L’aire politique progressiste auto-proclamée vit une intense recomposition théorique ces dernières années. La traduction (et la diffusion facilitée par le web) de théories sur les oppressions développées dans les campus nord-américains a acquis une popularité sans précédent dans le champ politique francophone. Safe spaces, multiplication des -phobies, politiques identitaires, ce sont de nombreuses pratiques et théories qui se sont essaimés dans les groupes politiques comme dans les institutions les plus ennemies.

Les raisons de ces succès théorico-pratiques sont floues : solubilité extrême dans le magma néo-libéral, ou séduction d’une nouvelle morale qui se permet de tout classer entre bons et méchant et offre une possibilité de rédemption par des modifications comportementales. Allez savoir. Seul constat, nous avons affaire à un nouveau dogme. Et notre sensibilité libertaire ne peut que se méfier des dogmes – aussi bienveillants soient-ils.

Parmi les nouveaux dadas de l’époque, il y a le remplacement de la notion de lutte des classes par une nouvelle oppression : le classisme. Ainsi, le système de classe, comme compostante nécessaire de l’exploitation capitaliste est retourné comme une chaussette et vidé de son sens. La classe n’est plus un rapport social dans le système de production cpaitaliste : Non, ça n’est qu’une culture, une identité, qui souffre de discrimination. Ainsi, l’objectif précédent du mouvement révolutionnaire qui visait à abolir les classes sociales, notamment par leur négation, se voit remplacer par le pire du réformisme modéré : la reconnaissance et l’atténuation de la souffrance issue de son identité de classe. Dans ce geste, toujours affirmé comme « bienveillant » (le mot magique), nos nouveau révolutionnaires néo-libéraux neutralisent tout le potentiel négatif contenu dans la classe.

Et l’on peut étendre cette analyse à la plupart des « oppressions » dont se concerne le milieu progressiste. À vouloir lisser tous les antagonisme, on en perd de vue que c’est contre les identités (et non dans leur reconnaissance), dans la contradiction, dans les tensions que se construisent les luttes et que s’abattent les systèmes. Pourquoi donc est-ce que des radicaux auto-proclamés s’efforcent-ils jour après jour à réaliser un programme que ne renierait pas le plus mou des centristes « de gauche »?