Bonjour,

Il faut avoir de bons yeux pour lire dans la presse de ces jours-ci l’annonce que la liberté de la presse a encore pris un sale coup en France.

En effet ce 28 janvier 2005, les coopératives de presse qui assurent la distribution des journaux ont décidé de rompre avec les principes qu’ils suivaient depuis la Libération.

Là encore, le « tout-marché » tend à s’étendre dans un secteur qui en était encore préservé.

En clair, les éditeurs de presse ne seront plus libres de diffuser librement leurs journaux. On pourra désormais limiter les quantités des exemplaires fournis (Vous l’avez compris : surtout s’il s’agit d’un journal exigeant et peu rentable.) S’ils insistent, on pourra même bloquer leurs exemplaires en amont.

Lorsqu’un titre se vendra mal, le dépositaire pourra déclencher un retrait des points de vente avant la date. Bref, dans certains endroits retirés, les lecteurs de la presse d’opinion comme « Charlie-Hebdo », « Politis », « La Croix », « L’Humanité » et quelques autres, risquent bien d’avoir des soucis pour trouver leur journal favori. Sans parler des lecteurs occasionnels qui font vivre le pluralisme de la presse.

Certes, les kiosques et maisons de presse ont d’énormes difficultés à gérer la quantité de titres en circulation. Mais pour sauver la filière, faut-il se résoudre au malthusianisme et choisir les options « par le bas » dictées par le capitalisme ? Ou bien lancer un vaste plan de réhabilitation de la presse ?

Qui veut vraiment aujourd’hui :

– l’enseignement de la presse écrite à l’école comme une priorité,

– l’inscription obligatoire d’épreuves de culture de presse dans les concours et examens,

– l’amélioration de la rémunération des kiosquiers et travailleurs de la filière,

– la limitation de la publicité dans les médias audiovisuels, qui va asphyxier le papier,

– l’aide publique aux journaux possédés en coopérative, au lieu de se vendre aux intérêts capitalistes d’Etat de marchands d’armes comme Dassault, Lagardère & Co.

En tous cas, le journal « Le Monde »

– qui révélait au détour d’une page cette nouvelle petite mort des idéaux de la Résistance,

– et aussi que cette décision du Conseil supérieur des messagerie de presse (CSMP), est applicable progressivement dès ce 1er février 2005,

souligne que c’est « une rupture avec la tradition » [celle de] « la loi Bichet de 1947 ».

(« Le Monde », « Eviter que les kiosques et les maisons de la presse soient surchargés », jeudi 3 février 2005, page 32.).

Loi Bichet ? 1947 ? Adoptée à la Libération après de grands débats, cette loi consacrait l’égalité de traitement entre journaux, l’impartialité, la mise en commun des moyens, la péréquation des coûts et des tarifs, la solidarité (de fait entre titres rentables et titres moins rentables).

C’était (au sortir du fascisme et auparavant de la presse corrompue des années 1930), et c’est encore, une condition indispensable à la liberté de la presse, et à la formation d’une opinion libre dans un espace public pluraliste et diversifié.

Encore un espace de démocratie que le marché vient donc dévorer peu à peu en cette année 2005.

Conclusion :

Il n’est pas surprenant…

qu’une société…

qui ne sait plus célébrer comme il se doit la Résistance antifasciste et son programme émancipateur,

soixante ans plus tard…

…soit la même société (la nôtre !)

qui assiste sans trop réagir…

à la démolition méthodique des conquêtes sociales et démocratiques de la Résistance et de la Libération,

soixante-ans plus tard…

Luc Douillard

Nota : Il est toujours surprenant que si peu de gens dans les milieux militants connaissent et utilisent les ressources de la Loi Bichet. Dans ma région à Nantes, il m’est arrivé à plusieurs reprises de réaliser avec des amis le journal d’opinion dissidente « L’InEdit de Nantes » édité par l’association « Nantes Est Une Fête – N.E.U.F. ». La coopérative de messagerie nous diffusait « gratuitement » dans près de 250 points de presse dans notre département (ce qui est considérable), et même si elle prend environ 45% sur chaque vente au numéro, nous avons gagné de l’argent pour le réinvestir dans le numéro suivant. Pourquoi les groupes militants s’en remettent presque toujours aux spécialistes internes et externes, au lieu d’apprendre à concevoir leurs propres journaux, par leurs propres moyens, et sans la langue de bois (non comme alternative viable, certes, mais comme expédients occasionnels, pratiques et jouissifs) ?

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