Saluons l’artiste.

1. S’il est quelque part un cirque en manque d’illusionniste, sans
attendre, il doit embaucher Thélot. D’évidence le bonhomme est taillé
pour l’emploi. Au fond de son chapeau, il peut jeter pêle-mêle les
propositions du MEDEF et de ses officines avec celles de la Commission
Européenne. Et, miracle de la magie, il les transforme en l’expression
spontanée et condensée des milliers de discussions du  » Grand Débat
sur l’Ecole « .
Quel talent, ce Thélot ! Depuis des années le patronat, ses porte-voix
des médias et la crème des grandes institutions internationales
s’échinaient à nous expliquer que le temps du grand chambardement
scolaire était venu. Et voilà Thélot et sa bande, véritables
phénomènes de foire, qui, en un tournemain, font la démonstration que
tous, parents, lycéens, personnels de l’éducation, ne souhaitaient
rien d’autre que de se reconnaître dans le projet d’Ecole néolibérale
du MEDEF et de ses complices.

2.1 On ne peut nier la cohérence idéologique du rapport Thélot. Les
propositions qu’il énonce répondent à une logique déjà connue : celle
qui sous tend l’ensemble des projets d’Ecole néolibérale. Toute la
démonstration repose sur un postulat : l’Ecole doit changer afin
d’être capable d’anticiper  » les évolutions économiques prévisibles  »
[Th. p 20]. Nous sommes engagés dans une guerre économique pour
laquelle il s’agit de mobiliser toutes les ressources (humaines) au
service de la compétitivité :  » les performances économiques futures
de la Nation dépendront de la richesse du capital humain  » [Th. p 23].
Pour ainsi entrer dans  » l’économie de la connaissance la plus
compétitive  » [Th. p 22], (l’objectif même de la Conférence Européenne
de Lisbonne de 2000), il convient de mettre en place  » des voies de
formation adaptées au monde du travail  » [Th. p 23]. Ici, Thélot ne
fait que reprendre à son compte ce que le MEDEF affirmait déjà lors de
son congrès de janvier 2002 : il faut réformer l’Ecole car  » la
compétition internationale nécessite une adaptation constante des
qualifications et des compétences des salariés « . De même, l’OCDE,
dans son rapport de 2002, pouvait écrire que la  » mission économique  »
de l’Ecole  » consiste à valoriser le capital humain  » (on retrouve mot
pour mot les mêmes concepts) et à dispenser  » les compétences
spécifiquement requises pour trouver un emploi « .

2.2 Fort de ces principes, Thélot peut s’attaquer à la fois aux
diplômes et aux contenus des enseignements. Le rapport ne s
’embarrasse guère de précautions pour stigmatiser cette  » culture
française (qui) valorise à l’excès le diplôme  » car  » est-il toujours
juste que les diplômes aient d’aussi grandes compétences ?  » [Th. p
44]. Super argument pour introduire le concept central : celui de
compétence :  » une classe d’âge (doit) maîtriser… les compétences
(notamment comportementales) à une vie personnelle et à une
intégration sociale réussies  » [Th. p 24]. On sait l’importance donnée
à cette notion par la doctrine néolibérale en matière d’éducation. Il
y a belle lurette que la compétence, cette  » combinaison de
connaissances, savoir-faire, expérience et comportements s’exerçant
dans un contexte précis  » [cf Alain Dumont, directeur – à l’époque –
de l’Education et de la formation du MEDEF, aux journées de la
performance 2000] remplace l’archaïque notion de savoirs et que c’est
à l’Ecole de transmettre  » les nouvelles compétences de base  »
[Rapport de la Commission Européenne sur les Objectifs concrets futurs
des systèmes de formation -31/01/2001-]. A quelques détails près,
c’est la même idée que développe Thélot, l’Ecole propose un
enseignement minimum  » qui se décline en termes de connaissances, de
compétences et de règles de comportement  » [Th. p 38] sous forme d’un
 » socle commun  » fait d’un  » ensemble de savoirs, savoir-faire et
savoir être  » [Th. p 38] qu’on ne saurait confondre avec les  »
programmes tels qu’ils sont actuellement en vigueur à l’école et au
collège  » [Th. p 38]. On sait quelle signification donner à cette
substitution de la compétence au diplôme. Le diplôme est un acquis, il
certifie une qualification qui peut être reconnue dans un contrat de
travail ou, mieux, dans une convention collective. C’est pourquoi le
patronat ne prise guère les diplômes qui donnent une garantie aux
salariés pour appuyer leurs revendications d’un statut. La compétence,
au contraire, est fragile. Elle évolue dans le temps et correspond
davantage au modèle de flexibilité que veulent imposer les entreprises
en matière d’emploi. Les salariés ne peuvent plus invoquer
collectivement une amélioration de leur condition ou encore résister à
une remise en cause de leurs acquis. En effet, il n’est qu’un seul
arbitre en matière de validation des compétences (c’est à dire  »
d’employabilité « du travailleur : le patron lui-même.

2.3 Le contenu des enseignements n’est pas épargné non plus. Le
rapport Thélot définit un socle commun  » bien adapté à notre temps « ,
 » réaliste et opératoire  » [Th. p 39], réduit aux quelques  » fonctions
primordiales suivantes = lire, écrire, compter, s’exprimer (y compris
en anglais de communication internationale), se servir d’un ordinateur
et vivre en société  » [Th. p 49]. Tels sont les  » acquis
indispensables  » [Th. p 49] que les élèves devront maîtriser à leur
sortie du système scolaire, des acquis qui n’intègrent pas la  »
culture générale  » puisque, à côté de  » l’apprentissage du socle
commun « , on trouve  » d’autres disciplines, dont la culture générale
« . En clair, cela signifie que, si l’anglais de communication
internationale et le maniement de la souris sont des acquis
indispensables, tel n’est pas le cas de la  » culture générale « . Une
conception aussi restrictive de l’enseignement ne pourra étonner que
ceux qui ont refusé de prendre au sérieux les propos plusieurs fois
réitérés du MEDEF. Par exemple, dans la revue Administration et
Education (n° 4 de 2002), il suggère, lui aussi, un  » socle de base  »
fournissant  » les bases scientifiques, techniques, juridiques ou
économiques préparant le jeune à la famille de métiers vers laquelle
il a décidé de s’orienter  » réduites en gros à la maîtrise de la
lecture, de l’écriture, du calcul…
Un inventaire qui ressemble étrangement à celui établi par l’Institut
Montaigne, un lobby patronal qui, quelques mois avant le  » grand débat
sur l’école « , proposait lui aussi dans un rapport intitulé  » De la
formation tout au long de la vie à l’employabilité  » (sept 2003) un
socle de base  » maîtrise de l’écriture, du calcul, d’une langue
étrangère et de l’informatique, acquisition de l’esprit d’équipe « .
Bizarre !

2.4 Bien entendu ce contenu appauvri et instrumentalisé ne saurait
être le lot de tous. Car, même s’il se réclame de la défense de
l’intérêt des élèves, Thélot affirme néanmoins qu’  » une certaine
forme de diversification du collège est non seulement possible mais
légitime  » [Th. p 40]. Elle signifie la fin du collège unique et la
mise en place d’une sélection précoce :  » le collège peut proposer,
dans le cadre de projets individuels, des parcours fondés sur diverses
formes d’alternance, en entreprise, dans un établissement de formation
professionnelle ou des structures adaptées (dispositif-relais)  » [Th .
p 40]. Une sélection assumée sans sourciller qui met à l’écart  » les
élèves qui n’ont validé le socle (et) qui n’ont pas vocation ( !) à
poursuivre leur formation initiale  » [Th. p 44 -version initiale].
Elle se poursuivra d’ailleurs au lycée qui  » offre, dés la première
année, des voies aux finalités différentes  » [Th. p 63], les lycéens
des L.P étant, eux, mis à la disposition des entreprises grâce à la
création d’un statut spécifique pour  » les lycéens professionnels qui
consacrent une partie de leur temps scolaire au travail en entreprise
 » [Th. p 63]. Les voilà d’ailleurs prévenus : ils ne seront plus des
lycéens comme les autres puisque le bac pro devenant un  » diplôme
conduisant les élèves à l’insertion dans la vie professionnelle  » [Th.
p 64], on peut imaginer qu’ils ne seront pas appelés à poursuivre
leurs études, les universités étant, de toute façon, invitées à
confirmer la sélection en affichant  » publiquement des pré-requis  »
[Th . p 66]. Pour justifier cette régression Thélot n’est pas avare
d’arguments. Ne s’agit-il pas de promouvoir  » l’éducation au choix « ,
de s’attaquer aux inégalités ou, plus exactement, de lever les
obstacles qui interdisent  » l’égalité des chances  » (citée à plusieurs
reprises).
Chacun sait la fortune connue par ce concept dans une doctrine
néolibérale pour qui la société, le monde, l’univers même sont conçus
comme une vaste compétition. Dans ce cadre,  » l’égalité des chances  »
prétend compenser les inégalités de situations présentées comme des
sortes de faits de nature quasi inévitables. On arrive ainsi
à légitimer ces inégalités dont on ignore la dimension
socio-économique
à substituer la notion d ‘équité à celle d’égalité et à affirmer que
la lutte contre les inégalités est une vieillerie à renvoyer dans les
poubelles de l’histoire. Un thème qui est cher aux idéologues de la  »
modernité  » capitaliste (l’ineffable Alain Minc, par exemple).
Dans le rapport Thélot, combattre les inégalités revient à faire en
sorte que  » les élèves entrent dans une compétition équitable  » [Th. p
41] puisque  » l’Ecole démocratique est une compétition  » (sic) [Th. p
43] qui vise à  » promouvoir une élite scolaire  » [Th. p 33]. Tout est
dit. Equité, compétition, égalité des chances qui traduisent toute une
inspiration idéologique.
Bien entendu, Thélot ne fait nul mystère du contenu économique du
projet.  » La part des emplois peu qualifiés ou requérant une
qualification d’ordre  » comportemental  » ou  » relationnel  » demeurera
considérable dans l’avenir  » [Th. p 23]. Pourquoi encombrer les jeunes
cervelles d’une culture générale qui n’a aucun rendement économique
immédiat ? Il s’agira seulement de former à moindre coût la main
d’œuvre flexible et bon marché dont le système a besoin. Si l’on se
souvient que les deux tiers des emplois nouveaux sont peu ou pas
qualifiés, on comprend la nature de l’enjeu : la sélection scolaire
précoce doit permettre d’assurer un tri social. Dans une organisation
scolaire en trois cycles, le premier servira à conduire les élèves  »
directement à une insertion dans la vie professionnelle  » [Th. p 64].
Comme le dit élégamment le rapport  » Regards sur l’éducation  » de
l’OCDE, publié en 2003 :  » L’enseignement primaire et secondaire jette
les bases d’un ensemble de savoir-faire essentiels préparant les
jeunes à devenir des membres productifs de la société « .
Notons toutefois que les plus réactionnaires parmi les nostalgiques
d’une Ecole caporalisée n’auront pas trop à s’inquiéter de ce
déferlement de  » modernité « . Car, s’il y a  » effritement des
instances traditionnelles d’éducation  » (sous entendu, probablement le
modèle de la famille bourgeoise),  » il faut donc privilégier
l’éducation à vivre ensemble  » [Th. p 56], ce qui se traduit plus
brutalement par  » restaurer l’ordre « 

3. La mise en place de cette réorganisation du système éducatif doit
s’accompagner d’une transformation profonde de son mode de
fonctionnement. C’est tout un programme qui est proposé  » accroître la
responsabilité des établissements scolaires, renouveler le métier
d’enseignant, construire une éducation concertée avec les parents,
enfin favoriser les partenariats, le système éducatif ne pouvant plus
réussir seul  » [Th. p 48].

3.1  » Accroître la responsabilité des établissements « .
Il faut tout d’abord renforcer  » l’autorité et la responsabilité de
l’équipe de direction  » [Th. p 99] Pour cela, on la dote d’une  » plus
grande capacité « , le chef d’établissement devient  » responsable de la
politique conduite dans son établissement  » [Th. p 101]. De même  » on
lui donne le pouvoir de contribuer à constituer son équipe de
direction en précisant les profils souhaitables et en donnant un avis
sur les personnes lorsque des postes sont à pourvoir. Cela suppose
aussi que l’équipe de direction soit responsable du recrutement de
certains personnels à l’instar des assistants d’éducation : vacataires
et contractuels, enseignants et non enseignants  » [Th. p 101].Il
s’agit très précisément de  » l’élargissement de (son) autonomie
financière et pédagogique  » [Th. p 101]. Voici le chef d’établissement
ainsi reconverti en une sorte de petit patron dont les compétences
s’étendront désormais au domaine de la pédagogie. Bien entendu une
telle réforme n’est pas réservée au seul second degré. Dans le
primaire il faut aussi  » transformer…les écoles et les réseaux
d’écoles en établissements disposant d’un statut propre…dirigés par
un chef d’établissement responsable  » qui  » assure la direction
pédagogique de l’école, en particulier la répartition des ressources
humaines (sic) et matérielles décidée par (le) Conseil
d’administration dans le cadre d’un contrat pluri-annuel  » [Th. p
102]. Voilà des directeurs d’école qui, tout comme les proviseurs ou
les principaux, pourront, à l’instar de ce qui se passe dans les pays
les plus engagés dans la construction de l’Ecole néolibérale, devenir
des petits patrons. Ils pourront appliquer les recettes déjà éprouvées
dans l’industrie et le commerce puisque l’on devra  » élargir les bases
de recrutement par concours à des cadres issus d’autres sphères que
l’enseignement ou l’éducation  » [Th. p 103].
Seuls des esprits pervers pourront se hasarder à souligner l’étrange
similitude entre cette conception managériale de l’Ecole et les
conclusions d’un rapport resté fameux, du Conseil d’Etat (mars 2003).
On y propose que la  » gestion des emplois  » comme  » la responsabilité
de l’exécution des programmes  » doivent être confiées aux chefs
d’établissement dans le cadre de la  » décentralisation la plus
complète possible des actes de gestion « . Ce que Thélot désigne par
cette formule élégante, qui est en même temps un aveu idéologique : il
faut réformer  » les modes de management  » [Th. P 138]. Voilà qui
explique l’empressement montré par Thélot à se conformer aux nouvelles
dispositions de la loi du 1° août 2001 (la LOLF) qui substitue à la
logique de moyens une logique (de type financier) de résultats fondée
sur la course à la performance. Ce que d’ailleurs recommande le
rapport du Conseil d’Etat qui invite les gestionnaires à faire le
choix  » de la meilleure combinaison des moyens dans le cadre des
enveloppes fixées « . Thélot le traduit par la nécessité de  »
structurer le budget de l’éducation en programmes  » [Th. P 25], la
LOLF fournissant ainsi le socle juridique qui justifie le recours à
une gestion manageriale de l’Ecole.
On aura compris que tout cela s’inscrit dans un cadre déjà préparé de
longue date : celui de la décentralisation.  » La capacité d’action des
établissements (leur marge de manœuvre financière et pédagogique) doit
être accrue  » [Th. p 92]. Encore faut-il que l’Ecole satisfasse aux
besoins économiques locaux. Thélot le rappelle explicitement à propos
des lycées :  » les conseils régionaux…devront définir (l’) offre en
tenant le plus grand compte des grandes tendances du marché du travail
 » [Th. p 78]. Ils devront  » décider de la forme de ces structures,
laquelle différera d’une région à l’autre  » [Th. p 64]. N’était-ce pas
déjà la demande du lobby patronal (l’Institut Montaigne) qui, en 2003,
réclamait que l’on rendre  » aux partenaires sociaux la maîtrise des
politiques de formation et, plus généralement, du développement des
compétences dans un environnement général plus réceptif « . Certes, on
ne pourra plus alors assurer l’égalité entre les établissements,
sachant qu’une  » part variable des moyens alloués devrait être définie
en fonction des caractéristiques des élèves qu’ils accueillent  » [Th.
p 88].
Pourraient se multiplier les procédures dérogatoires :  » nominations
de chefs d’établissement, d’enseignants, de personnel
ATOSS…concentration sur quelques points du programme,
individualisation…partenariats renforcés  » [Th. p 76]. On voit se
dessiner en filigrane un système où cette allocation différenciée des
moyens ne permettrait pas d’assurer la totalité des enseignements
partout, quitte à le justifier au nom de l’intérêt particulier porté
aux enfants défavorisés pour lesquels on doit se concentrer sur le
socle commun. Rapidement on risque d’aboutir à une Ecole duale qui,
bien sûr, ne ferait que refléter les grandes divisions de classes de
la société.

3. 2  » Renouveler le métier d’enseignant « 
Pour Thélot et son équipe, il faut dépoussiérer les métiers de
l’enseignement. On sait ce que recouvre en général ce type de
proposition. Elle vise d’abord à  » redéfinir le travail de
l’enseignant autour d’activités plus diverses…et d’ouvrir le dossier
du temps de présence hebdomadaire dans l’établissement  » [Th. p 93].
On imagine aisément dans quelle direction ira cette redéfinition :  »
une organisation du travail des enseignants prenant en compte les
autres missions que celle de l’enseignement  » passant par  » un
allongement du temps de présence dans l’établissement scolaire,
proposé aux enseignants qui le choisirait ou non, à leur gré, mais
s’appliquant en revanche à tous les jeunes recrutés  » [Th. p 107].
Thélot a d’ailleurs l’obligeance de quantifier cette augmentation de
la durée du travail. Il estime nécessaire un allongement du temps de
présence des enseignants du second degré dans les établissements de 4
à 8 heures. Ce  » travail complémentaire s’inscrirait dans le contexte
du contrat d’établissement  » [Th. p 110]. Mais ce n’est pas tout,
l’une des grandes nouveautés consiste à introduire la flexibilité dans
l’organisation du travail enseignant :  » une conception moins rigide
de l’emploi du temps permettrait qu’un professeur absent puisse être
remplacé par un collègue exerçant ou n’exerçant pas dans la même
discipline  » [Th. p 101].
Bien entendu, la formation continue ( » obligation professionnelle « )
doit se dérouler  » hors du temps consacré à l’enseignement  »
L’enseignant doit assurer non seulement  » le remplacement des
professeurs indisponibles  » [Th. p 97] mais aussi la formation des  »
assistants d’éducation « . On imagine aisément les conséquences de
cette nouvelle  » polyvalence « , en particulier l’allègement du temps
de travail provoqué par ces  » nouvelles facettes du métier  » qui
devraient être la norme assez rapidement pour les  » professeurs de
collège  » !
Prolongement logique de ces réformes, sera introduit un nouveau mode
d’évaluation des agents de l’Education Nationale. Tous les personnels
se verront attribuer une note à l’issue d’un  » entretien interne
annuel mené par le chef d’établissement ou son adjoint  » [Th. p 117].
Mais, innovation de taille, celle-ci ne portera plus seulement sur les
aspects administratifs de la fonction puisque le chef d’établissement
disposera de compétences pédagogiques. Cela permettra une
individualisation des rémunérations sanctionnée par la multiplication
de  » primes spécifiques élevées et d’avantages substantiels de
carrière  » [Th. p 117]. Gloire aux fayots et aux lêche-culs. Avis à
tous les déviants qui seraient tentés de mettre en cause les règles de
fonctionnement du système, Thélot les invite explicitement à ne pas
s’écarter  » du devoir de réserve vis-à-vis des institutions  » [Th. p
93].
Enfin, si par hasard, il se trouvait certains pour prétendre se
prévaloir de leur âge pour vivre en sybarite, Thélot se charge de les
ramener à de plus justes sentiments.  » Les professeurs à la retraite  »
pourront être employés à des  » fonctions d’accompagnement  » [Th. p > 96].
On n’oubliera pas que ce fatras de mesures toutes plus réactionnaires
les unes que les autres s’inscrit dans une logique  » manageriale  » de
la gestion des services publics. Là aussi, on retrouve l’esprit du
rapport (déjà cité) de 2003 du Conseil d’Etat. Tout y est : il faut
que la fonction publique  » prenne sa part des efforts d’adaptation et
de performances demandés au reste du pays  » car  » les fonctionnaires
sont encore loin des contraintes de réactivité qui pèsent sur les
entreprises privées « . On doit donc  » mieux adapter les activités des
agents aux objectifs qu’il y a lieu d’atteindre  » et instituer un  »
statut mieux adapté aux exigences de la gestion des ressources
humaines « . Le service public devient une  » entreprise de personnel  »
(sic) où l’on mettra  » l’accent sur une pratique plus exigeante
consistant à redonner toute sa place au mérite  » car le  » temps est
venu pour les pouvoirs publics de réaffirmer la primauté de la
reconnaissance au mérite « . Seuls des esprits soupçonneux pourraient
accuser Thélot d’être allé puiser son imagination dans les
recommandations des clairvoyants conseillers d’Etat. Ce sont non
seulement les fonctions mais aussi le statut des personnels qui
doivent changer. En proposant de donner une  » place importante aux
professeurs associés ou recrutés par validation de l’expérience
professionnelle  » [Th. p 111] et de  » faciliter l’accueil de
professeurs salariés ou non ayant une expérience dans les entreprises
et les services publics  » [Th. p 111], mais il prépare aussi la
précarisation générale des personnels de l’Education Nationale. Car
qui peut imaginer le maintien durable d’un double statut pour les
enseignants, protégés pour les uns (ceux qui resteraient embauchés par
concours) et contractualisés pour les autres (ceux qui seraient
recrutés directement par les chefs d’établissement) ? Quelles
possibilités de mutation seraient ainsi offertes à ceux que l’on
embaucherait dans un cadre décentralisé, sinon par la rupture d’un
contrat de droit privé et l’hypothétique signature d’un nouveau
contrat avec un autre employeur.

3.3  » Favoriser les partenariats « .
De ces partenariats hautement revendiqués, l’un d’entre eux est cité
de manière récurrente. Celui que l’Ecole doit passe avec les
entreprises :  » la Commission estime nécessaire le développement d’un
partenariat entre Ecole et entreprise  » [Th. p 133]. Il faut, pour
cela, une  » implication accrue des entreprises  » [Th. p 72] et, en
particulier, reconnaître  » l’apport pédagogique de l’entreprise au
sein de la formation globale  » [Th. p 72].
Pour Thélot, les justifications ne manquent pas. Il s’agit d’abord de
distiller dans l’Ecole cet  » esprit d’entreprise « , concept cher à la
Commission Européenne qui en promeut l’enseignement dans les
établissements scolaires : les entreprises doivent donner  » une
description objective du fonctionnement de l’entreprise sans a priori
idéologique  » [Th. p 133]. Il faut ensuite  » rapprocher l’élève de
l’emploi  » par  » l’organisation de périodes de formation en entreprise
 » [Th. p133] qui  » satisfassent à la fois la qualité de la formation
exigée par l’Ecole et les contraintes d’efficacité de l’entreprise  »
[Th. p 133] (on se souvient que, dans la pensée néolibérale,  »
contrainte d’efficacité  » se traduit par retour sur investissement ou,
plus vulgairement, par profit). Cette alliance d’intérêts implique  »
un partenariat local entre l’établissement et l’entreprise « , des
contacts directs avec  » les chefs d’entreprise ou directeurs d’usine
de l’environnement immédiat  » dans le cadre d’un  » partenariat local
fondé sur des relations personnalisées  » [Th. p 134]. Cela ne devrait
pas déplaire à la Commission Européenne qui, dans son rapport du 31
janvier 2001, réclamait des écoles qu’elles exploitent  » les contacts
qu’elles entretiennent avec les entreprises de leur environnement
direct « . De la même façon, il conviendrait que les entreprises jouent
un rôle accru dans l’orientation des élèves en confiant à des  »
praticiens d’entreprises  » la  » connaissance du monde du travail  » [Th
p 78]. On ne saurait trop se méfier des velléités critiques de
certains professeurs. De même la formation des enseignants doit être
contrôlée par les entreprises, à l’occasion de stages accomplis  » au
cours des deux premières années de formation en entreprise  » [Th. p
115]. Enfin pourquoi les patrons ne seraient-ils pas associés à
l’évaluation des établissements scolaires, en faisant en sorte que  »
l’équipe des évaluateurs compte des représentants du monde économique
 » [Th. p 105].
Cette insistance n’est pas étonnante. Avec le rapport Thélot on trouve
une réponse empressée aux demandes maintes fois réitérées par le
MEDEF. Au cours de son congrès de janvier 2002, il exige de  » tout
mettre en œuvre pour rapprocher l’école, l’université et l’entreprise
« . Ne s’agit-il pas de  » tisser des relations plus étroites entre
l’Ecole et l’entreprise pour pouvoir partager une vision commune du
monde du travail  » (Les cahiers du MEDEF : la compétence
professionnelle, enjeu stratégique ?. On ne saurait être plus clair !

La prescience du MEDEF, de ses affidés ou des grandes institutions
internationales, tous capables d’anticiper (avec, parfois, plusieurs
d’années d’avance) les conclusions d’un  » grand débat libre et
démocratique  » ne pourra surprendre que les rares personnes ayant pris
pour argent comptant les déclarations de transparence du gouvernement.
Le rapport Thélot n’est que le dernier avatar du projet d’Ecole
néolibérale que l’on a vu mettre en place dans quelques pays. On y
retrouve tous les éléments qui constituent le socle de la conception
néolibérale du monde :
– le démantèlement du service public avec notamment le désengagement
financier de l’Etat ;
– une instrumentalisation de l’Ecole qui, au nom de la compétitivité,
se donne pour mission la fourniture de la main d’œuvre flexible et
polyvalente nécessaire à l’économie capitaliste mondialisée ;
– le remplacement des savoirs par des compétences ;
– l’introduction des normes manageriales en usage dans les
entreprises néolibérales, grâce, en particulier, à l’introduction de
l’individualisation des rapports de travail chez les personnels de
l’Education Nationale ;
– l’entrée du patronat dans les écoles par le biais d’une
institutionnalisation des partenariats entre l’Ecole et les
entreprises ;
– la généralisation de la concurrence entre les établissements grâce à
la déréglementation et aux formes d’autonomie octroyées aux
établissements.

Ce projet n’est pas le nôtre. Plus que jamais s’impose l’urgence :
d’une autre Ecole, d’une autre société !