Depuis le début du confinement, nous avons été quelques un.e.s à faire le choix de continuer à se voir, de continuer nos activités et globalement sans accorder plus d’attention à des mesures d’hygiène, désormais dites« gestes barrières » contre ce virus, sauf quand une des personnes de notre entourage le demandait.
Ce choix n’est pas un pur loisir désobligeant visant à exclure, ignorer voire pénaliser les plus « faibles » d’entre nous. C’est un choix qui interroge avant d’appliquer les consignes. Nous avons comme tout le monde beaucoup de difficultés à obtenir des informations, à croiser des sources, à trouver de la contradiction.

La série d’annonces gouvernementales mettant en place en crescendo les mesures de restriction ont confirmé le doute et la méfiance que je réserve d’habitude aux décisions d’Etat : maintien des élections municipales et fermeture des écoles (doit-on rappeler que les enfants ne sont symptomatiques que dans de rares cas ?) ; mise en place de solutions alternatives (télétravail, école en ligne) qui correspondent à mon pire cauchemar sociologique et technologique. Un couple avec enfants, urbains, avec plusieurs postes d’ordinateurs à la maison (ah tiens, il faut une maison) et la connexion haut-débit of course, empressement pour « débloquer » énormément de fric pour prévenir faillites ou krach boursier.

Soumettre l’intégralité de la population à un strict confinement ?

Une fois actés ce doute et cette méfiance, il s’agissait de savoir si une éventuelle « raison supérieure » justifie que je me plie à des mesures exceptionnelles. La létalité réduite dudit virus paraît désormais établie : dans une très large majorité, la contraction du virus passe inaperçue et même immunise. Alors quoi ? « Pour protéger les plus faibles », il faudrait soumettre l’intégralité de la population à un strict confinement, eu égard aux personnes à risques, malades, vieux ou vieilles ?
Là le doute revient : comment se fait-il que ce gouvernement qui s’est appliqué à ignorer et réprimer un an de gilets jaunes, à faire fi d’une grève massive contre la réforme des retraites, qui maintient une politique d’enfermement et de répression, qui réforme les allocations dans une période de chômage massif ; comment se fait-il que ce gouvernement tout à coup se soucie des plus faibles, au risque de provoquer une crise économique grave et à grande échelle ? D’ailleurs, en termes de plus faibles, on parle si peu des prisonnier.e.s, des gens à la rue, des migrants en foyers, etc. La mort, visiblement, n’a pas la même importance dès lors qu’elle peut toucher indistinctement toutes les classes sociales. Dans ces circonstances, il est devenu désormais admis de faire des choix à la seule lumière de ses propres conditions de vie, et cette évidence me terrorise.

Et puis la méfiance : est-ce qu’ils ne seraient pas en train d’agiter le grand drapeau de la peur et de la culpabilité, et d’utiliser (on n’arrête pas le cynisme) les plus pauvres comme prétexte à leurs délires gestionnaires ? Tout ça parce qu’ils ont peur de mourir ?
Quand les médias ont commencé la grand-messe de défense du service public et dépeint la fresque de l’hôpital public, remplis de ses héros au service de la nation et de l’effort de guerre, j’ai failli m’étouffer avec mon gâteau au chocolat. A-t-on déjà oublié à quel point l’hôpital public a été dézingué sous le mandat Macron, la grève des soignants ignorée et l’institution vendue pour en faire un secteur privé, concurrentiel comme les autres ?

Culpabilité à grande échelle ?

Et tout à coup il faudrait que ça marche à plein tubes comme qui rigole et avec notre participation. Alors même que les gouvernements successifs ont organisé la casse des hôpitaux publics, ces même bâtards, infoutus de prendre leurs responsabilités, reportent sur les individus (et en l’espèce les soignant.e.s) un insupportable choix éthique entre qui laisser vivre et qui laisser mourir.

La propagation du virus nous projette de plein fouet dans une échelle mondiale, qui est celle du commerce, des échanges financiers, des voyages de business à l’autre bout du globe, de l’agriculture industrielle cotée en Bourse ; et dans une cadence qui est celle du commerce international, des échanges financiers « dématérialisés » (nan, mais, si quelque chose pouvait se dématérialiser, je m’appellerais yoko tsuno).
Je refuse d’être soumise à une culpabilité à grande échelle. Alors, bien sûr, considérant que ce virus frappe de manière gravissime une petite minorité de personnes déjà fragiles : nous y faisons attention, nous fabriquons des solidarités, nous rendons des services, rien de bien spectaculaire en somme. Mais cessons de prendre les vessies pour des lanternes, rien, absolument rien, ne nous permet de nous fier à l’Etat pour considérer que les décisions prises sont proportionnées à la gravité de la situation. Et rien ne nous permet de dire que ces décisions sont autre chose que des décisions politiques.

En un mot, gravité des décisions n’est pas égale à gravité de l’épidémie.

Enfin, en remettant les choses en perspectives, et toujours dans ce cadre de somme toute faible létalité, tout le monde ne vit pas le confinement de la même manière : on a déjà entendu critiquer les banlieues du 9-3 comme étant « indisciplinées » (sans doute y avait-il moins de résidences secondaires là-bas ?), que font les personnes qui n’ont pas l’argent pour faire des réserves pour trois mois ? La multiplication des contrôles et ces quelques exemples me poussent à croire que la sortie de confinement sera la possibilité répétée de fabriquer quelques ennemis d’Etat. Que la crise économique qui s’ensuivra pourra définitivement délaisser celleux que l’Etat avait oublié pendant le confinement.
Dans ces conditions, le confinement n’est pas une mesure « gratuite » qui dans le meilleur des cas n’aura que des conséquences neutres. Pour les travailleur.euse.s au noir sans mutuelle, pour les tâcherons exploités du monde agricole, pour les femmes battues, pour les reclus de l’hôpital psychiatrique, pour les vieux sans retraite, pour tout les bidouilleuses vivant dans les marges du système, ce confinement aura un coût très élevé qu’aucun algorithme ne viendra modéliser.

Alors trêve de postillons, que peut-on faire ? Que veut-on faire ?

Sur ce territoire qui imagine parfois gérer les ressources en eau, ou déconstruire notre rapport à la médecine, j’aimerais que l’on puisse imaginer « gérer » un épisode d’épidémie à une échelle qui soit la nôtre, ce qui en cela serait déjà le reflet d’un choix politique ; avec des manières qui nous parlent, nous laissent acteurs et actrices de notre santé, des liens que nous entretenons les un.e.s avec les autres, des solidarités que nous choisissons en acte et non pas au balcon des immeubles que nous n’habitons pas. Cela nous permettrait de retrouver de l’autonomie et de la souveraineté sur notre quotidien, ce qui signifie pour moi le contraire d’attitudes irresponsables face à la maladie.

Ainsi, chacun.e pourrait évaluer soi-même le degré de risques auquel il ou elle s’expose, sachant que nous baignons principalement dans l’ignorance, mettre en place des moyens de soutien pour celleux qui ont besoin de déléguer leurs déplacements et pourquoi pas rentrer dans des paradigmes de contamination voulue, méthode également reconnue pour immuniser un groupe de personnes. (Il y a des gros fous qui ont choisi cette option, genre l’Etat néerlandais, ou l’Etat suédois et en France aujourd’hui quelques voix commencent à s’élever, et pas parmi les plus contradictoires, pour dire qu’un bon confinement est le confinement de personnes malades. (voir le 7-9 de France-Inter, interview du Pr Juvin.)

Au passage, serait-il fou d’imaginer résister collectivement à cette mascarade d’attestations auto-établies qui plus que jamais nous soumet à l’arbitraire du flic ? En lieu et place, affirmer haut et fort que personne n’a besoin de se justifier, d’abord parce que c’est inutile, et ensuite parce que nous privilégions la confiance ?

Comment pourrions-nous nous retrouver pour en discuter ?
Comment anticiper la deuxième vague épidémique qui, peut-être à bas bruit, fera sans doute beaucoup plus de morts : la crise économique ?