Le mouvement autonome se montre incapable de formuler une stratégie politique claire et pertinente, à l’heure où la lame de fond des gilets jaunes assure la survie de sa mobilisation, où les bases syndicales organisent le blocage de l’économie au-delà des directives de leurs cadres, où les secteurs convergent pour infliger des dégâts économiques aux entreprises malgré la matraque.

Saisir la conflictualité pour ne plus la subir

Nous subissons, en cette période décisive, notre enfermement dans une pratique émeutière toujours plus vide de sens, esthétisée à outrance et s’éloignant chaque jour un peu plus dans une représentation. La violence révolutionnaire que nous revendiquons n’est plus qu’une violence symbolique, et on ne pourra pas éternellement nous cacher derrière l’asymétrie de l’affrontement pour nous en justifier.

Nous vivons depuis des mois des épisodes de répression quasi-quotidiens, qui viennent se surajouter à la répression systématique et permanente à l’œuvre dans les lieux de travail, dans les foyers et dans les quartiers populaires. Et nous arrivons encore à soutenir sérieusement que c’est à l’avant des cortèges escortés par la police de République à Nation que s’expriment la conflictualité et le rapport de force avec le pouvoir d’État. C’est surtout notre connerie bornée et dangereuse qui s’y exprime. La conflictualité y est à sens unique, car tout le dispositif de fichage, de mutilation et d’arrestation y est deployé.

(Ré)apprendre à se regarder en face

Autant le dire tout de suite : en tant que mouvement, on est lamentable. Nous nous perdons dans des objectifs émeutiers ponctuels sans même nous donner les moyens de nos ambitions. Sans organisation, sans stratégie politique, sans tactique d’affrontement et sans discipline collective, nous nous mettons en danger plus que nous ne mettons en danger nos ennemis. Nous nous extasions devant des vidéos d’émeutes à Exarcheia, de jets de cocktails molotovs à Santiago et de cortèges en lignes avec casques et manches de pioche en Italie ; mais où sont les cortèges casqués et matossés, où sont les lignes policières brisées et battant en retraite dans les manifs syndicales auxquelles nous nous greffons ?

La vérité, c’est que les dispositifs policiers nous empêchent de faire entrer sur le terrain des manifs syndicales le matériel et les outils nécessaires à réaliser nos aspirations émeutieres. La vérité, c’est aussi que nous devons réapprendre à nous faire confiance pour pouvoir commencer à bouger efficacement en manif. Nous sommes beaucoup à avoir peur, à ne plus compter que sur nous-mêmes dans les cortèges, parce que nous n’y décelons pas une cohésion suffisante pour empêcher les interpellations, par exemple.

Que faire ?

Faisons simple, faisons intelligent. Le rapport de force s’exprime bien au-delà des manifs, alors réapprenons à aller au-delà des manifs.

Sur les piquets de grève, rencontrons le grévistes et leurs soutiens, discutons des actions à mettre en place sur et autour des piquets pour augmenter leur capacité de blocage. Soyons là massivement sur un ou deux piquets choisis, et changeons de piquets chaque semaine. Si nous avons du mal à faire des lignes et des chaînes en manif face au dispositif répressif monstre, faisons ça sur les piquets, avec les grévistes, pour tenter de tenir les blocages quand la police essaie de les neutraliser.

Sur les lycées, diffusons nos réflexes et nos techniques de résistance à la répression policière et judiciaire, informons sur les groupes fascistes qui se font auxiliaires de la police en attaquant les blocus.

Retrouvons-nous aux départs collectifs vers les manifs syndicales, et partons à contre-courant en manifestation sauvage, en évaluant notre degré d’offensivité selon nos forces et notre environnement ; au pire, on se retrouvera juste à gueuler des slogans sur trois rues avant de faire demi-tour ou de faire autre chose.

Retrouvons l’habitude des rencards post-manif, tout en tâchant de ne pas nous enfermer dans le piège des Halles : si le port de Gennevilliers et Rungis sont des cibles trop difficiles d’accès, faisons leur fête aux Portes de Paris et au périph, car ce sont des cibles stratégiques de premier ordre, difficilement gérables pour les forces de l’ordre du fait de la circulation.

Construire l’autonomie, encore et toujours

Nous sommes riches de nos luttes et de notre histoire. Interrogeons notre passé, nos pratiques, notre offensivité au fil des séquences historiques, ainsi que les moyens mis en œuvre pour nous réprimer. N’abandonnons jamais l’analyse de nos succès et de nos échecs, car sans elle, nous ne parviendront jamais à formuler de stratégies pertinentes.

À l’heure où de plus en plus de camarades font le deuil de notre mouvement, il faut choisir une fois pour toutes entre la décomposition et l’initiative. Nous sommes beaucoup à refuser de jeter l’éponge, à refuser d’abandonner nos pratiques et notre culture militante. Alors nous nous impliquons autant que nous le pouvons et mettons toute notre énergie militante dans le sens du blocage de l’économie. Mais nous le faisons en tant qu’individus ou que groupes autonomes isolés. Or, si nous voulons jouer un rôle dans le blocage de l’économie, si nous voulons qu’il tienne bon et qu’il l’emporte face au gouvernement, si nous voulons ouvrir de nouvelles perspectives pour la lutte révolutionnaire, c’est en tant que mouvement qu’il va falloir charbonner.

Agissons en mouvement pour ouvrir de nouvelles perspectives de lutte et ne pas nous épuiser sans rien pouvoir tirer de nos expériences et de nos initiatives. Dépassons nos modèles de communication basés sur l’auto-congratulation et l’auto-référence pour être en capacité de proposer une synthèse de ces expériences et de ces initiatives. Bref, faisons simple et faisons bien : construisons l’autonomie.

Un travailleur autonome