Analyse et dérives de l’accueil inconditionnel – exemple de la ZAD de NDDL

Travailleuse sociale de formation, j’ai longtemps étudié l’accueil et la prise en charge des personnes fragilisées au sein des institutions, mais aussi au sein de la ZAD de Notre Dame des Landes, qui est notamment un territoire d’expérimentations sociales. A travers ce texte, je souhaites proposer une courte analyse de la notion d’accueil inconditionnel et de ses dérives, en m’appuyant sur l’exemple du Rosier, « lieu d’accueil inconditionnel » sur la ZAD de Nddl.

I – Les conditions de l’accueil inconditionnel

1 : « Accueil inconditionnel », définitions et législations :

Le terme d’accueil inconditionnel pose un réel questionnement dans la définition des termes mêmes employés. Effectivement, « accueil inconditionnel » peut à la fois vouloir dire « de toute personne, quelque soit son passé, ses origines, ou ses problématiques sociales », mais aussi accueil « de toute personne quelque soit son passé, sans règles ni cadre structurant son accueil et la vie collective ». C’est sur la première définition que je vais m’appuyer pour présenter à la fois les personnes concernées par l’accueil inconditionnel, les failles des structures sociales et l’importance d’un cadre préalablement accepté.

Le code de l’action sociale et des familles (CASF) réglemente l’accueil et la prise en charge dans les structures d’urgence de « toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale ». Ces personnes ont « accès à tout moment à un dispositif d’hébergement d’urgence » (article L.3456-2-2 CASF).
Ainsi, toute personne à la rue et quelle que soit son origine et sa régularité de séjour en France est potentiellement en situation de détresse et doit pouvoir bénéficier si elle le souhaite d’une prise en charge inconditionnelle et immédiate dans une structure d’urgence. Cette prise en charge est assurée via le dispositif de veille sociale qui est chargé « d’accueillir les personnes sans abri ou en détresse, de procéder à une première évaluation de leur situation médicale, psychique et sociale et de les orienter vers les structures ou services qu’appelle leur état » (art. L345-2)
Des prestations sont imposées par la loi et doivent être assurées dans tous les centres d’hébergement d’urgence. Ainsi, toute personne en détresse doit bénéficier « dans des conditions conformes à la dignité de la personne humaine, (…) de prestations assurant le gîte, le couvert et l’hygiène, une première évaluation médicale, psychique ou sociale […] et une orientation » vers tout professionnel ou structure susceptibles d’apporter l’aide justifiée par son état » (art. L345-2-2 CASF)

L’accueil inconditionnel est donc présenté comme un devoir des structures spécialisées, en proposant à la fois un hébergement et un accompagnement social, psychique et médical.

2 : Personnes touchées et accompagnement

Quelque soit le type de structure d’accueil, les personnes que nous retrouvons dans ces dispositifs d’accueil inconditionnel sont des personnes la plupart du temps extrêmement fragilisées. Soit par des parcours de vie complexes (exil, violences conjugales,…), soit par des conduites addictives, ou de la détresse psychologique, les uns pouvant bien évidemment entraîner ou renforcer les autres.
Tout le rôle des professionnelles des structures d’accueil (éducateurices spécialisées, animateurices sociales et socio-culturel, infirmières, psychologues,…) est donc de proposer un suivi des personnes accueillies, afin de les aider dans l’accès à leurs droits et de les accompagner vers une autonomie (émancipation).
Cet accompagnement peut donc prendre des formes différentes, mais aussi des temporalités individuelles (on n’accompagne pas forcément de la même manière, ni le même temps une mère et son enfant, qu’une polytoxicomane en souffrance psychiatrique, par exemple).

Toutefois, nous pouvons remarquer qu’au sein même des structures sociales, le principe d’inconditionnalité se heurte voire s’oppose au principe de réalité : bon nombre de structures accueillant « toute personne quelle qu’elle soit » ferme de fait ses portes à un certain nombre de personnes. Très vite, les hommes vont être sur-représentés, bien souvent dans des ambiances virilistes, excluant de fait les femmes ou les enfants. De plus, très peu d’hébergements d’urgence acceptent les chiens à cause de la difficulté de construire un espace adapté et permettant à tous et toutes de coexister.

La mixité sociale au sein des structures d’accueil est donc extrêmement délicate, et ne peut fonctionner sans un cadre très clair, construit avec les personnes accueillies.

Ce que le cadre peut permettre :

Définir quelles limites (consommations, sexisme, racisme, homophobie, violences…), et quel seuil d’acceptation (qu’est ce qui est violent, dans des paroles, des comportements, et qu’est ce qui est suffisamment violent pour entraîner une intervention du collectif, qu’est ce qui est acceptable selon les situations humaines et les parcours de vie,…?).
Définir des règles de vies communes afin de créer un espace safe pour chacune, condition du bien-être et de l’émancipation.
Prendre en compte les parcours de vie, les addictions,.. afin de proposer un accompagnement ou d’être en mesure de rediriger vers des collectifs mieux préparés.
Prévenir les conflits par la discussion, la médiation et la définition d’un cadre de vie adapté à chacune.

Toutefois, les structures sociales d’accueil inconditionnel ont beaucoup de mal à répondre à la réelle demande sociale. La baisse des subventions et la marchandisation du travail social entraînent un manque cruel de places au sein des structures d’accueil.
Le conformisme de nombreuses professionnelles, les mauvais positionnements (notamment l’infantilisation des personnes accueillies) et la création de cadres inopérants et inadaptés aux personnes visées (interdictions de consommation, manque de structures accueillant les chiens, objectifs d’émancipation remplacés par une obligation de réinsertion professionnelle,…) conduisent bien souvent à une auto-exclusion de ces structures.
Face aux dérives des structures d’accueil étatiques, et aux manques de places et de financements, nombreuses sont les personnes cherchant d’autres solutions, notamment dans les milieux militants, avec l’ouverture de squats d’hébergement.


II – Dérives de l’accueil inconditionnel sur la ZAD de NDDL

1- Accueil inconditionnel : l’absence de cadre, menant à l’exclusion ; exemple du Rosier

La ZAD de NDDL attire un grand nombre de personnes fragilisées. On peut y retrouver toutes les problématiques citées plus haut, auxquelles sont confrontées les travailleuses sociales au sein des lieux d’accueil de jour et centres d’hébergement d’urgence. Toutefois, très peu d’habitantes sont en capacité, ou prennent le temps, d’accompagner socialement, médicalement et psychiquement des personnes en souffrance.
Différents lieux de la ZAD pratiquent l’accueil, chacun à leur manière, le plus souvent avec un cadre établi par le collectif vivant sur le lieu et qui prend en charge la dynamique d’accueil.

Cependant, le Rosier est un lieu qui se revendique depuis quelques années comme lieu « d’accueil inconditionnel » sans cadre et sans accompagnement. Et très vite, les personnes les plus fragilisées s’installent sur ce lieu.

L’absence de cadre et de personnes pour le tenir et le faire respecter ne crée malheureusement pas une auto-gestion joyeuse. Très vite, c’est chacun sa règle, son seuil d’acceptation, entraînant d’importantes incohérences, des situations de violences exacerbées, et la loi du plus fort.
Cette situation exclue de fait les personnes qui souffrent d’oppressions. Comme les femmes, qui après avoir fui le sexisme ambiant de nos sociétés se retrouvent plongées dans un virilisme terrible et dans des reproductions de rapport de dominations. Récemment, une femme victime dans le passé de violences conjugales a espéré trouver refuge au Rosier. Elle en est aujourd’hui partie, après avoir été victime de harcèlement, de violences verbales, et de la même situation d’oppression qu’elle pensait avoir laissé derrière elle.
Tout comme les exilées, qui après avoir bien souvent traversé des situations terribles se retrouvent plongés au milieu de conflits sans intérêt et d’une violence qui peut sembler déplacée.
Et cette ambiance rend impossible la présence d’enfants qui ne peuvent s’épanouir dans des rapports de violence et de domination.
De plus, les deux autres collectifs présents sur le lieu, doivent coexister avec cet « accueil inconditionnel », ce qui amène très régulièrement à des escalades de violences, et à des situations invivables.
Bien que naissant d’un réel besoin, et tentant de répondre aux limites des structures d’accueil étatiques, il apparaît vite que l’inconditionnalité totale est donc un absolu qui n’existe pas, complètement opposé au principe de réalité.

 

2 : l’accompagnement social et psychique indissociable de l’accueil inconditionnel

Comme expliqué précédemment, un lieu « d’accueil inconditionnel sans cadre » crée très vite un entre-soi terrible.
Terrible d’un point de vue individuel, puisque que ce sont les personnes les plus fragiles qui sont concernées. Sans accompagnement, les personnes ont souvent beaucoup plus de mal à sortir des rapports de dominations, ou de comportements d’auto-destruction. Ils et elles rentrent dans un cercle vicieux de comportements d’auto-destruction et de violence. La mixité sociale étant quasi-impossible pour les raisons évoquées précédemment, le plus souvent les personnes se tirent mutuellement vers le bas.
Terrible d’un point de vue collectif, puisque nous voyons se reproduire un entre-soi entraînant la méconnaissance de l’autre, et donc des conflits, des rapports de domination et de violences, qui sont au centre des réflexions militantes et que nous tentons de déconstruire.

Il apparaît donc que la présence de personnes ressources, pouvant prendre en charge l’accompagnement social et psychique, et la construction d’un cadre collectif sont des conditions préalables à un accueil de personnes fragilisées, autant pour préserver les habitantes des lieux, que pour préserver les personnes accueillies de situations d’extrême violence.


Conclusion :

Lorsqu’il repose sur des fantasmes, « l’accueil inconditionnel » apparaît très vite comme la cause d’un grand nombre de conflits, de non respect des limites collectives, et plonge les accueillies et les habitantes des lieux voisins dans des conflits permanents. Tant qu’il n’y aura pas un cadre d’accueil accepté et des personnes en capacité de le porter, le Rosier ne pourra pas sortir du conflit qui l’anime aujourd’hui, puisqu’il naît intrinsèquement de cet « accueil inconditionnel sans cadre ».