samedi 25 décembre 2004

Article repris du site des élus verts au conseil régional d’Ile de France publié par Anne Souyris

– Texte de l’intervention de Anne Souyris et Jean-Félix Bernard

Madame la Présidente, Chers collègues,

Je voudrais d’abord vous remercier de l’attention que vous avez su prêter personnellement à cette question, grave s’il en est, que pose l’accord général sur le commerce des services.

Comprenant en effet la célérité nécessaire pour une prise de position concrète et claire de la Région, vous nous aviez mandatés, la commission démocratie régionale et la commission actions internationales et européennes, pour préparer une délibération à cet effet. Ce qui fut fait en étroite collaboration avec les vice-présidentes en charge de ces mêmes sujets.

Le travail que vous nous présentons aujourd’hui est ainsi le signe qu’un travail collectif, instaurant les commissions comme susceptibles d’être des forces de propositions législatives, est possible et…efficace, puisque cette délibération arrive devant vous aujourd’hui, enrichie d’éléments nouveaux, permettant d’aller plus loin, de dépasser en un mot l’acte symbolique pour qu’une résistance et des mesures concrètes puissent être explorées par nos institutions.

Pourquoi se déclarer zone non-AGCS ? Demander à ce que la Région Ile de France se déclare aujourd’hui zone non-AGCS, voilà une délibération qui, contrairement aux apparences, est tout sauf un voeu pieu. En prenant cette décision, nous rejoignons tout d’abord un grand nombre de communes, de départements et de régions qui, en toute connaissance de cause, ont fait le choix que nous nous apprêtons à faire.

12 régions françaises représentant 32 millions de Français ont déjà posé le principe du refus de l’ACGS, sans compter l’apport de 23 conseils généraux à ce jour. Le renfort de notre région ferait franchir à cette contestation démocratique le seuil décisif des 2/3 de la population française, et lui donnerait tout son poids.

Sur le fond, la fronde européenne qui se dessine contre l’AGCS entend s’opposer à un nouveau cycle de libéralisation des échanges au niveau mondial. Après s’être porté sur les marchandises, ce cycle prétend s’appliquer aujourd’hui au secteur le plus dynamique et le plus complexe de l’économie mondiale, le marché des services, quels qu’ils soient. Il a pour conséquence immédiate ou progressive de mettre sur un pied d’égalité tous les fournisseurs de services, qu’ils soient nationaux ou étrangers, privés ou publics, qu’il s’agisse de santé, d’eau, d’éducation, de transports, d’agriculture ou de recherche, la liste restant ouverte. La spécificité et la nécessité des politiques publiques telles que nous en avons la charge à la région disparaîtraient tôt ou tard, les subventions étant considérées comme des « distorsions » (art. XV) contestables, en d’autres termes des « obstacles non nécessaires au commerce » (art. VI). C’est ainsi que notre objectif de faire de la région Ile-de-France la première éco-région d’Europe tomberait de lui-même, les éco-conditionnalités pouvant être attaquées dans tous les détails de son application comme une distorsion. Des normes sociales ou environnementales ambitieuses peuvent être contestées, car plus « rigoureuses qu’il n’est nécessaire pour assurer la qualité du service » (art. VI).

Qui jugera de cette rigueur excessive ? L’organe de règlement des différends de l’OMC ? En tout cas, plus nos élus.

Toute politique de prévention, toute aide à l’emploi comme les emplois-tremplins, toute promotion de telle forme d’énergie ou d’agriculture, pourront être lues comme des entraves à la concurrence libre et non faussée. Il nous faudra alors abandonner la réalisation de ce programme sur lequel nous avons été élus et sur lequel, Madame la Présidente, vous vous êtes encore engagée ce matin.

Qui jugera de la pertinence de nos politiques ? Tel investisseur, tel Etat auquel l’OMC aura donné raison, et non plus nos électeurs. C’est la légitimité démocratique qui est ainsi attaquée, qu’on le veuille ou non : le droit des investisseurs est opposé à la souveraineté populaire, qu’elle soit nationale ou locale. Il est évident que dans une Europe où le pouvoir politique s’exerce toujours plus au niveau régional ou local, nous, régions, départements, communes, devenons les principaux fournisseurs de services. A ce titre, au plus proche de la vie quotidienne de nos concitoyens, nous sommes, en tant que Conseil régional, les premiers visés par l’AGCS et les premiers responsables de fait.

Le refus de l’AGCS s’impose d’autant plus qu’une autre version du même processus est en cours, élaborée non plus par l’OMC, mais par l’Union europénne. Le projet de directive sur le marché intérieur, dite « directive Bolkestein », partage globalement les mêmes objectifs, à tel point qu’il fait figure d’AGCS européen avant la lettre. Le comité des régions d’Europe a récemment émis de fortes réserves sur ce projet, qui prévoit notamment l’obligation pour le pays d’accueil d’une entreprise étrangère de reconnaître le droit du pays d’origine. Le territoire national deviendrait ainsi une marqueterie de féodalités économiques régies par la loi du moins-disant social et environnemental, au nom de la libre concurrence ! Après les paradis fiscaux, où l’argent échappe aux principes de responsabilité et de solidarité, voici venir les enfers sociaux ou environnementaux. Tout ceci est source d’insécurité juridique pour le consommateur, d’opacité administrative pour les salariés, d’effets d’aubaine désastreux et de profondes inégalités territoriales. Un autre aspect de ce projet de directive nous concerne au plus au point : comme dans l’AGCS, les services d’intérêt général sont également concernés par cette directive. Le comité des régions demande qu’ils en soient exclus par principe : espérons qu’il sera entendu. Parce que l’enjeu de cette directive, au-delà des risques désastreux qu’elles présentent pour l’Europe, et aussi qu’elle permettra à la commission européenne d’aller encore plus loin dans les négociations sur la mise en oeuvre de l’AGCS.

Je vous laisse juge : quand même Jacques Toubon, homme peu suspect de gauchisme, estime que « ce dispositif est de nature à remettre en cause la logique de construction européenne, il permet d’ouvrir à la concurrence des pans entiers d’activités alors que l’harmonisation est très faible », il semble pour le moins qu’il y a là, maintenant, besoin d’un acte politiquement fort.

Intervention de Jean-Felix Bernard

Le refus de l’AGCS s’impose d’autant plus qu’une directive européenne sur la libéralisation des services est en cours dans le cadre de l’AGCS. Ce projet de directive sur le marché intérieur, dite « directive Bolkestein », qu’il faut appeler désormais Mac Greevy (nom du nouveau commissaire du Marché intérieur), contient, entre autres, le principe de la loi du pays d’origine, qui précise que « les prestataires de services pourront appliquer la loi de leur pays d’origine même s’ils exercent dans un autre pays de l’UE ». Cette loi du pays d’origine est la clef de voûte de la proposition, selon Mac Greevy (dans un interview édifiant de la Tribune du 15 décembre).

Cela veut dire que la RATP pourrait être un jour géré par une société roumaine avec des salaires roumains, par une société grecque avec une comptabilité grecque. C’est le risque d’une généralisation de pavillons de complaisance maltais étendus aux services publics. Le comité des régions a émis un avis plus que réservé sur cette questions et nous devons l’appuyer. En se déclarant aujourd’hui zone non-AGCS, la région Ile de France, après tant d’autres en France et dans le monde (Vancouver, Paris, Oxford, Vienne, Melbourne) contribue à mettre sur la place publique un débat jusqu’ici confiné dans des enceintes technocratiques, ou les décideurs ne sont en général pas des élus.

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