Passer en revue la « méthode Alinsky » pour reprendre l’expression sous laquelle les idées d’Alinsky sont transposées dans le travail social et le militantisme en France peut se décliner sur plusieurs axes. L’objet de notre brochure « Quelles règles pour les radicaux ? » sera donc prioritairement une analyse de Rules for Radicals : A Pragmatic Primer for Realistic Radicals traduit dans sa première version française en « Manuel de l’animateur social »(1). Reprenant un titre et un sous-titre étant plus fidèles à la version originale, il a également été édité récemment sous le titre Être radical : Manuel pragmatique pour radicaux réalistes.

Parfois présenté comme « a god hating anarchist » par certaines fanges de la droite aux États-Unis et blâmé pour son influence réelle ou supposée sur le parti Démocrate et l’État Fédéral ; en France, il est très largement promu par l’Institut Alinsky, l’Alliance Citoyenne, le mouvement Les Désobéissants, dont on retrouve une forme de déclinaison locale avec la Boîte Sans Projet et également dans le champ partisan par Francois Ruffin, Talpin & Balazard (indigénisme etc ) et La France Insoumise.

Globalement, le champ du travail social et la gauche associative et citoyenne ont été pénétrés par ses idées. Cette promotion passe par la réédition de Rules for Radicals et des formations à la « méthode Alinsky ». Ces promoteurs, notamment les membres de l’Institut Alinsky, ou Les Désobéissants deviennent comme les premiers organisateurs de l’Industrial Area Foundation, des permanents de la radicalité, rémunérés notamment pour les formations au militantisme qu’ils réalisent. Le démarchage de la clientèle de ces formations se fait tout simplement par le multipositionnement dans les réseaux militants et dans les collectifs de luttes naissant où sont d’abord proposées des formations pratiques gratuites comme produit d’appel avant la proposition de formations payantes avec tarifs préférentiels pour les personnes en difficultés. Certaines de ses organisations vivent également de formations dispensées pour les membres d’associations, les salariés d’entreprises ou de collectivités territoriales. En définitive pour qui milite suffisamment longtemps dans la gauche et l’outre-gauche contemporaine, il est difficile de ne pas croiser un promoteur de la méthode Alinsky et c’est d’ailleurs ce qui motive notre texte.

On notera que ces idées sont introduites en France sous couvert de l’expression de « méthode » et sous la forme d’une liste d’étapes à respecter, sans doute pour rassurer sur la supposée rationalité et efficience des techniques présentées auprès des particuliers et des associations. Si « Rules for Radicals » y est mentionné, à aucun moment son contenu n’est réellement discuté, et cela est l’objet de notre brochure. Puisque parler des « théories d’Alinsky » ou de « l’idéologie d’Alinsky » serait sans doute trop ouvrir la porte à une critique sur le fond de cet outillage.

Cela est cohérent, Alinsky lui-même se mettant dans une posture anti-idéologique, du réalisme, du pragmatisme. Une rhétorique tellement usée par la droite (française et internationale) qu’elle nous paraît un bien misérable cache-sexe pour avancer une idéologie particulière. Idéologie est ici bien entendu dans le sens de système plus ou moins cohérent, et pas forcément conscient, d’idées permettant de poser un regard sur le monde passé, présent et à venir… Prétendre être dépourvu d’idéologie pour le monde social est comme prétendre être dépourvu de perception pour le monde physique.

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1.  La figure centrale de l’ouvrage, après Alinsky lui-même, est celle du « community organizer » traduit dans le titre par « animateur social » mais que nous appellerons dans le cadre de cet article « organisateur » ou « organisateur professionnel ».
http://fa-amiens.org/Pour-en-finir-avec-le-fumiste-Saul-Alinsky.html