Tandis que le spectre du coronavirus hante les deux millions d’habitants palestiniens de la bande de Gaza, dont la moitié sont des enfants, le monde doit faire face à une vérité urgente : Gaza, qui est depuis longtemps invivable dans les conditions actuelles, le sera encore plus maintenant que le virus a atteint sa population. 
Depuis des années, des ONG internationales et même certains responsables israéliens, ont averti du fait que le système de santé de Gaza est au bord de l’effondrement, rendu impuissant par des décennies de non-développement, d’appauvrissement systématiques et de siège. Tous les problèmes liés au blocus israélien s’enchevêtrent et augmentent dans le secteur de la santé à Gaza : une grave crise de l’eau, une fourniture d’énergie extrêmement réduite, des taux élevés de chômage et une infrastructure en miettes.

Tel qu’il est, le système de santé n’est pas équipé pour une apparition de COVID-19. Le nombre total de lits d’hôpital est de 2 895, soit 1,3 lits pour mille personnes. Juste 50 à 60 respirateurs pour adultes. Selon le chef de l’antenne de l’OMS à Gaza, Abdelnasser Soboh, Gaza n’est préparée à prendre en charge que les cent premiers cas du virus ; « Après, il faudra un soutien supplémentaire ».

Le système de santé est, de plus, aggravé par l’émigration de nombreux professionnels palestiniens de santé à cause de la crise économique à Gaza. Plus de 35 000 Palestiniens ont quitté la bande de Gaza rien que depuis 2018, dont des dizaines de docteurs et d’infirmières. Un responsable du ministère de la santé a déclaré qu’ils auraient besoin d’au moins 300 à 400 docteurs de plus, juste pour combler le fossé et répondre au minimum aux nécessités de la population.

Une autre caractéristique de l’existence de Gaza pourrait nourrir une diffusion massive du virus : c’est la densité de population. Selon des scientifiques, « les conditions de surpeuplement peuvent accroître la probabilité que des gens transmettent des maladies infectieuses » – et avec une moyenne de 6 028 personnes au km carré, Gaza a l’une de plus fortes densités de population au monde. Son surpeuplement n’et dépassé que par quelques lieux comme Hong Kong ; mais, alors qu’à Hong Kong les gens peuvent entrer et sortir librement, la majorité des Palestiniens de Gaza y sont en cage contre leur gré.

Les huit camps de réfugiés de Gaza ont même des densités de population plus élevées que la moyenne du territoire. Prenez Jabaliya, où plus de 140 000 réfugiés palestiniens vivent sur une superficie de 1,4 km2, soit 82 000 personnes au km2. Le camp ne dispose que de trois centres de santé et d’un hôpital public. Juste de l’autre côté de la barrière de séparation avec ce qui est aujourd’hui Israël – d’où viennent nombre de réfugiés palestiniens – la densité va de zéro à 500 personnes au km2.

Dans le sillage de la pandémie mondiale, les conditions à Gaza sont la recette d’un désastre. Elles ne sont pourtant pas le résultat de quelque accident malheureux ; elles sont le produit délibéré de décennies de la politique publique d’Israël, consciemment conçue et maintenue pour décomposer Gaza.

La plupart des 2 millions de Palestiniens vivant dans l’étroite bande aujourd’hui sont les descendants des 200 000 réfugiés qui ont fui ou ont été chassés pendant la guerre de 1948 qui a créé l’État d’Israël, s’ajoutant aux 80 à 100 000 Palestiniens qui résidaient alors dans cette zone.

Ces réfugiés croyaient que leur séjour à Gaza serait temporaire, mais Israël a rapidement construit des barrières militarisées pour confiner les Palestiniens et a promulgué des lois visant à pérenniser leur déplacement. Ce fut par exemple la Loi de Prévention de l’Infiltration qui rendit illégale toute tentative de la part de Palestiniens de retourner sur leurs terres, maisons et propriétés. Beaucoup de Palestiniens qui ont essayé ont été tués par les forces israéliennes.

Quand Israël a conquis la bande de Gaza en 1967, la possibilité a été donnée à des colons juifs de s’emparer de plus de 25% de ce territoire déjà petit, avec près de 40% de sa terre cultivable. Jusqu’au « désengagement » d’Israël en 2005, quatre décennies de colonisation juive ont aggravé le surpeuplement de Gaza et ont empêché les Palestiniens de construire et de se développer à l’intérieur de ce territoire. Depuis, les offensives militaires israéliennes répétées ont fait baisser le nombre de maisons et ont encore déplacé des dizaines de milliers de familles.

Pour le dire franchement, la situation actuelle de la bande de Gaza est due à la logique expansionniste d’Israël : l a conduite sans répit de l’État pour maintenir une majorité juive aux dépens des Palestiniens. Deux millions de Palestiniens sont pris au piège à Gaza, non qu’ils aient choisi cette vie mais parce qu’ils y ont été forcés. 
La menace du COVID-19 qui pèse sur Gaza est peut-être la dernière occasion de dire ce que beaucoup refusent d’entendre : le problème de Gaza n’est pas le manque d’aide humanitaire, aussi urgente qu’elle soit. Ce problème est territorial, démographique et politique. C’est au sujet de qui, entre le Jourdain et la Méditerranée est privilégié et qui ne l’est pas ; qui vit et se développe sur la terre et qui ne le peut pas.

Actuellement, alors que les citoyens juifs d’Israël jouissent de la terre et de ses ressources, le même droit est refusé aux Palestiniens qui sont empêchés de retourner dans leur patrie. Et tandis que la communauté internationale se focalise largement sur la menace de « l’annexion » par Israël de ses colonies illégales de Cisjordanie, peu se soucient de la réalité contre nature vécue par les habitants de Gaza.

En ces temps de pandémie et de préoccupation pour la santé de communautés partout dans le monde, il est temps de regarder en face toutes les conséquences de la partition injuste de la Palestine historique – Gaza y compris.

Gaza est certes un résumé de nombre des problèmes de notre monde : la guerre, la pauvreté, les déplacements et le racisme. Mais elle offre aussi des lueurs d’espoir, par son humanité, sa résilience et sa résistance.

Au moment où les gens dans des pays plus privilégiés ne sont que légèrement atteints par le fait de vivre en confinement, séparés de ceux qu’ils aiment, ayant des doutes sur la satisfaction de leurs nécessités de base et soucieux de notre avenir collectif, il est impératif de penser à des lieux comme Gaza, où les gens ont bien plus souffert depuis des décennies et sont en danger d’un choc bien plus dévastateur maintenant que la pandémie a atteint leurs rivages.

J’écris cela en pensant à ma famille à Gaza qui, comme beaucoup d’autres, peut bientôt être à la merci du COVID-19. Bien qu’il soit temps de penser à la survie, il est temps aussi de poser des questions importantes sur comment nous, humains, avons failli à nous préparer à ce moment. Si ce n’est pas le moment de mettre fin au blocus de Gaza et à l’occupation de la Palestine, et si ce n’est pas le moment de poser le problème des injustices qui ont réduit la vie des Palestiniens à la souffrance et à la douleur, alors quand ?

https://www.ujfp.org/spip.php?article7764

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Alors que la crise du coronavirus menace, des Israéliens lancent une campagne de solidarité avec GAZA

Le nouveau coronavirus a atteint Gaza et imaginer le résultat possible d’une diffusion massive du COVID-19 dans la bande de Gaza assiégée est terrifiant. C’est vrai, non seulement à cause de la puissance mortelle du virus en l’absence de vaccin, mais aussi à cause des conditions particulières qui sont celles de Gaza. L’enclave a une densité de population extrêmement élevée et une infrastructure délabrée qui est le résultat des attaques militaires mortelles et disproportionnées menées par Israël tous les quelques mois – il y a quelques jours à peine pour la plus récente.

Si des pays dotés d’économies puissantes, de systèmes de santé performants et d’une sécurité sociale solide luttent pour résister à la pandémie, quels seront les effets sur Gaza ? L’infection massive et le nombre de morts dont nous avons été témoins en Chine et que nous voyons maintenant en Italie, en Espagne et aux États Unis, ne sont qu’un avant goût de ce qui peut arriver si le virus fait des ravages dans la plus grande prison au monde.

Quand nous pensons au désastre inévitable qui est devant nous, nous craignons aussi que l’indifférence continue de la part du public israélien à l’égard de la situation à Gaza. Mais la crise du COVID-19 offre aussi la possibilité que nous repensions notre réalité, que nous questionnions le sens commun, que nous évaluions le rétrécissement de nos libertés, que nous reformulions nos priorités et que nous soyons solidaires.

C’est pourquoi, nous, un groupe d’Israéliens juifs, avons lancé une campagne indépendante appelée « L’épidémie à Gaza », pour faire prendre conscience et exprimer la solidarité avec les Palestiniens de Gaza. Notre espoir est que dans un moment de crise, quand nous sommes inquiets sur la santé et le bien-être de ceux qui nous sont le plus proches, nous pouvons néanmoins faire une place à la reconnaissance de notre responsabilité dans la réalité qui se présente à quelques kilomètres à peine. Il est de notre devoir de fournir une aide instantanée et, plus important, d’appeler à un changement immédiat de la politique inhumaine d’Israël à l’égard des habitants de Gaza.

Pour faire un don à la campagne Epidemic in Gaza

Il apparaît plus clairement chaque jour que la pandémie n’est pas seulement une urgence sanitaire, mais aussi un témoignage de la crise des systèmes de santé et des services sociaux publics. Ce n’étaient ni les chauve-souris en Chine qui ont fait diminuer le nombre de lits d’hôpital en Israël ni les pangolins qui ont fracassé le logement social. Le taux de grande pauvreté en Israël n’a pas été causé par une toux détournée. De même, les dégâts et l’agonie dont Gaza peut maintenant faire l’expérience ne seraient pas le résultat du seul virus mais de la politique d’Israël.

 

Le professeur Yehia Abed de l’Université Al-Qods de Gaza, spécialiste de santé publique et conseiller au ministère palestinien de la santé sur la pandémie du coronavirus, a participé au séminaire en ligne (webinar) de J Street le 26 mars dans lequel il a traité des efforts des professionnels médicaux à Gaza. Le professeur Abed a souligné l’énormité du fossé existant entre les ressources disponibles en Israël pour combattre la pandémie et ceux disponibles dans la bande de Gaza, comme conséquence de décennies de contrôle et d’oppression.

Il a ensuite déclaré que les Palestiniens de Gaza tiennent Israël responsable de la détérioration de leur système de santé. Ainsi, ils considèrent qu’il est de l’obligation de l’État de fournir les produits médicaux nécessaires pour combattre la pandémie. Ce n’est pas un acte de charité, mais plutôt le devoir d’Israël de fournir cette aide. De même, les organisations de défense des droits humains, dont Médecins pour les Droits Humains – Israël, B’Tselem et Gisha ont insisté sur la responsabilité d’Israël, à la fois moralement et en vertu du droit international, quant à la santé des habitants de Gaza.

« Pourquoi est-ce de notre responsabilité ? » peuvent demander de nombreux Israéliens. Après tout, c’étaient deux Gazaouis de retour du Pakistan via l’Égypte qui ont apporté le virus dans la bande de Gaza – pourquoi, alors, Israël devrait-il être tenu pour responsable ? Or, bien que ce ne soit pas Israël qui ait introduit le COVID-19 à Gaza, Israël est responsable de l’incapacité de la bande de Gaza de combattre efficacement la crise imminente.

Pas seulement une aide immédiate, mais un appel à changer de politique
Nous ne devons pas oublier : la plupart des Palestiniens à Gaza sont des réfugiés de la guerre de 1948, empêchés de retourner chez eux par Israël. C’est la cause profonde de la pauvreté et du surpeuplement de Gaza. Comment est-il possible de garder une « distance de sécurité » et d’éviter des lieux surpeuplés lorsque la densité de population dépasse les 5 000 personnes au kilomètre carré ?
Israël continue à contrôler la plupart des aspects de la vie à Gaza, même après son « désengagement » de l’été 2005. Il contrôle l’espace aérien, les eaux territoriales et tous les passages terrestres sauf Rafah qui est géré par l’Égypte. Il contrôle l’entrée des marchandises à Gaza et limite l’importation d’équipement médical. Il restreint la fourniture d’eau et d’électricité.

Comment est-il possible de maintenir une bonne hygiène quand l’eau est polluée à plus de 95% à Gaza et quand le réseau d’assainissement est en décomposition ? Comment est-il possible de faire fade à une pandémie quand la fourniture de produits de nettoyage et de désinfectants est à peine suffisante et qu’il y a seulement 70 lits de soins intensifs et 60 respirateurs pour une population de plus de deux millions.

Avec un chômage en croissance et peu de possibilités d’émigrer vers d’autres pays, environ 6 000 Gazaouistravaillent en Israël, majoritairement dans le bâtiment et l’agriculture. Cependant, à cause d’une restriction renforcée des déplacements face à l’apparition du coronavirus, les travailleurs palestiniens de Gaza ne sont plus autorisés à entrer en Israël. Inutile de dire qu’ils ne reçoivent ni aide ni compensation.

Israël a aussi restreint encore davantage les déplacements vers et hors de la bande de Gaza pour les patients qui ont besoin de soins urgents. Cette politique n’a pas changé, alors même que les premiers cas de COVID-19 sont apparus à Gaza. 
La campagne d’urgence que nous avons engagée cette semaine vise à exprimer un soutien direct et à fournir de l’aide pour faire face à la diffusion du coronavirus à Gaza. Mais le but de cette action est aussi d’encourager une solidarité réfléchie qui reconnaisse le déséquilibre du pouvoir entre la bande de Gaza et Israël et qui refuse de normaliser la violence d’Israël ou de réduire sa responsabilité envers la vie et le bien-être de ceux qui sont assiégés à Gaza.

Nous avons été agréablement surpris par la réponse à cette campagne. En trois jours, nous avons atteint notre objectif initial de 20 000 shekels (5 000 €) et nous n’avons que 10 jours de plus pour atteindre notre nouvel objectif de 50 000 shekels (12 700 €). Les fonds seront employés à l’achat de désinfectant pour les mains et d’autres équipements médicaux à transférer à Gaza par Médecins pour les Droits Humains – Israël dès que possible. Nous avons aussi reçu des dizaines de réponses émouvantes, y compris de camarades militants de Gaza.

Dans ces temps de folie, d’incertitude et de souci pour ceux qui nous sont le plus chers, nous voyons une faille s’ouvrir à la compassion et une opportunité d’être solidaires de nos sœurs et frères d’au delà de la barrière frontalière. Nous voulons élargir cette faille. Nous souhaitons nous appuyer sur ce rare moment où se profile la possibilité d’un changement radical pour voir l’ensemble de la situation, identifier l’oppression en cours et œuvrer à améliorer la réalité.

Cette situation ne peut continuer. Israël doit lever le blocus, mettre fin au siège et agir de façon responsable afin de promettre un meilleur avenir à tous les habitants de cette région. La solution durable pour Gaza n’est pas une aide humanitaire ad hoc mais plutôt la libération complète de l’occupation et du siège.

Guy Shalev, Adi Golan Bikhnafo, Hadas Pe’ery et Yaara Benger Alaluf sont les initiateurs de la campagne Epidemic in Gaza ??? ????? ???? ????.

https://www.ujfp.org/spip.php?article7765