Dans cet essai, je remplace « travailleur.euse » par « esclave-salarié.e », parce qu’il y a des nombreuses idées différentes de ce que « travail » pourrait signifier. Je considère aussi le fait que le mot « travailleur.euse » est socialement chargé de connotations flatteuses, puisqu’il masque la vraie nature de sa signification : l’esclave. Je critique ici l’« esclave salarié.e » en tant que rôle et identité assignés aux individus par un système qui exige leur soumission physique et mentale en masse. L’« esclave-salarié.e » n’existe qu’autant qu’il/elle remplit ce rôle et cette identité. Ce rôle et cette identité dissimulent une unicité chaotique qui arme l’individu d’un potentiel émancipateur.

Quand on me demande « Qu’est ce l’ « anarchie » ? », ma réponse est rarement une référence aux philosophes connus du passé, qui la définissent académiquement comme un « -isme ». Ma relation personnelle à l’anarchie est une exploration et une découverte constantes. Pour moi, ce qui différencie l’anarchie de toute autre idée politique, c’est l’attitude anti-politique de sa pratique. En tant qu’anarchiste, je n’ai aucune envie de recruter une masse de gens pour renverser les institutions. Je n’ai aucune envie d’élaborer des programmes persuasifs pour encourager le « travailleur.euse » à adhérer à un parti, à voter, à lutter pour de meilleurs salaires – et encore moins à rester un.e esclave-salarié.e. Tout ce que j’ai, c’est un projet anarchiste à moi : la récupération de ma vie de l’esclavage salarié et du contrôle social. C’est un projet d’autoconservation, armé d’hostilité envers tout ce qui tente de me catégoriser, de me confiner et de me contrôler.

Ces choses qui nous sont devenues familières, comme les élections présidentielles, la police, les banques et l’esclavage salarial, sont tous des systèmes sociaux établis pour maintenir l’ordre – un ordre maintenu par la coercition, l’impuissance et la peur. Tous ensemble, ces éléments constituent l’institution gouvernementale, qui occupe et applique sa propriété sur l’un des territoires de la géographie mondiale. Le maintien de cette occupation repose fortement sur un appareil qui monopolise la violence, ainsi que sur l’assujettissement de toute personne résidant dans ces territoires. L’assujettissement d’une population ne réussirait pas sans la logique normalisée de la soumission, ainsi que la guerre psychologique. Pour avoir accès aux ressources monopolisées nécessaires à sa survie, la population conquise est obligée de reproduire et de maintenir l’institution, à travers l’esclavage salarié : l’asservissement en échange d’un salaire pécuniaire. A la racine de ce contrôle social se trouve la domination sur l’individu – domination qui renforce la logique de la soumission individuelle au groupe. Pour faire fantasmer les gauchistes imaginez chaque esclave-salarié.e décidant de quitter son emploi, tou.te.s à la fois, et tou.te.s celles/ceux qui n’ont pas d’emploi décidant de ne pas en avoir. Les rares personnes qui monopolisent les ressources perdraient rapidement tout et toute personne dont ils ont besoin pour leur protection.Par l’expropriation de la force brute, ces individus pourraient s’unir et détruire ceux qui détiennent le pouvoir hiérarchique. Mais comme l’histoire le montre, la continuité du capitalisme et la relation esclave-maître sont complexes et renforcées de différentes manières.

En tant qu’anarchiste contre le travail, je continuerai de prendre en compte le stress et la peur de la pauvreté des esclaves-salarié.e.s, leurs justifications personnelles pour se soumettre à l’esclavage et la misère colossale qui accompagne ce genre de choses. Je ne peux nier le pouvoir de l’accumulation des choses matérielles, du consumérisme et de l’évasion toxique qui agissent pour distraire et pacifier l’indignation. J’ai vu l’apathie incarnée dans un engagement à vie, embrassée par ceux/celles qui sont trop émotionnellement vaincu.e.s pour briser les chaînes de la captivité capitaliste. L’idée d’une révolte de masse serait parfaite, mais elle est malheureusement utopique. Le milieu du travail évolue constamment, afin d’être plus accommodant envers l’esclave-salarié.e. Cela inclut, sans s’y résumer, le fait de servir de remède à l’ennui, de base pour créer des liens sociaux et le réconfort émotionnel donné par la sécurité économique. Ces petites relations personnelles avec le travail jouent un grand rôle, en freinant les efforts pour organiser une révolte de masse des travailleur.euse.s. En d’autres termes, beaucoup de gens apprécient l’esclavage salarié, et iraient jusqu’à saboter les efforts pour s’organiser contre celui-ci. Il est inexact de partir du principe que les gens sont une masse monolithique prête à se soulever contre le système établi. Mais plutôt que de compter sur une révolte de masse, il y a la force d’une révolte individuelle incontrôlable et imprévisible. Ces révoltes sont constituées de petits groupes ou de « loups solitaires », qui font de la révolte une pratique quotidienne, plutôt qu’un phénomène futur qu’il faut attendre. En tant qu’ex-esclave-salarié, je prendrai en considération l’histoire et la personnalité uniques d’un individu esclave-salarié, comme son désir de liberté et la rage refoulée qui accompagnent son mépris pour ce qu’il/elle fait. Je prendrai en compte sa haine envers toute construction sociale de domination qui l’écrase. Je prendrai en compte le côté sauvage [wildness] qu’elle/il garde en soi, caché, de peur d’être traité de « fous/folle » ou de « bizarre ». Je prendrai en compte l’unicité de son comportement, que la société tente de pathologiser et d’éliminer, afin de maintenir l’uniformisation psychique.

Tant de normes, de rôles et d’identités nous ont été inculqués dès la naissance – est-il vraiment surprenant que les « travailleur.euse.s du monde entier », opprimé.e.s, n’aient pas encore mis le capitalisme en charpie ? Où, dans la prison qu’est la société, trouvons-nous un encouragement non seulement à être nous-mêmes, sauvages et uniques, mais aussi à transformer en arme notre hostilité envers l’appareil social de contrôle ? L’individualité, souvent encouragée si elle reste dans les limites d’une identité pré-construite – une identité assignée à la naissance et nécessaire au fonctionnement de la société capitaliste – est définie par la société plutôt que par le chaos d’une découverte, indéfinie et sans contrôle, de soi. En raison du prisme anthropocentrique à travers lesquelles nous regardons le monde, ce qui est sauvage [wildness] est jugé de façon morale comme une barbarie diabolique qui nécessite d’être domestiquée et gérée. Ce qui est sauvage est ennemi de la colonisation technologique du monde naturel. Alors, à quoi ressemble la sauvagerie [wildness] anarchiste ? L’anarchie en tant que sauvagerie refuse le contrôle et la domination des systèmes socialement construits qui asservissent l’individualité. Partout où il y a des constructions sociales qui tentent d’asservir l’unicité individuelle, il y a un programme politique à l’œuvre. Ce programme (qui tente souvent d’acquérir une position dominante) est responsable de la normalisation d’un mode de vie standardisé dans lequel les personnes en tant qu’individus sont réduites, d’êtres complexes en constante transformation, à l’identité de « travailleur.euse », ou – pour les besoins de cet essai – d’« esclave-salarié.e ».

Que signifie être ingouvernable ? Dans la découverte de soi non gouvernée, entrent en jeu des questions de survie. S’il n’y avait pas d’instinct de survie, les capitalistes qui profitent des produits de mon travail n’auraient aucun levier pour m’asservir. La nourriture, un abri, etc. sont des besoins essentiels qui nécessitent le travail des autres pour être satisfaits. Dans les systèmes qui nécessitent une masse de personnes pour être entretenus, les individus sont découragés d’acquérir les capacités [power] d’obtenir leur propre nourriture et/ou de créer leur propre abri. Aujourd’hui, les abris (des bâtiments construits de manière industrielle, aménagés avec plomberie, électricité, etc.) sont fabriqués par un groupe de personnes (des esclaves salarié.e.s) et vendus et occupés par d’autres (des consommateur.trice.s). On peut voir ici de l’aliénation dans le fait que celles/ceux qui achètent ou louent un espace n’ont aucun lien direct avec sa construction. Exactement comme lorsque quelqu’un.e achète des aliments dans un magasin, elle/il est déconnecté.e.s de la véritable source de ces aliments (les abattoirs, par exemple) puisque quelqu’un.e. d’autre s’occupe de la récolte, de la transformation et de l’emballage de ces aliments. Le levier que la société capitaliste exerce sur chaque individu est celui de la survie. En monopolisant les ressources, ceux/celles qui ont le plus peuvent asservir celles/ceux qui ont le moins. Alors, comment les anarchistes survivent-elles/ils s’ils/elles refusent le rôle et l’identité d’ « esclave salarié » ? Si un individu décide d’armer ses désirs par l’action, comment cet individu peut-il refuser d’être l’esclave d’un patron ou d’un maître et continuer à avoir accès aux ressources ? Sous le capitalisme, l’expropriation des ressources de ceux/celles qui les monopolisent est considérée comme illégale. C’est là que l’anarchisme se détache des notions civilisées de réforme sociale et trouve une affinité avec l’illégalité.

Je ne peux parler que pour moi-même, lorsque je parle d’anarchie illégaliste, car l’interprétation de chaque individu sera influencée par des circonstances propres à son expérience. Il y a aussi toute une riche histoire de l’anarchie illégaliste qui s’est passée au début du XX siècle dans le monde entier et qui se poursuit encore aujourd’hui. Pour cet essai, je me concentrerai sur l’illégalité liée à l’expropriation des ressources, comme argument contre l’esclavage salarial. De ce point de vue, l’anarchie illégaliste est donc le refus de limiter mon activité anarchiste à une activité publique, de gauche et au goût des masses. Elle est la pratique quotidienne d’expérimentation de méthodes de survie qui refusent le code moral limitant de la loi et de l’ordre. C’est le fait de faire du chaos une arme, qui me donne le courage et la force de découvrir avec joie de nouvelles façons de survivre – qui évitent toutes l’esclavage salarié. J’en ai assez des patrons, des lieux de travail et du fait de forcer mon corps à se réveiller au son assourdissant d’un réveil. A l’âge de trente-trois ans, je me suis entièrement retiré de l’esclavage salarié et je n’ai absolument aucune envie d’y retourner. Alors, comment je mange ? Comment puis-je survivre sans un chèque de paie venant d’une boite à laquelle je vends mon travail ? Une réalité dont il est souvent difficile de se souvenir est que tout ce dont on a besoin pour survivre existe déjà, autour de nous. En plus de la cueillette dans le cadre du guerilla gardening et de la recherche de nourriture en milieu naturel, il y a des aliments stockés en grande quantité dans les magasins. Les outils pour les activités créatives et le sabotage sont accumulés dans les quincailleries. Les poubelles sont remplies à ras bord d’une quantité de ressources. Ce qui a été volé à l’individu, c’est un sentiment de lien direct avec ces ressources. A cause d’un consumérisme intériorisé par le biais de l’éducation, les gens se considèrent comme de simples consommateur.trice.s – en gros : « Si je n’ai pas d’argent pour cette nourriture, ce soir j’aurai faim ». Le capitalisme et l’État ont pacifié par la peur une saine indignation qui pourrait nous motiver à prendre les ressources nécessaires pour survivre. Celle-ci est une autre forme d’aliénation, mais qui maintient le consommateur.trice passif.ve : si on fabrique quelque chose de ses propres mains, on s’en sent plus proche, elle est notre. Mais quand quelqu’un.e d’autre le fait et qu’on le voit dans la vitrine d’un magasin, il n’y a pas de lien direct. Par conséquent, il y a moins de justification émotionnelle à l’indignation ou de motivation à briser la barrière de la loi et de la peur. Comme dans les usines où j’ai travaillé, où un seul produit était assemblé par plusieurs personnes. Si chaque personne n’est responsable que de la production d’une partie du produit entier, il n’y a pas de lien direct entre la production du produit dans son ensemble et le.a travailleur.euse pris.e individuellement. Ainsi, l’esclave-salarié.e ne développe pas de relation avec ce qu’elle/il produit, car un seul produit est fabriqué par plusieurs personnes.

Plutôt que de célébrer l’individualisme, ce processus glorifie le collectivisme du lieu de travail – un outil utile pour encourager la productivité et unifier les « travailleur.euse.s » dans le sens du bien commun du capitalisme. Ce qui est socialement découragé chez l’individu, c’est une rébellion créative qui permet d’élaborer des plans et des idées sur la façon de miner l’appareil de sécurité qui protège les ressources. Caméras dans les magasins, vigiles (ou comme certains d’entre nous les appellent, pour faire vite, « LP » [de l’anglais Loss prevention officers ; NdAtt.]), dispositifs de sécurité magnétiques attachés aux produits, etc. Tandis qu’un individu passe son temps et son énergie au travail et pense peut-être aux factures à payer par la suite, l’individu ex-esclave salarié a l’occasion d’utiliser son temps libre pour expérimenter différentes idées sur la façon d’obtenir des trucs gratuitement. Huit heures de travail dévoué dans une usine (ou un magasin, un bureau, etc.) pourraient être huit heures de planification stratégique, d’évaluation et d’expérimentation d’activités illégales.

Une autre opportunité est l’individu esclave salarié qui expérimente des activités illégales sur son lieu de travail. Bien sûr, les enjeux sont un peu plus élevés, puisque cette personne a donné des informations personnelles pour obtenir l’emploi, mais une perspective interne au lieu de travail peut offrir l’occasion d’exploiter les faiblesses de sa sécurité. Bien que, personnellement, je n’ai pas rencontré beaucoup de gens qui en profitent beaucoup. Et cela est probablement dû au fait qu’elles/ils dépendent de ce travail d’une manière qui l’emporte sur les avantages du vol sur le lieu de travail.

Pour en revenir à la perspective anti-travail de d’illégalisme, lorsqu’il s’agit de ressources pour la survie, le temps non cédé à l’esclavage salarié peut être consacré à la planification minutieuse, à l’évaluation personnelle de la peur et à la recherche de cibles.

Étant donné que la société nous oblige à aller à l’école, pour commencer la séquence d’endoctrinement au conformisme comportemental et à l’obéissance, nous avons très peu d’occasions d’apprendre quelque chose sur nous-mêmes et sur nos capacités. Entre l’école et nos maisons, les terrains de jeux et les rues du quartier, on nous laisse un temps limité pour le jeu. De mon point de vue, le jeu est la matérialisation du désir imaginatif, de l’exploration et de la découverte. Chacun de ces éléments est un outil fondamental pour l’observation et la compréhension de notre environnement et de notre relation avec celui-ci. Dans cette relation s’insère un « moi » composé d’expériences et de désirs personnels. Mais avec un temps aussi limité, un jeune individu n’a qu’un champ d’exploration limité et à la place, avec son développement, il commence à intérioriser la rhétorique de l’adultisme consumériste, productif et responsable.

Franchement – que peuvent dire la plupart des personnes sur elles-mêmes et la vie qu’elles vivent ? Mis à part quelques formes d’évasion ou peut-être des passe-temps qui découlent d’un désir personnel, la vie de beaucoup de gens n’est qu’esclavage salarié, paiement de factures, paiement de quelques merdes matérialistes et encore de l’esclavage salarié pour accumuler (économiser) de l’argent. Merde, les gens passent la majeure partie de leur vie à utiliser le présent pour préparer ou assurer un avenir – un avenir dont l’existence est souvent donnée pour acquise. Que peut-on donc savoir de soi quand une si grande partie de ce « soi » est restreinte, conditionnée et définie en termes de productivité d’esclave salarial ? Qu’il soit de classe ou social, le statut d’un individu sous le capitalisme est déterminé par son accès et sa relation avec les choses matérielles. Mais qu’en est-il d’un « moi » détaché du capitalisme et insubordonné à une représentation matérialiste ? Ou d’un « moi » qui refuse les affectations catégorielles traditionnelles des constructions sociales et embrasse la vie comme une existence anarchique ? Une vie d’anarchie illégaliste permet alors des possibilités illimitées de création de soi-même, jour après jour.

A mon avis, le refus du rôle et de l’identité d’esclave salarié.e déstabilise le contrôle social à un niveau individuel. Comme c’est une éthique inflexible de travail qui doit être inculquée à l’individu, afin d’assurer les fondements du capitalisme (ou de tout système qui a besoin pour se maintenir d’une soumission de masse), les individus qui refusent l’esclavage salarié sont soumis à une quantité des pressions sociales, dont des jugements personnels,la moquerie et la menace de la pauvreté. Construire une confiance en soi immunisée de la pression sociale du dénigrement (ainsi que la confiance dans un soi créatif et déterminé pour éviter la pauvreté), c’est reconquérir du pouvoir en tant qu’individu. Il s’agit d’un pouvoir qui reconquiert le « moi », l’ôtant au rôle et à l’identité du « prolétariat », du/de la « travailleur.euse » ou de l’ « esclave salarié ».

Comme dans la négation chaotique de toutes les identités socialement figées, il y a de la force [power] dans l’opposition à l’identité sociale et aux attentes de l’ « esclave salarié.e ». Cette force sape aussi l’hypothèse selon laquelle « le groupe » (ou l’organisation formalisée, la société, les masses, etc.) est plus fort que l’individu. Si « le groupe » est incapable de subjuguer un individu, cet individu porte le potentiel d’inspirer l’émancipation des autres individus face au « groupe ». Un groupe, ou une institution systémique, n’est qu’aussi puissant que la soumission des individus qui le composent. Sans individus soumis pour renforcer le pouvoir du « groupe », il n’y a pas de groupe – seulement des individus qui ont reconquis leur force [empowered].

Le pouvoir des présidents, des politiciens, de la police et du complexe militaro-industriel, des systèmes économiques sous toutes leurs formes et des constructions sociales exige la soumission des individus. Sans participation individuelle, la continuité de tout système s’effrite. C’est ce qui rend l’individualité non seulement importante mais aussi puissante. Sous le capitalisme, refuser l’esclavage salarié exige du courage ; la soumission assimilée est psychologiquement forcée par la menace de la faim et de la pauvreté. La logique de la soumission n’est niée que par une confiance en soi intrépide et par le désir de devenir socialement ingouvernable.

Un.e anarchiste individualiste pourrait-il/elle changer le monde ? Aussi improbable que cela puisse paraître, qui suis-je pour dire que non ? Des personnes différentes sont inspirées par des choses différentes. Pour certain.e.s, une relation personnelle avec les mots de quelqu’un.e d’autre peut faire voler en éclats une vision du monde. Ces mêmes paroles, armées des actions d’un individu, pourraient déclencher des flammes d’insubordination sociale, peut-être se multiplier en feux spontanés d’émancipation joyeuse. Ce ne sont pas l’autorité trompeuse et hypocrite d’académiciens ou de comités (invisibles ou non), des combines politiques ou des slogans populaires qui enflamment la rébellion individuelle. À mon avis et selon mon expérience, c’est la découverte et la réappropriation du « moi » comme puissant, unique et sauvage. De ce point de vue, l’illégalité anarchiste nie la conformité domestiquée d’une étique du travail intériorisée. L’anarchie illégaliste affronte la loi et l’ordre par l’insurrection, en préservant le chaos sauvage comme individualité, contre l’effet homogénéisateur de la société. Reconquérir et réinventer sa vie en une exploration quotidienne faite d’aventures personnelles, c’est l’anarchie contre la culpabilité et la pression sociales à abandonner la jeunesse rebelle.

L’esclavage salarial est l’ennemi du jeu, de l’individualité et de la liberté. Les systèmes sociaux, afin de maintenir leur existence, exigent l’assujettissement de l’individualité soit à une appartenance homogénéisée, soit à des identités de groupe fixes. Dans tous les systèmes sociaux, la formule est similaire : l’individualité est soumise au groupe, afin d’obtenir l’accès aux ressources. Sous le capitalisme, l’esclave salarié – ou en termes marxistes, « le prolétariat » – est une identité pré-configurée avec le rôle de reproduire la société capitaliste. Cela comprend, pour un individu, le fait de remettre son corps et son esprit à un maître en échange d’un salaire qui sert de d’autorisation pour accéder aux ressources. Mais pour l’individu anarchiste armé de l’illégalité de l’expropriation des ressources, l’anarchie est la survie sans autorisation.

L’anarchie ne peut être vécue à travers les livres d’histoire, la réforme des lieux de travail ou les limites d’un nouveau système social. L’anarchie respire au rythme de la nature sauvage en constante évolution, non gouvernée par des lois et un ordre anthropocentriques. Je me réjouis de mon anarchie dans l’abandon transformateur du rôle et de l’identité du « prolétariat ». Il n’y a pas de grande révolution à l’horizon qu’il faudrait organiser ou attendre. Il n’y a qu’aujourd’hui, sans garantie pour demain. Il n’y a pas de leaders charismatiques pour ouvrir les portes de la liberté. Il n’y a que la force de l’individualité anarchiste, définie par l’arme libératrice du désir.

Flower Bomb

 

Pour télécharger ce texte en format PDF, cliquer ici.