Débutons ce communiqué en reconnaissant que la lutte est désordonnée et que les choses ne se font pas tout de suite en une formation parfaite sans un peu de travail. Malgré cela, il nous semble nécessaire de le présenter ici comme une réponse et une analyse critique de l’état des mouvements sociaux autonomes et de la gauche en général, avec un accent particulier sur la ville de New York, dont la dynamique a probablement pris ses premières racines lors des élections de 2016. Trop souvent, les gauchistes se souviennent des événements de manière beaucoup plus idéaliste que réaliste, ce qui est compréhensible car nous avons été fortement démoralisés et épuisés par ce système capitaliste qui nous prive de notre créativité et de notre capacité d’action, et par l’État qui les soutient. Cependant, à moins de nous engager et de voir les choses telles qu’elles sont vraiment, nous n’y échapperons jamais

Notre contexte

L’état de la gauche à New York est précaire. D’une part, nous venons de vivre le plus grand soulèvement que la ville ait connu depuis des décennies. D’autre part, la révolte, menée par des jeunes noir-e-s pour la plupart prolétarien-ne-s (prolétaires ou lumpen-prolétariat) sans aucun lien avec l’activisme, a été essentiellement gentrifiée par les libéraux et la classe supérieure.

 

Ce qui était autrefois une rébellion sans compromis au cours de la première semaine a cédé aux chants « pas de justice, pas de sommeil« , « voilà à quoi ressemble la démocratie » etc, Des manifestant.e.s s’agenouillant avec des flics et des acteurs ou actrices amateurs se déguisant en militant.e.s et prenant la tête des manifestations pour relancer leur propre carrière. Ces deux situations ont un point commun. Les militant.e.s typiques de la gauche radicale, anarchistes et communistes, étaient sensiblement absent.e.s des deux (à l’exception de quelques collectifs et organisations sélectionnés qui ont été constamment impliqués).

Du moment où Donald Trump a été élu jusqu’à aujourd’hui, l’extrême droite renaissante a représenté une menace pour les communautés marginalisées et les gauchistes. Cela a favorisé une résurgence de l’antifascisme qui était absolument nécessaire et un pas dans la bonne direction. De la fermeture de Milo Yiannapolous sur les campus comme à l’université de Berkeley aux courageux combattants qui ont affronté l’extrême droite à Charlottesville, les anarchistes et autres radicaux se sont mis en danger pour combattre les ennemi.e.s politiques vicieux et les meurtrier.e.s racistes. C’est devenu une tendance dominante dans les cercles anarchistes, à mesure que le temps passait et que la lutte contre l’extrême droite prenait de l’ampleur. Les anarchistes ont commencé à être communément appelés « antifa », comme s’il s’agissait d’une idéologie politique en soi.

 

Un problème qui en découle est la tendance des journalistes carriéristes à se faire un nom en filmant ces actions et en s’engageant dans l’activisme à des fins spécifiquement journalistiques. Nombre de ces personnes ont ensuite travaillé pour des organes d’information et des magazines grand public tout en conservant un lien avec les communautés anarchistes. Cela a conduit à une vague de personnalités antifascistes des médias sociaux et de comptes rendus sur Twitter, dont la politique était souvent obscure. Soudain, s’organiser contre l’extrême droite est devenu plus important que s’organiser contre l’État ! Certain.e.s ont considéré qu’il était acceptable de travailler avec l’État pour identifier et arrêter les fascistes, et une sorte de « grande tente » a été adoptée, qui a encouragé des anarchistes à s’unir avec des libéraux, des sociaux-démocrates et d’autres forces contradictoires dans le but de « noyer les fascistes dans le nombre« .

Cela a encouragé l’affaiblissement de nombreuses lignes politiques anarchistes de longue date et l’encouragement de la culture et des attitudes libérales bourgeoises. Entre 2018 et 2019, le mouvement anarchiste de New York s’est trouvé dans une querelle entre deux factions principales,

  1. celles qui croyaient en une lutte sans compromis contre l’État et le capitalisme avec tout ce que cela implique, et qui mettaient l’accent sur l’action directe, l’anonymat, l’opposition aux grands médias et l’organisation avec la classe ouvrière et les jeunes, et
  2. ceux qui croyaient à l’approche de la grande tente qui consistait à essayer de recruter des libéraux dans le mouvement en faisant appel à de vagues points communs, au rejet de l’organisation orientée vers l’action directe dans le but déclaré de « faire paraître l’anarchisme moins effrayant » et à la promotion de la politique de « réduction des risques ». Beaucoup de ces personnes venaient de milieux bourgeois et certaines d’entre elles ont même commencé à plaider pour rejoindre la DSA et voter pour des politiciens sociaux-démocrates tels que l’AOC et Bernie Sanders pour « pousser la fenêtre Overton à gauche ». Pendant ce temps, l’organisation est passée au second plan et les manifestations anticapitalistes radicales qui étaient courantes il y a quelques années semblaient de plus en plus sporadiques.


Pas de nouvelles prisons et coalition FTP

En septembre 2018, une nouvelle coalition appelée No New Jails ( pas de nouvelles prisons) s’est formée, en opposition au projet du maire DeBlasio de fermer Rikers et de construire à son tour quatre nouvelles prisons massives à New York. La coalition était politiquement diversifiée mais s’est surtout concentrée sur la pression exercée sur les élu.e.s pour qu’ils  et elles s’opposent à ces nouvelles prisons.

Pendant ce temps, le 1er septembre 2019, une nouvelle coalition se faisant appeler la coalition FTP, composée de plusieurs collectifs de New York (Decolonize this Place, Why Accountability, NYC Shut It Down et Take Back The Bronx) a organisé la première marche Fuck The Police (FTP) à Brooklyn. Déclenchée par la brutalité policière contre les adolescents noirs dans le métro et par la frustration causée par l’augmentation des tarifs. La marche a pris les rues du centre-ville de Brooklyn sans permis, a brisé plusieurs vitres, dont celles de banques et d’un centre de recrutement, et a laissé des graffitis anti-État dans les stations de métro voisines. De leur propre aveu, cette action a pris le NYPD par surprise, car il n’y avait pas eu de manifestation radicale de ce genre depuis longtemps. Le FTP 2 s’est tenu à Harlem le 23 novembre, et a véhiculé une grande partie de la même énergie, mais aussi une version renforcée des mêmes problèmes qui étaient inhérents à la première marche.

 

Dès le départ, les organisateurs et les maréchaux ( police militante – service d’ordre ?!) de la marche du 1er novembre ont voulu diviser la foule par race, avec les blancs à l’arrière, les noirs à l’avant et tous les autres au milieu. Cependant, dans les semaines qui ont précédé, les collectifs ont fortement encouragé la formation de groupes d’affinité et l’action directe par le biais des médias sociaux. Cela a conduit à des conflits entre les participant.e.s, car les maréchaux ( ?!) ont donné des ordres à des camarades qui étaient arrivés ensemble pour tenter de les séparer. Certains camarades de couleur ont été pris pour des blancs par des maréchaux  ( ?!) trop jaloux et on leur a dit de se mettre à l’arrière. De nombreux camarades ont résisté à ces ordres et ont exécuté leurs actions ensemble. Il est évident que cela est contradictoire et contre-productif, et que cela sème les graines de la désunion face à l’État.

 

Le FTP 2 a connu des problèmes similaires. Cette fois-ci, les organisateurs se sont opposés à la question de savoir pourquoi une manifestation radicale devrait inclure des maréchaux comme forme de protection contre la police. Les discours des organisateurs ont été longs et traînants, donnant à la police de New York, initialement confuse, la possibilité de rassembler ses forces de tous les côtés. Des organisateur-rice-s ont prononcé des discours sur la politique identitaire et, dans un cas, ont refusé de terminer leur discours jusqu’à ce que la foule se déplace à son gré raciste et que « tou.te.s les blanc.he.s soient parti.e.s à l’arrière« . La RevCom, la tristement célèbre secte communiste de Bob Avakian, a protesté contre ces ordres racistes et s’est plainte qu’elle ne voulait pas être séparée de ses camarades. Des organisateurs ont réagi en leur faisant honte. Mais aussi embarrassant que soit le RevCom – Revolutionary Communist Party- , elles et ils avaient raison. Tout au long de la journée, les protestataires ont répété les mêmes erreurs que celles commises lors de la première marche, mais en pire. Des groupes multiraciaux se sont fait crier dessus pour se séparer, les marshals se sont contrôlés les uns les autres avant de réaliser qu’ils étaient tous les deux des marshals, et ont répété à blanc l’identité raciale des peuples supposés et ont crié aux camarades brun.e.s et indigènes qui avaient le visage couvert (honte?!)  d’aller au fond comme « allié.e.s blanc.he.s« .

 

La marche semblait ne pas avoir de direction claire, ce qui a entraîné de nombreux affrontements inutiles aux intersections avec la police et de nombreux manifestant.e.s ont été arrêté.e.s et brutalisé.e.s. Elle s’est finalement scindée en plusieurs marches, et lorsqu’une section a traversé un pont dans le Bronx, des jeunes de couleur ont commencé à marquer des bâtiments et des panneaux immobiliers. Certain.e.s manifestant.e.s ont pris sur eux de devenir des policier.e.s de la paix et de dénoncer les « agitateurs blanc.he.s et métis.ses » et les « vandales », tandis que d’autres se sont porté.e.s à leur défense.

C’est la conclusion logique de la structure que FTP utilisait, bien qu’une fois de plus des organisateur-rice-s aient passé des semaines à promouvoir fortement des images et des vidéos encourageant l’action militante, leur comportement s’inscrit dans un schéma familier que la plupart des groupes militants emploient et qui étouffe l’action autonome. En outre, lors de la marche de Harlem, il est devenu incontestablement clair que la base politique principale de cette coalition était la même foule de militant.e.s blanc.he.s qu’elle prétendait souvent ne pas représenter. En effet, dans la rue, on aurait dit une grande masse de manifestants blanc.he.s se disputant entre eux pour savoir qui va où, alors qu’à Harlem.

Le FTP 3 a eu lieu le 31 janvier 2020. Les mêmes questions étaient présentes que lors des deux dernières marches ; de nombreuses personnes ont été bouillies juste avant le début de la marche. Dans les semaines précédentes, des conflits entre divers groupes et coalitions abolitionnistes ont éclaté entre eux. Le FTP IV a eu lieu le 4 juin 2020, et il est largement reconnu comme un échec. Nous en parlerons dans la prochaine section.


COVID-19 et la rébellion de George Floyd

La pandémie de COVID-19 a mis à nu les contradictions du capitalisme et de l’État. Un tel désastre aurait pu être complètement évité, et les États-Unis se sont révélés totalement incapables de prendre des mesures d’atténuation, même marginales. À New York, les communautés noires et brunes ont été les plus touchées, les personnes âgées noires étant les plus exposées au risque de décès, tandis que les gentrifiers (bobos ?!) ont fui la ville et que les derniers hipsters et yuppies ont organisé des fêtes contre le coronavirus, et ont ensuite reproché aux personnes qui devaient rester au travail de les avoir mises en danger. La ville a interdit aux sans-abri de dormir dans les métros de plus en plus dangereux, et les a jetés sur les marches des refuges pour sans-abri qui ne fonctionnaient pas et ont débordé. Le plan de relance de 1 200 dollars a été largement décrié et le gouverneur Cuomo a refusé d’instituer un moratoire sur les loyers et les hypothèques. L’anxiété était grande dans tout le pays. Un baril de poudre était en train d’être rempli.

Le 25 mai, ce baril de poudre a fait son effet. George Floyd a été assassiné par la police à Minneapolis après qu’un dépanneur l’ait accusé d’avoir fait passer un faux billet de 20 dollars. Un flic raciste s’est agenouillé sur son cou jusqu’à ce qu’il suffoque. Dans ses derniers mots, il a crié pour sa mère qui était décédée et a dit : « Je ne peux pas respirer« . Sinistrement similaire au meurtre d’Eric Garner, la vidéo de l’incident a déclenché une révolte comme le pays n’en avait jamais vu auparavant.

Des protestations spontanées ont été lancées presque immédiatement à Minneapolis. Les journalistes des grands médias et les organisateurs libéraux ont été expulsés. Finalement, une foule multiraciale de gens de la classe ouvrière a repoussé une escouade de voitures de police et a brisé leurs vitres, les flics couraient et les gens avançaient. Les gens ont réalisé qu’ils avaient le pouvoir.

Il semblait que tout le pays avait les yeux rivés sur Minneapolis. Malgré les histoires de propagande habituelles sur les agitateurs blanc.he.s, les flics sous couverture et les suprémacistes/antifa/jihadistes blanc.he.s étant à l’origine des émeutes, une grande partie de la population n’y croyait pas et acclamait la rébellion de la classe ouvrière multiraciale menée par des Noir.e.s. Nous savons tous ce qui s’est passé dans les jours qui ont suivi, mais lorsque le troisième commissariat a pris feu, les choses ont atteint un tout autre niveau.

Des émeutes ont éclaté dans tout le pays. Même les États rouges (républicains) et les petites villes du Midwest y ont participé. Ce qui a commencé comme une réaction contre le meurtre de la police est devenu une véritable révolte de classe. Par-delà les frontières raciales, des opprimé.e.s se sont montrés solidaires les un.e.s des autres. Des signes de conscience de classe semblaient se former.

À New York, une manifestation a été organisée sur Union Square. Ce sera la première fois que la « gauche » se mobilise depuis la pandémie. La manifestation a été assez agitée pour une manifestation de New York, mais il s’agissait encore principalement de la foule habituelle d’étudiant.e.s, de transplantations et de la classe moyenne, principalement des universitaires blanc.he.s. Le lendemain, cependant, la situation était complètement différente.

 

Une manifestation a été organisée le vendredi 29 mai au Centre Barclays de Brooklyn. La région est depuis longtemps la cible de l’embourgeoisement, avec quelques zones de résistance aux alentours. Les organisateurs qui ont appelé à 15h étaient assez libéraux, implorant les gens de ne pas se présenter en bloc noir parce que « des flics ont été observés dans ce style vestimentaire ». Un contingent plus radical a été appelé à 18h, avec un tract disant « Préparez-vous à l’escalade ». Les libéraux et les ONG se réunissaient à Foley Square dans le but déclaré de maintenir la paix, et comprenaient des groupes d’astroturf tels que la Justice League NYC, tristement célèbre dans la ville pour avoir détourné à plusieurs reprises des manifestations et dénoncé des radicaux au bureau du maire, et le GMACC, un groupe basé à Crown Heights, composé d’anciens membres de gangs, dont le but déclaré est de réduire la violence de rue, mais qui agit aussi souvent comme un muscle pour le bureau du maire et qui interfère pour le NYPD lors de manifestations dans les quartiers noirs de Brooklyn. Ils ont déclaré leur intention de traverser le pont de Brooklyn et de se joindre aux manifestations qui s’y déroulent. Le décor était planté.

À l’approche de 15 heures, l’appel au libéralisme semble ignoré. De nombreuses personnes sont arrivées le visage couvert, des camarades en noir tagguaient déjà les trottoirs et des jeunes gens qui montaient à la gare voisine ont lâché une banderole sur la corniche. Les opérations d’infiltration étaient à peu près inexistantes en raison de la taille de la foule. Les organisateur-rice-s ont rapidement perdu leur contrôle car la foule semblait plus intéressée à engager la police qu’à écouter les mêmes vieux discours fatigués. La police a été bombardée de projectiles et de feux d’artifice devant le centre Barclays, les flics n’ont pu arrêter que les traînards à la périphérie. Peu après 6 heures, une partie de la foule a commencé à descendre vers le parc de Fort Greene, un centre de gentrification et de culture bourgeoise, alors que les radicaux et les jeunes noirs et bruns s’unissaient pour taguer les bâtiments. Beaucoup d’autres sont restés au centre Barclays et ont continué à se battre contre les flics. L’énergie est exubérante, les rebelles s’unissent pour bloquer les rues et éviter les flics aux carrefours. La marche a parcouru les rues latérales et a bloqué les routes pour empêcher la police de les suivre, les riches ont lancé des insultes et des débris de leurs maisons en pierre pour ensuite voir leurs véhicules vandalisés en réaction. Il est important de noter qu’il y avait peu ou pas d’hostilité envers les résidents jusqu’à ce qu’ils manifestent de l’hostilité envers la foule. Le défilé a traversé le Fort, le parc Greene, taguant des slogans anti-police et Justice For George Floyd et mettant le feu à des poubelles. Les jeunes des rues se sont joints aux manifestants. Finalement, la fenêtre d’un bar de soutien d’un flic gentrifiant a été brisée, ce qui a provoqué un conflit dans la foule entre les rebelles et quelques policier-e-s de la paix sous couverture, qui ont immédiatement sauté à la défense des biens et menacé ceux qui passaient à l’action.

 

Malgré cela, ils / elles ont été inefficaces, car la jeune foule noire les a criés et les rebelles ont continué à prendre toutes les mesures qu’ils/elles jugeaient appropriées. Ce genre d’escarmouches a continué toute la journée, les radicaux (principalement des anarchistes) et les forces prolétariennes (principalement des jeunes), étaient unis dans l’action, tandis que la police de la paix, principalement des libéraux plus âgés, essayait de les décourager avec les habituelles répliques fatiguées de « vous mettez les noir.e.s en danger ! ou « Hé, lea blanc.he ! Ce n’est pas votre voie ! » Ironiquement, ces policier.e.s de la paix appelaient souvent les gens de couleur et même les autres Noirs « blanc.he.s« , ce qui les délégitimisait encore plus aux yeux de beaucoup. Dans la plupart des cas, les 3-4 libéraux partaient frustrés devant la foule de ceux qui refusaient de les écouter. Les gens des projets (hlm)  voisins se sont joints à elleux et ont réprimandé les tentatives de la police de la paix de semer des tensions raciales parmi la foule, un homme déclarant : « Non, il ne s’agit pas de ça pour l’instant ! C’est nous contre la police et si vous n’êtes pas là pour ça, alors foutez le camp. » Alors que la nuit approchait, des véhicules de police ont été incendiés et détruits, ainsi que des appartements de gentrification et deux quartiers directement attaqués. Les flics ont verrouillé tous les autres quartiers de la zone, et le maire a déclaré : « La ville ne veut plus jamais revoir une nuit comme celle-ci »

Dans les jours qui ont suivi, des événements similaires se sont déroulés tout autour de Brooklyn et ont fini par atteindre le bas de Manhattan, où le célèbre quartier chic de SoHo, embarquant le Lower East Side souffrant et surtout gentrifié, a été attaqué et pillé. Les émeutes se sont étendues à Midtown Manhattan, où Park et la 5e Avenue sont attaqués à plusieurs reprises. Gucci, Chanel, Michael Kors, Macy’s, Rolex, ainsi que divers cafés et commerces de yuppies, des banques et des véhicules de police ont été vandalisés et pillés chaque nuit, les arrestations étant courantes et les flics étant impuissants à les arrêter, et étant souvent eux-mêmes agressés physiquement. Fordham Road, dans le Bronx, a finalement connu sa propre rébellion. C’est très significatif car ces quartiers de Manhattan, réputés pour leur richesse, où la police et les agences fédérales sont constamment très présentes, n’ont jamais connu ce genre d’événements. Les militant.e.s plaisantaient sur les émeutes de Park Avenue comme étant un scénario impossible. Sauf que c’était maintenant une réalité.

 

 

Il est tout aussi important de noter l’absence notable de presque tous les « who’s who » typiques de la culture protestataire de New York, même de la gauche radicale. Les radicaux qui se sont manifestés étaient minoritaires, mais beaucoup de radicaux autrefois désillusionné.e.s, épuisé.e.s par des années de la culture militante particulièrement toxique et dramatique de New York qui a atteint son apogée ces dernières années, ont été ravis de ces événements et ont ressenti une énergie renouvelée. La foule de ces manifestations était composée en majorité de jeunes noir.e.s de la classe ouvrière, le reste étant de la classe ouvrière, principalement des jeunes de toutes les autres races, et à Manhattan, les restes de la communauté punk du Lower East Side, longtemps affectée par l’embourgeoisement, se sont souvent joints à eux.

Une unité de classe s’était formée, alors que tous ces groupes démographiques se rendaient compte de leur ennemi commun. On voyait couramment des pilleurs et des rebelles distribuer des biens libérés aux sans-abri et entre elleux, discuter et rire entre elleux au son du verre brisé et des poubelles qui tombaient, répété en arrière-plan. La police de la paix était presque absente et les quelques personnes qui sortaient étaient éjectées des marches, avaient leur téléphone d’enregistrement en panne, et les journalistes des grands médias recevaient le même traitement.

Frantz Fanon dit dans Wretched Of The Earth que « la violence, c’est l’homme qui se recrée » et note que l’acte de violence cathartique contre le véritable ennemi commun des masses, la classe dominante, l’État et les agents du colonialisme des colons, est le début de la période de transition entre l’individualisme capitaliste qui encourage la violence à risque tardif et une société basée sur la défense collective et communautaire. 99% du temps, le seul chant utilisé était « NYPD suck my dick » (sans sens homophobique), du premier au dernier jour. Sporadiquement, d’autres chants tels que « Who’s streets (à qui est les rues?) ? Nos rues », et divers slogans sur George Floyd et Breonna Taylor étaient également utilisés.

 

Finalement, un couvre-feu de 23 heures a été mis en place, ce qui n’a pas vraiment permis d’arrêter les émeutes, mais a beaucoup contribué à galvaniser les forces libérales et de droite pour qu’elles sortent et mettent un terme aux rebelles, qu’elles considéraient comme « ceux » qui avaient provoqué le couvre-feu. Les agences de presse ont accordé des interviews aux manifestants libéraux, qui ont raconté de façon poétique comment leurs manifestations pacifiques avaient été détruites par des agitateurs extérieurs. Les politiciens locaux ont fait de même. Il est important de noter que ces journalistes ont accordé une attention particulière aux libéraux noirs, et ont insisté sur le fait qu’il fallait « écouter les dirigeants noirs » et les « agitateurs blancs ». Le couvre-feu a finalement été déplacé à 20 heures, et les rebelles étaient pour la plupart absents, remplacés par des libéraux à genoux et embrassant les flics, affichant des pancartes promouvant le Parti démocrate, Bernie Sanders et le vote, et le toujours présent « NYPD suck my dick » a été remplacé par « protestation pacifique ». Des groupes sporadiques d’une dizaine de personnes tentaient parfois de piller un magasin, mais contrairement à l’atmosphère collective des jours précédents, les bagarres pour des biens pillés étaient courantes.

Le dernier clou dans le cercueil a sans doute été le FTP IV mentionné ci-dessus, appelé une semaine entière après la rébellion initiale, qui a attiré une petite foule et a entraîné une bouilloire et une arrestation massive. Au moment où nous écrivons ces lignes, les protestations de la ville de New York sont menées par des acteurs, des mannequins et des influenceurs de l’Instagram qui se greffent sur le mouvement. L’occupation de l’hôtel de ville, initialement sanctionnée par la ville et dirigée par des ONG, est maintenant une bataille contestée entre différentes factions, car divers acteurs se menacent publiquement et publient des condamnations toutes les heures.

Ce qui a commencé comme une révolte de classe spontanée, sans chef, dirigée par des Noir.e.s, a été complètement coopté par des opportunistes, dont beaucoup sont sanctionné.e.s par l’État. Cela inclut les radicaux qui étaient complètement absents dès la première semaine et qui ont suivi le sillage que les libéraux ont créé pour eux.

Que pouvons-nous apprendre ?

D’une part, la culture militante, y compris les médias et les actions radicales, ont très peu de portée en dehors de leurs propres cercles sociaux. Leurs événements et leurs actions s’adressent aux étudiant.e.s universitaires, aux petits bourgeois.es et aux universitaires ; ils/elles ont tout un langage que personne d’autre n’utilise, et sont plus intéressé.e.s par la perfection policière que par la rencontre avec les gens là où ils/elles se trouvent, ou à l’autre bout du spectre, en réprimandant et en critiquant tout le monde tout en dissimulant le comportement oppressif de leurs ami.e.s et de leur cercle social. Cela n’est pas seulement aliénant pour les gens, c’est carrément destructeur.

Ce que Marx appelait de façon désobligeante le « lumpen-prolétariat », les chômeurs, les arnaqueurs, ceux qui vivent au mois le mois (au jour le jour)  sur n’importe quel travail à court terme qu’ils elles peuvent trouver, sont les couches de la société qui, selon les Panthers, ont le potentiel le plus révolutionnaire. Les participant.e.s au soulèvement n’étaient manifestement pas issus du mouvement militant, le langage de la rue peut en témoigner – et comme on pouvait s’y attendre, la situation était nettement plus fluide, libératrice et ouverte aux personnes d’origines différentes. Alors que le mouvement prétend « faire de la place » aux personnes marginalisées, son comportement fait que la plupart des gens, qui devraient participer, ne le peuvent pas.

Lors d’une marche depuis Union Square, des camarades ont rapporté que les premiers actes de dommages matériels ont été commis par de jeunes combattants noirs qui ont déclaré haut et fort : « Cette merde pacifique ne fait rien ! Frappons-les là où ça fait mal ! Prenons leur merde ! » Cette déclaration a souvent été condamnée, et parfois agressée par les libéraux, mais ils ont d’abord été battu.e.s. Mais à mesure que la police, les libéraux, l’État et la grande majorité du mouvement radical se sont impliqués, il est devenu intenable pour les vrais militant.e.s de rester dans les rues.

En réalité, le réductionnisme identitaire et l’armement étaient les outils les plus cruciaux que les forces de pacification avaient dans leurs poches et cela devrait prouver une fois pour toutes que la gauche doit abandonner cette politique vaseuse et empoisonnée et parler à la réalité.