile que ces personnes soient « libres » ou qu’elles « poursuivent leurs propres… valeurs » – elles aussi existent sous le capitalisme de marché. Elles aussi sont façonnées par ce dernier. Leurs désirs sont produits par lui, tout comme il est – en partie – produit par leurs désirs.

Il en va ainsi pour tout. L’idée selon laquelle le salariat serait « volontaire » dépend de l’hypothèse selon laquelle l’appropriation des communs était juste. L’idée que l’achat de la plupart de vos produits dans un supermarché serait « volontaire » dépend de l’hypothèse selon laquelle les régulations étatiques permettant de telles choses seraient justes.

Le « Principe de non-agression » suit le même problème – il définit l’agression comme une violation des normes de propriété privée, puis affirme que les normes de propriété privée émergent de la non-agression.

Ce n’est que le manque d’exposition à des alternatives – le manque de lignes de fuite vers l’en-dehors – que ces idées peuvent passer pour raisonnables. Le libertarianisme est souvent l’idéologie la plus favorable à la perspective de la Fuite, mais – ironiquement – toute Fuite significative la détruirait complètement et totalement, au point de produire des gens qui ne pourraient même plus la conceptualiser, du moins comme elle existe maintenant. Si le libertarianisme continuait son mouvement, il devrait être reformulé sur des bases philosophiques très différentes.

 

 

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Avant même que l’Union Soviétique n’existe, il y avait des critiques anarchistes s’adressant au concept même d’État communiste.

Bakounine, en 1873, dans « Étatisme et Anarchisme », disait :

« Un État fort ne peut avoir qu’un seul fondement possible : la centralisation militaire et bureaucratique. La différence fondamentale entre une monarchie et la république la plus démocratique est que dans la monarchie, les bureaucrates oppriment et volent le peuple au profit des privilégiés au nom du roi, et pour remplir leurs propres coffres ; tandis que dans la république le peuple est volé et opprimé de la même manière au profit des mêmes classes, au nom de la « volonté du peuple » (et pour remplir les coffres des bureaucrates démocrates). Dans la république, l’État, qui est supposé être le peuple, légalement organisé, étouffe et continuera d’étouffer le vrai peuple. Mais les gens ne se porteront pas mieux si le bâton avec lequel iels sont battu.es est nommé « le bâton du peuple ». »

Benjamin Tucker, en 1888 – dans « Socialisme d’État et Anarchisme », disait :

« Le Socialisme d’État peut être décrit comme la doctrine selon laquelle toutes les affaires humaines devraient être gérées par le gouvernement, sans regard pour les choix individuels.

Marx, son fondateur, conclu que la seule façon d’abolir le monopole de classe était de centraliser et consolider tous les intérêts industriels et commerciaux, toutes les agences productives et distributives, dans un vaste monopole aux mains de l’État. Le gouvernement doit devenir un banquier, fabricant, agriculteur, transporteur et marchand, et dans ces activités ne doit subir aucune concurrence. La terre, les outils et tous les instruments de production doivent être retirés des mains des individus, et faits propriété de la collectivité. À l’individu ne peuvent appartenir que les produits à consommer, pas les moyens de les produire. (…)

La nation doit être transformée en une vaste bureaucratie, et tous les individus en fonctionnaires d’État (…) toutes les personnes deviendront salariées, et l’État sera le seul employeur (…).

Les autres applications que développera ce principe d’Autorité, une fois adopté dans le domaine économique, sont très évidentes. Cela signifie le contrôle absolu par la majorité de toutes les conduites individuelles. Le droit à un tel contrôle est déjà admis par les socialistes d’État, bien qu’iels maintiennent que, dans les faits, l’individu bénéficierai d’une plus grande liberté que celle dont il dispose actuellement. Mais il ne serait qu’autorisé à en disposer ; il ne peut pas la revendiquer comme la sienne. Il n’y aurait aucune fondation de la société sur la base d’une garantie à l’égalité de la plus grande liberté possible. Une telle liberté n’existerait que par la souffrance et pourrait être enlevée à tout moment. Les garanties constitutionnelles ne seraient d’aucune utilité. Il n’y a qu’un seul article dans la constitution d’un pays Socialiste d’État : « le droit de la majorité est absolu ».

Cependant, l’affirmation des Socialistes d’État selon laquelle ce droit ne s’exercerait pas dans les affaires concernant l’individu dans les relations les plus intimes et privées de sa vie n’est pas confirmée par l’histoire des gouvernements. Cette histoire a toujours été celle de la tendance au pouvoir de s’accumuler, d’élargir sa sphère, de déborder les limites qui lui avaient été imposées… »

Les marxistes d’État, quant à elleux, n’ont formulé de critiques de l’Union Soviétique qu’après que cette dernière ai été créée – et même ici, durant l’existence de l’URSS ces critiques n’étaient pas particulièrement populaires en dehors du Trotskisme – et le trotskisme, bien entendu, n’a jamais été particulièrement répandu.

Maintenant que l’Union Soviétique n’existe plus, et ceci depuis une génération, les propos critiques à son sujet ont presque entièrement disparus au sein du Marxisme d’État. Iels nous disent que les prétendus défauts du système soviétique ne sont rien d’autre que de la propagande occidentale. Le sentiment que l’on en tire semble être que l’Union Soviétique n’aurait jamais pu vraiment s’effondrer – que le retour de presque tous les États socialistes ( à l’exception peut-être de la Corée du Nord ou de Cuba) au capitalisme néolibéral, que ce soit par des chutes dans le style de Gorbatchev ou par des réformes à l’image de celles de Deng Xiao Ping, était une impossibilité historique – un accident grotesque que l’on ferait mieux d’ignorer.

Lorsqu’on leur demande d’expliquer où tout a commencé à mal tourner en URSS, iels citent généralement la montée d’un dirigeant ou d’un autre – Staline, Krouchtchev et Gorbatchev sont des choix populaires. Le problème qu’il y a à citer n’importe quel dirigeant donné de l’URSS (à l’exception peut-être de Lénine) comme cause de la chute du régime est que cela ignore complètement toute sorte de compréhension matérialiste ou structurelle de l’Union Soviétique.

L’Union Soviétique n’était pas la manifestation de la volonté d’une seule personne, pas plus que les produits d’une entreprise ne sont produits par son PDG. L’URSS avait une vaste structure interne, avec de nombreux bureaucrates, fonctionnaires, militaires, travailleureuses, managereuses, policier.ères… etc. Blâmer n’importe quel leader donné de l’Union Soviétique pour sa chute suppose ignorer cette grande diversité d’autres acteur.rices, et leur pouvoir décisionnaire. Cela suppose également d’ignorer complètement les institutions de l’Union Soviétique, à la fois sur les plans économiques et politiques – et, en particulier, cela suppose de ne poser absolument  aucune question à propos du processus de sélection de nouveaux leaders. Si Staline était un monstre, alors comment le processus de sélection des leaders a t il permis à un monstre d’arriver au pouvroir ? Si Krouchtchev était faible et docile, pour quelle raison le système l’a porté au pouvoir ? Et, si Gorbatchev était un crypto-libéral – comme j’ai entendu certain.es marxistes le dire sérieusement – alors comment en est-il arrivé à cette position de pouvoir ?

Iels ne peuvent pas répondre. S’iels le pouvaient, iels ne seraient pas en faveur à la continuation de l’Union Soviétique par d’autres moyens. Iels sont simplement nostalgiques d’une soi-disante utopie, d’une vision réellement existante d’une modernité alternative. À la clef de leur incapacité à fournir une véritable critique de l’Union Soviétique se trouve leur fétichisation aveugle et presque libidinale du parti d’avant-garde – une organisation qui est maintenant plus irréalisable qu’elle ne l’a jamais été.

L’insistance sur l’idée que le parti d’avant-garde puisse véritablement représenter les travailleureuses fait autant de sens que de penser que le parti n’a pas d’intérêts propres, ou qu’il est composé d’anges – qu’il se tient en dehors de l’histoire, et de la société, voire en dehors de l’humanité. Bien sûr que les politiciens et les bureaucrates sont devenus la nouvelle classe dominante. Qui n’aurait pas pu voir cela arriver ? Qui, maintenant, rétrospectivement, ne peut pas le voir ?

Plus que cela, il doit être noté que non seulement les avant-gardes n’étaient pas composées de prolétaires quand elles étaient en charge de leurs nouveaux états « socialistes », mais même les membres du parti les plus important.es, avant leur victoire, ne provenaient pas de milieux populaires. Lénine, Mao et Che Guevara provenaient tous trois de la classe moyenne.

Pourquoi, alors, avaient-ils obtenu des responsabilités ? Pour la simple raison que le système de classe ne prépare pas les classes opprimées à remplir des rôles de commandement. Être une bon.ne suiveur.euse, un.e bon.ne preneur.euse d’ordre est vital pour un.e prolétaire. Penser par soi-même, questionner l’ordre et les systèmes, est un trait qui vous fera mettre à la porte.

Les personnes plutôt issues de la classe moyenne, bien que techniquement toujours prolétaires, sont beaucoup plus entraînées à grimper dans la hiérarchie – et sont beaucoup mieux éduquées. Si vous ne pouvez pas comprendre la théorie socialiste, et que vous n’êtes pas adeptes de la pratique consistant à escalader la hiérarchie des organisations « socialistes », alors vous n’obtiendrez pas de positions de pouvoir sous un régime « socialiste ».

La rhétorique marxiste se fait une spécialité de l’analyse matérialiste, mais la pensée marxiste refuse de la pousser à ses conclusions logique. L’accélérationisme consiste en l’analyse matérialiste prise sérieusement – une analyse matérielle qui analyse également le théoricien.

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L’anarchisme insurrectionnel et l’anarchisme de marché sont tous deux très critiques à l’égard de la démocratie, là où un anarchisme plus conventionnel (révolutionnaire et/ou communiste) s’est souvent montré étrangement modéré à son égard – même si ces anarchistes rejettent la démocratie actuelle (parlementaire, libérale…). Tous ces anarchismes appellent régulièrement à ne pas voter, dans l’idée que le vote légitimise l’État – ce qui implique le principe bizarre selon lequel l’État se contenterait de disparaître si l’on arrêtait d’y croire.

La démocratie est toujours une forme de commandement – elle est la hiérarchie de la majorité sur la minorité. Ceci n’est pas l’anarchisme, et toute personne qui vous affirme le contraire – qui vous assure que l’anarchisme n’est finalement juste que de la démocratie directe – soit vous ment, soit ne sait pas de quoi elle parle.

Comment cela se fait-il, alors, que je puisse continuer à soutenir les coopératives de travailleureuses comme l’une des meilleurs (si ce n’est la meilleure) forme organisationnelle ? Je les tiens certainement comme supérieures aux entreprises capitalistes et à celles du socialisme d’État.

Pourquoi j’admire la démocratie des entreprises coopératives, tout en crachant sur la démocratie des États-nations ?

Tout d’abord, toutes les critiques de l’État, de la nation ou des entreprises misent de côté, il est un fait évident que tous les systèmes de prise de décision collectifs perdent en efficacité à mesure que le système s’étend. Si l’on part du principe que le système de prise de décision est relativement égalitaire – i.e., que chaque participant.e a à peu près le même effet sur le processus décisionnaire que toustes les autres – alors c’est un fait évident que, si le nombre de participant.e est très large, alors l’influence de n’importe quelle participant.e particulier.ère est très minime.

Étant donné que le pouvoir d’un.e participant.e parmi N est de 1/N, la majorité de ce pouvoir est perdu assez « tôt », avec l’adhésion de nouveaux.elles participant.es. La différence entre N=1 et N=10 est bien plus grande qu’entre N=10 et N=100, ou N=100 et N=1000.

Malgré toutes les critiques portées par les Marxistes à l’encontre de « l’aliénation du travail », nous constatons bien assez vite que le substitut qu’iels nous proposent à la place de la « tyrannie » du marché est tout aussi insensitif à l’égard de vos intérêts individuels. N’importe quel système vaste et totalisant dans lequel vous vous retrouvez vous absorbera. Vous êtes une personne. Vous n’aurez aucun impact, sous n’importe quel système qui vous place parmi des millions voire des milliards d’autres personnes.

S’il existe une façon d’échapper à l’aliénation, c’est par la faite en rejoignant une communauté de votre choix.

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La Gauche et la Droite ont toutes deux des théories concernant les intérêts politiques des gens, et les deux sont dans l’erreur.

La Gauche insiste que les positions politiques sont issues des intérêts de groupe : les groupes opprimés se solidarisent pour forcer les groupes oppresseurs à faire des concessions, même à travers différents axes d’oppression. Et, généralement, c’est ainsi que les mouvements politiques et les idéologies à Gauche tendent à justifier leur existence.

La Droite, de son côté, insiste sur le fait que les positions politiques devraient être issues de devoir extra-institutionnels : i.e., que celleux au sein d’une même institution (que ce soit une famille, une église, une entreprise, ou même un État-nation tout entier) devraient travailler ensembles pour préserver les aspects bénéfiques de ces institutions. Et c’est ainsi que les partis de droite présentent leur action, du moins si vous parvenez à les faire s’expliquer sur la question.

Néanmoins, aucune de ces deux types de théories du désir politique ne sont parfaites – ou même particulièrement bonnes.

Il y a beaucoup d’éléments d’intérêts de groupes (oppresseurs) basés sur la classe sociale, le genre, la religion ou l’ethnie dans les mouvements de droite – et, crucialement, c’est à partir de ces éléments que la droite tend à embrasser des pratiques d’aides sociales ne bénéficiant qu’aux membres du groupe dominant. En d’autres termes, les mouvements de droite peuvent, à travers l’adoption de formes de motivation ostensiblement de gauche, reprendre à leur compte des objectifs de pseudo-gauche.

Il y a beaucoup de débats au sein de la gauche au sujet de la nécessité de préserver telle ou telle institution pour en maintenir les bénéfices – il suffit de voir comment les principes de St-Paul ont été adoptés par la gauche américaine, bien au delà de leur conexte originel. Ou bien même l’insistance de la part des membres de la « Dirtbag Left » (une tendance de la gauche américaine en ligne se prétendant critique du « politiquement correct » et prompte au réductionnisme de classe, NdT) que les questions d’oppressions intraclasses et non basées sur les classes sociales ne devraient pas être résolues en ayant recourt à des institutions extra-classe. On pourrait même soutenir que la critique anarchiste de la dénonciation à la police des délits ou du vote vont dans le même sens – ne pas éroder nos institutions alternatives en utilisant les institutions contrôlées par la bourgeoisie.

Au-delà même de la Droite contenant des motivations politiques de Gauche, ou de la Gauche contenant des motivations politiques de Droite, les deux contiennent un élément qui transcende leur division : la capacité de créer un récit dans lequel il est plaisant de prendre part. Les appels à la tradition ou à l’avenir ) à la capacité d’être un père de famille, ou de défendre telle ou telle valeur, ou de participer à la grande révolution, etc, etc… sont des motivations de ce type narratif.

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(Les citations dans cette section sont tirées de Revolutions in Reverse de David Graeber)

Il y a une base matérielle pour l’imagination. Votre imagination n’est pas infinie, mais si elle semble l’être. Vous êtes le produit de certaines positions au sein d’un certain ensemble donné d’institutions, et cela informe ce que vous trouverez raisonnable ou non, de plein de façons différentes.

David Graeber caractérise la Gauche comme les politiques de l’imagination, et la Droite comme les politiques de la violence :

« Les perspectives politiques de Droite et de Gauche sont fondées, par dessus tout, sur différentes suppositions à propos des réalités du pouvoir. La Droite est enracinée dans une ontologie politique de la violence, où être réaliste implique de prendre en compte les forces de destruction. En réponse la Gauche a de façon constante proposé des variations d’une ontologie politique de l’imagination, dans laquelle les forces qui sont vues comme les réalités ultimes qui doivent être prises en compte sont ces forces (de production, de créativité…) qui font naître des choses.  »

Dans le même essai, il dit également – pas par hasard – que la violence structurelle aboutit à ce que les oppresseurs se livrent principalement à une violence potentielle et que les opprimés agissent principalement dans l’imagination.

« Un ressort constant des sitcom des années 1950, en Amérique, consistait à faire des blagues à propos de l’impossibilité qu’il y a à comprendre les femmes. Les blagues bien sûr étaient toujours dites par des hommes. La logique des femmes a toujours été traitée comme étrange et incompréhensible. Personne n’avait jamais eu l’impression, d’un autre côté, que les femmes aient eu des problèmes à comprendre les hommes. C’est parce que les femmes n’avaient pas d’autres choix que de comprendre les hommes… cette sorte de rhétorique à propos des mystères de la féminité est une caractéristique pérenne des familles patriarcales : des structures qui peuvent, effectivement, être considérées comme des formes de violence structurelle dans la mesure où le pouvoir des hommes sur celui des femmes en leur sein est, comme l’ont pointé du doigt des générations de féministes, ultimement soutenu, dans de nombreuses manières indirectes et cachées, par toutes sortes de forces coercitives. Mais des générations de femmes romancières – Virginia Woolf nous vient immédiatement à l’esprit – ont aussi documenté l’autre côté de ce phénomène : le travail constant des femmes dans la gestion, le maintien et l’ajustement de l’égo masculin – impliquant un travail sans fin d’identification imaginative, et ce que j’ai appelé le travail d’interprétation.

… avec celleux en bas de l’échelle dépensant beaucoup de temps à imaginer les perspectives de celleux tout en haut, et s’en soucient même – mais cela n’arrive presque jamais dans l’autre sens – les inégalités structurelles – la violence structurelle – crée invariablement la même structure tordue de l’imagination. Et puisque… l’imagination tend à apporter avec elle la sympathie, les victimes de la violence structurelle tendent à se soucier des bénéficiaires de cette violence, ou du moins, à se soucier beaucoup plus d’elleux que ces bénéficiaires ne le font en retour. En fait, cela pourrait bien être (mis à part la violence elle-même) la force la plus puissante préservant de telles relations. »

La connexion semble évidente : la Gauche est l’idéologie anti-hiérarchique formée de façon itérative (ou, de façon équivalente, évoluée de façon mémétique) pour justifier les intérêts des opprimé.es, tandis que la Droite est l’idéologie pro-hiérarchique évoluée de façon mémétique (ou, de façon équivalente, formée de façon itérative) justifiant les intérêts des oppresseur.euses.

La Droite considère la violence comme plus importante car c’est ce avec quoi les groupes oppresseurs sont entraînés à traiter. Cela n’est pas nécessairement de la violence littérale, physique :

« Quand un côt&e