« S’ils [les manifestants iraniens] réussissent leur révolution, cela nous aidera car le régime iranien arrêtera de soutenir notre gouvernement ». Voilà ce que déclarait un manifestant irakien à Bagdad à propos des mobilisations en cours en Iran, dans une sorte « d’internationalisme instinctif ». En effet, le régime iranien est le principal (même si pas le seul) soutien du régime et du gouvernement irakien. Les milices irakiennes soutenues par l’Iran participent d’ailleurs activement dans la répression du mouvement de contestation en Irak, dont le nombre de morts dépasse largement les 300.

Le gouvernement irakien et le régime iranien sont conscients du danger qui pèse sur eux dans cette situation : si la contestation iranienne arrive à s’unir avec les manifestants irakiens, la situation pourrait devenir insoutenable pour eux. Le gouvernement irakien, comme l’exprime le manifestant cité, pourrait perdre un soutien fondamental ; le régime iranien se verrait obligé de se concentrer sur le mécontentement intérieur au risque de reculer dans ses positions consolidées dans la région tout au long de ces dernières années. Il est plus que probable que le blocus presque total d’internet dans le pays ait pour objectif, en plus de rendre plus difficile l’organisation des manifestants, d’éviter que les jeunes iraquiens et iraniens communiquent et se solidarisent les uns avec les autres.

Pour retourner l’opinion publique iranienne contre les travailleurs et les jeunes irakiens, le régime des ayatollahs a essayé de présenter la contestation en Irak comme un mouvement anti-iranien, manipulé voire orchestré par les ennemis extérieurs du régime, à commencer par les États-Unis. En effet, la contestation en Irak a pris un tournant national, contre les divisions confessionnelles et ethniques (même si ce sont essentiellement les chiites qui se mobilisent) et contre l’ingérence étrangère dans le pays.

Mais comme on peut lire dans un article de Stratfor, le rejet de la soumission des intérêts irakiens aux puissances étrangères allait au-delà de l’Iran : « Au-delà de l’ampleur et de la portée des manifestations, la nouveauté cette fois-ci est le courant sous-jacent du sentiment anti-iranien qui traverse les manifestations. (…) Un nationalisme croissant a marqué les manifestations en Irak (…) Cela s’est traduit par une revendication de la part de certains Iraquiens de mettre fin à l’immixtion d’intérêts étrangers perçus comme une ingérence dans le pays – qu’il s’agisse de l’Iran ou des États-Unis ou d’autres puissances, notamment les États arabes du Golfe et la Turquie. Mais en raison de la grande exposition de l’Iran, que ce soit par son soutien à des milices ou par son influence dans les régions du pays où l’islam chiite règne, l’Iran est une cible particulière de la colère des manifestants ».

Les manifestants irakiens font d’ailleurs très clairement la différence entre le régime réactionnaire et dictatorial iranien et le peuple iranien en lutte pour ses conditions de vie. Ainsi sur la Place Tahrir à Bagdad on lisait sur un panneau : « Nous n’avons aucune mauvaise intention envers le peuple iranien. Notre problème est avec le régime iranien qui soutient la corruption, les criminels et les meurtriers dans notre pays ». Un autre manifestant irakien déclarait également : « J’ai déjà visité l’Iran. La plupart de ses habitants sont mécontents vis-à-vis de leur gouvernement (…) Ce sont des gens pauvres qui souffrent alors que le gouvernement est une dictature ».

Du côté des manifestants iraniens, par le peu d’informations à laquelle nous pouvons avoir accès après la coupure presque totale d’accès à internet, on a pu constater une contestation de la politique régionale iranienne. En effet, les interventions militaires de Téhéran dans la région dans un moment d’étranglement économique pour les classes populaires est vu comme un fardeau qui ne fait qu’empirer la situation des travailleurs et des masses en Iran. Les manifestants iraniens, issus notamment de la classe ouvrière, s’opposent ainsi à la politique iranienne en Syrie, au Liban, au Yémen mais aussi en Irak. Certains articles affirment que des manifestants portaient même des drapeaux irakiens en solidarité avec la lutte des travailleurs et de la jeunesse dans le pays voisin.

Certains voudraient voir dans la situation sociale iranienne une victoire de la politique impérialiste agressive du gouvernement nord-américain de Donald Trump. L’ayatollah Ali Khamenei se sert aussi de cet argument pour délégitimer la contestation. Cependant, rien n’indique que ces manifestations aient été orchestrées par l’impérialisme, et encore moins celles qui ont lieu en Irak. Ces révoltes semblent plutôt répondre à la nouvelle vague de lutte de classes qui s’est déclenchée au niveau international contre les politiques réactionnaires, néolibérales, contre les conditions de vie des classes populaires. Aussi bien en Irak qu’en Iran, les griefs mis en avant par les manifestants ne sont nullement nouveaux.

Les manifestations en Irak et en Iran ont éclaté de façon spontanée. Et de façon spontanée, « instinctive », les manifestants irakiens ont commencé à contester la politique du régime iranien dans leur pays et les manifestants iraniens à remettre en cause la politique de Téhéran dans la région. Cependant, pour éviter que cette énergie contestataire s’épuise, soit canalisée ou déviée vers des tendances politiques bourgeoisies populistes ou favorisant des courants pro-impérialistes, il faut que l’action des travailleurs et des masses soit plus consciente. Pour cela il est nécessaire que les manifestants se dotent de cadres d’auto-organisation et que la classe ouvrière intervienne comme sujet politique et non dilué dans la masse. La classe ouvrière iranienne a été beaucoup moins atomisée et en grande partie détruite qu’en Irak ; elle a même été actrice d’importantes luttes ces dernières années. Elle pourrait donner une aide précieuse à la jeunesse et aux travailleurs irakiens. L’unité de ces deux peuples frères en lutte contre leurs gouvernements, contre la politique réactionnaire du régime des ayatollahs dans les deux pays, c’est la voie à suivre. Une défaite du régime iranien peut poser des bases plus favorables pour la construction et le développement d’organisations révolutionnaires des travailleurs, capables de préparer les victoires futures des exploités et des opprimés dans la région.

 

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