Le naufrage de Noam Chomsky

25 avril 2020 par Floréal

Depuis que Chateaubriand laissa entendre que « la vieillesse est un naufrage », ils ont été nombreux, en effet, les intellectuels et autres « grands témoins de notre temps », parvenus à un âge avancé, à vouloir lui donner raison. Le dernier en date, Noam Chomsky, 91 ans, a manifestement tenu lui aussi à démontrer la pertinence du propos du vicomte malouin.

Si l’on a pu comprendre et partager naguère l’aversion qu’éprouve le célèbre linguiste envers le capitalisme américain tout-puissant, il fallait déjà que sa lucidité soit quelque peu émoussée pour avoir déjà chanté par le passé les louanges d’authentiques canailles comme le furent Fidel Castro et Hugo Chavez. En matière d’anti-impérialisme, on attendait chez celui qui montra quelques sympathies pour la pensée libertaire qu’il ne se montrât point aussi crétin que le premier gauchiste venu. Quand la détestation du néolibéralisme amène à préférer la peste au choléra, il est temps pour les intellectuels fatigués de prendre du repos.

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Les liaisons dangereuses…

Ce monsieur, à qui l’on prête de savantes théories sur la manipulation médiatique à laquelle se livrent les salariés du mensonge ultralibéral, ne semble donc pas avoir poussé sa réflexion jusqu’à se demander ce que pouvait bien être l’état de l’information bourrage de crânes dans ces pays où règne sans partage un parti unique. Car voilà que cet homme invariablement présenté comme un esprit des plus brillants reprend à son compte la propagande la plus grossière du système dictatorial cubain, dans une ignorance manifeste des faits.
Dans un entretien accordé à l’agence espagnole Efe, l’intellectuel américain vient en effet d’affirmer que la politique de La Havane était le seul exemple d’« internationalisme authentique », faisant par là référence à l’envoi d’équipes médicales cubaines en divers pays en ces temps de pandémie*.
« Cuba a toujours été étranglé économiquement par les Etats-Unis mais a survécu par miracle pour continuer à montrer au monde ce qu’est l’internationalisme », déclare Chomsky. Mais, selon lui, « cela ne peut se dire aux Etats-Unis (Ah bon ? Que craint-il ?) où ce qui est « correct » est d’accuser [Cuba] de violations des droits humains alors que les pires ont lieu au sud-est de Cuba en un lieu appelé Guantanamo ». Manifestement, il semble difficile à cet éminent penseur de considérer que les droits humains peuvent être bafoués en plusieurs endroits à la fois, à Guantanamo, en effet, par les gouvernements américains successifs, et sur tout le territoire cubain par le régime castriste depuis soixante et un ans. On pourrait même lui glisser à l’oreille qu’un intellectuel respectable s’honore à dénoncer ces violations partout dans le monde, plutôt que de laisser entendre qu’il en est d’acceptables, d’un côté, et d’exécrables, de l’autre, ou d’établir une sinistre hiérarchie entre elles.
Quant au cœur du sujet, l’envoi d’équipes médicales cubaines à l’étranger, voilà donc qu’à son tour Chomsky nous sert le même propos, tout de guimauve, transformant les membres du corps médical cubain en charitables dames patronnesses du marxisme-léninisme. Ce propos, entonné depuis des lustres par les gobe-mouches de gauche et ce qu’il reste de staliniens, hier au nom de la solidarité ou de la fraternité, l’est donc aujourd’hui sous le signe d’un internationalisme qu’on suppose « prolétarien » dans la cervelle embrumée de Noam Chomsky. Voyons ce qu’il en est, et apportons quelques précisions que ne fournissent jamais les thuriféraires du régime castriste.

Pour en finir avec les images pieuses
Le 23 mars dernier, une émission de France Culture était consacrée précisément à cette question de l’envoi de médecins cubains en mission à l’étranger. On y apprenait que le Venezuela avait été jusqu’à récemment l’un des principaux pays à recevoir cette « aide », interrompue il y a peu : « La Havane et Caracas avaient un accord de partenariat « pétrole contre brigade de médecins » qui, en raison de la dégringolade de la situation vénézuélienne, n’est plus rentable. » C’est qu’en effet l’« authentique internationalisme » évoqué par Chomsky se doit de demeurer d’une rentabilité à nulle autre pareille, y compris comme ici avec un autre pays « révolutionnaire », sous peine de cessation immédiate. Il est important de savoir ici que l’exportation d’équipes médicales cubaines à l’étranger représente une véritable industrie, et qu’elle est même, avant le tourisme, pourtant fort lucratif, la principale source de revenus en devises pour l’Etat cubain (8 à 10 milliards par an).

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Médecins cubains, armés d’images pieuses, en partance pour l’Italie.

Ce qu’ignorent ou taisent systématiquement les Chomsky et consorts, c’est que cet « internationalisme » rentable repose sur des contrats d’Etat à Etat, et que le régime cubain prélève, selon les postes occupés par les membres du personnel médical en mission (médecins, infirmiers, aides-soignants et commissaires politiques en blouse blanche), de 75 à 90% de leur salaire théorique. D’où immenses bénéfices. La question se pose également de savoir si le personnel médical a le choix, ce qui est largement contesté par ceux qui connaissent la question, en particulier des médecins ayant fait défection. A côté de ceux qui semblent de toute évidence être des « volontaires désignés d’office » figurent néanmoins, sans doute, de véritables volontaires. Mais il convient alors de signaler que malgré les importantes retenues salariales, un Cubain en mission à l’étranger gagnera toutefois davantage que s’il exerçait son métier dans son propre pays, et compte tenu des conditions de vie sur l’île on comprend que cela puisse en tenter certains.
Outre ces aspects économiques, rien n’est jamais dit non plus par les Chomsky et autres « idiots utiles » sur les conditions dans lesquelles s’exerce ce qui nous est présenté comme une noble mission humanitaire. « Le personnel soignant cubain qui va travailler à l’étranger s’engage à mener une mission de trois ans, sans sa famille. Il risque jusqu’à trois ans de prison s’il déroge aux règles imposées. D’ailleurs, les conditions dans lesquelles travaillent ces médecins sont dénoncées par une association de défense de la démocratie basée à Madrid, Prisoners Defenders, qui parle de « milliers de Cubains forcés de participer aux missions au bénéfice du gouvernement cubain ». Et l’ONG d’ajouter « que beaucoup de médecins ont déserté ». Pour ceux qui rentrent à Cuba, un bon nombre se voient retirer leur passeport pour « détention d’information secrète » », était-il précisé dans l’émission de France Culture. En 2017, un article du Monde diplomatique, où opèrent des staliniens recyclés que l’on ne peut accuser d’être hostiles au régime cubain, précisait que « le dispositif scientifique cubain n’est pas exempt de contradictions. Les hommes en blanc sont souvent envoyés à l’étranger dans le cadre d’un service civique de trois ans, au cours duquel ils sont hébergés dans des camps particulièrement surveillés et ont obligation de ne pas quitter leur région d’affectation, sous peine de sanctions ». Ajoutons à cela que durant tout le temps où un médecin cubain est en mission à l’étranger les membres de sa famille proche ont interdiction de quitter le territoire cubain.
Cette politique d’exportation de médecins et leurs conditions de travail et de rémunération a déjà, par le passé, été assimilée à du travail forcé par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Ce même Conseil doit d’ailleurs prochainement se pencher à nouveau sur ce problème, cette fois à partir d’un rapport, également remis à la Cour pénale internationale de La Haye, sur les formes contemporaines d’esclavage et de mauvais traitements des personnes fondé sur 450 témoignages de professionnels du secteur de la santé cubains ayant participé à des missions à l’étranger. Ce rapport, établi par l’ONG Prisoners Defenders, demande au Conseil de l’ONU de se prononcer sur « les mécanismes de plainte existants pour les professionnels cubains qui veulent dénoncer les abus et l’exploitation par le travail, et de quelle façon ces mécanismes peuvent être accessibles à ces professionnels depuis l’étranger ». Le document rapporte lui aussi que « de nombreux professionnels de la santé sont exposés à des conditions de travail et de vie relevant de l’exploitation ». Cette exploitation est illustrée dans le rapport par des témoignages qui évoquent des semaines allant jusqu’à 60 heures de travail, samedi et dimanche inclus. La dictature du prolétariat est parfois dure aux prolétaires…
Si la participation aux missions à l’étranger est présentée par le régime cubain comme relevant du volontariat, le rapport explique que « beaucoup de médecins se sentent soumis à de fortes pressions et craignent des représailles en cas de refus ». Enfin, le rapport évoque également « l’absence de liberté de mouvement et les sévères sanctions imposées aux médecins qui abandonnent les missions ».
Voilà donc autant d’à-côtés de ce fameux « internationalisme authentique », ignorés ou tus par Chomsky et d’autres compagnons de route du même acabit. Comme disait Georges Brassens, « la plupart des intellectuels que j’ai vus étaient vachement fatigués ». Oui, il est vraiment temps que Chomsky se repose.

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* Au passage, et sans rire, il accorde aux autorités chinoises le mérite d’avoir sauvé l’Italie. Que la Chine ait envoyé du matériel médical en Italie ou ailleurs, c’est bien le moins qu’elle pouvait faire. Cette image de la Chine pays salvateur ne manquera sans doute pas d’amuser les personnels soignants dans tous les hôpitaux à travers le monde.

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