– Il est vain d’attendre de l’arrogance de l’État et de la cupi­di­té des mul­ti­na­tio­nales qu’elles tolèrent notre réso­lu­tion de fon­der et de pro­pa­ger des col­lec­tifs hos­tiles à toute forme de pou­voir — à com­men­cer par la pré­da­tion des res­sources natu­relles. Mais qu’il soit tout aus­si évident de notre part que nous n’avons nul­le­ment l’intention de tolé­rer leur répres­sion bot­tée, cas­quée, épau­lée par la veu­le­rie jour­na­lis­tique. Nous n’allons pas nous incli­ner devant la déser­ti­fi­ca­tion pro­gram­mée de ce qui vit en nous et autour de nous.

– L’écrasement de la ten­ta­tive com­mu­na­liste de Notre-Dame-des-Landes est un coup de semonce, par­mi d’autres, de l’ordre mon­dial et de ses rouages éta­tiques.

Le gou­ver­ne­ment mexi­cain et ses para­mi­li­taires menacent sans dis­con­ti­nuer les col­lec­ti­vi­tés zapa­tistes.

Les inté­rêts de l’Occident et des dic­ta­tures pétro­lières isolent les com­bat­tant-e-s du Rojava qui opposent à ce par­ti de la mort, dont la bar­ba­rie isla­mi­sée n’est pas la seule com­po­sante, une socié­té réso­lue d’instaurer non les droits d’un peuple, non les droits du peuple, mais les droits de l’être humain.

La vie est notre seule reven­di­ca­tion.

Nous refu­sons sa ver­sion rape­tis­sée, ampu­tée, sacri­fiée. Nous la vou­lons sou­ve­raine.

Nous la vou­lons créant et recréant sans cesse notre exis­tence et notre envi­ron­ne­ment.

Elle est pour nous le ferment d’une socié­té où l’harmonisation des dési­rs indi­vi­duels et col­lec­tifs soit le fruit d’une expé­rience pas­sion­nelle. Pour mener plus avant une telle entre­prise, nous n’avons d’autres armes que la vie elle-même.

  • « En matière d’utopie vous avez choi­si la pire : la croyance en une éco­no­mie libé­ra­trice, en un pro­grès tech­nique condui­sant au bon­heur. »

Utopie

 

Vous qui nous taxez d’utopistes, ayez l’honnêteté de conve­nir qu’en matière d’utopie vous avez choi­si la pire : la croyance en une éco­no­mie libé­ra­trice, en un pro­grès tech­nique condui­sant au bon­heur. Vous vous êtes mis jusqu’au cou dans la merde et vous trai­tez de songe-creux, de chi­mé­riques, celles et ceux qui s’en échappent pour aller défri­cher une terre où ils pour­ront res­pi­rer sans ris­quer de s’embrener.

– Les hordes du pro­fit, les dro­gués de l’argent fou, les pan­tins méca­niques qui n’ont d’intelligence que celle des engre­nages, tels sont nos vrais enne­mis. Les guerres mafieuses dont ils se déchirent entre eux ne sont pas les nôtres, ne nous concernent pas.

Iels connaissent tout de la mort car c’est la seule chose qu’ils savent don­ner. Ils ignorent tout des richesses que la vie dis­pense à qui sait les recueillir. C’est un ter­ri­toire incon­nu pour eux que la créa­ti­vi­té et l’imagination dont chaque enfant, chaque femme, chaque homme dis­pose quand il est à l’écoute de sa volon­té de vivre.

La peur de se jeter dans la bataille pour réa­li­ser ses dési­rs les plus chers est l’un des effets les plus déplo­rables de la ser­vi­tude volon­taire. Pour rhé­to­rique qu’elle soit, l’exhortation de Danton « De l’audace, encore de l’audace, tou­jours de l’audace ! » retrou­ve­rait sa per­ti­nence si elle ani­mait celles et ceux qui tentent l’aventure de ter­ri­toires arra­chés à l’État et à la mar­chan­dise ; si elle les déter­mi­nait à outre­pas­ser la simple résis­tance qu’ils opposent à l’implantation de nui­sances et, sur cette soli­da­ri­té acquise, à fon­der, si modes­te­ment que ce soit, des modes de ras­sem­ble­ments col­lec­tifs radi­ca­le­ment nou­veaux.

Partout où la gué­rilla sub­ver­sive et la guerre insur­rec­tion­nelle ont obéi au slo­gan abject « le pou­voir est au bout du fusil » leur triomphe a pla­ni­fié une situa­tion sou­vent pire que l’ancienne. À l’État jeté à bas en a suc­cé­dé un autre, non moins oppres­sant. Les fusils au ser­vice du pou­voir se sont tour­nés contre ceux qui, en les maniant, leur avait prê­té le poids de la liber­té. Russie pré­ten­du­ment sovié­tique, Chine maoïste, Cuba cas­triste, gué­va­risme, Farc, Zengakuren, Fraction armée rouge et autres gau­chismes para­mi­li­taires, ces pali­no­dies ne vous ont pas suf­fi ?

 

– Une leçon à ne pas oublier. La pre­mière défaite de la révo­lu­tion espa­gnole de 1936 date de ses débuts, lorsque la mili­ta­ri­sa­tion exi­gée par le Parti com­mu­niste obtint de trans­for­mer en une sol­da­tesque dis­ci­pli­née les volon­taires qui, avec les colonnes armées de Durruti et de ses ami-e-s, avaient bri­sé la pre­mière offen­sive fas­ciste. La récu­pé­ra­tion des ini­tia­tives popu­laires fut menée de conserve avec l’apparition d’un gou­ver­ne­ment dit révo­lu­tion­naire où les orga­ni­sa­tions liber­taires (la CNT et la FAI) sié­geaient aux côtés des autoritaires  (des natio­na­listes cata­lan-e-s, des socia­listes, des com­mu­nistes aux ordres de Moscou…).

Le fonc­tion­nel tue. La poé­sie est une renais­sance per­pé­tuelle.

Ce qui fait la puis­sance répres­sive de l’État tient moins à sa fli­caille qu’à l’État qui est en nous, l’État inté­rio­ri­sé, qui nous matraque de sa peur, de sa culpa­bi­li­té, de sa déses­pé­rance astu­cieu­se­ment pro­gram­mée.

La plu­part des col­lec­ti­vi­tés liber­taires ont suc­com­bé aux tares rési­duelles du vieux monde, qui entra­vaient leur com­bat pour un monde nou­veau. Les petits chefs poussent aisé­ment sur le fumier de la pas­si­vi­té qu’ils entre­tiennent.

  • « Ce qui fait la puis­sance répres­sive de l’État tient moins à sa fli­caille qu’à l’État qui est en nous, l’État inté­rio­ri­sé. »

Combien de micro­so­cié­tés liber­taires n’a-t-on vu som­brer dans des riva­li­tés de pou­voir ? Combattre la bar­ba­rie et le par­ti de la mort avec les armes de la bar­ba­rie et de la mort condamne à une nou­velle forme de ser­vi­tude volon­taire.

[…] Le par­ti pris de la vie nous dis­pense de for­mer un par­ti. Voyez ce qu’il est adve­nu du mou­ve­ment des Indignés lais­sant place, en Espagne, au par­ti Podemos, de l’antiparlementarisme d’un groupe ita­lien, très vite induit à consti­tuer le par­ti Cinq étoiles et à cli­gno­ter de lueurs brunes dans l’hémicycle du gou­ver­ne­ment. En jan­vier 1938, dans l’Espagne répu­bli­caine, le sta­li­nien Togliatti avait déjà révé­lé l’astuce. Il décla­rait pré­fé­rer l’ouverture d’un front unique avec les ins­tances liber­taires (CNT, FAI) plu­tôt que ris­quer l’affrontement avec elles. Car, disait-il, l’union per­met­tra de mettre défi­ni­ti­ve­ment en déroute l’anarchisme pour la bonne rai­son qu’aux yeux de la masse ouvrière la CNT a l’avantage de ne pas par­ti­ci­per au gou­ver­ne­ment.

Cultiver les jar­dins de la vie ter­restre (il n’y en a pas d’autres), c’est inven­ter des ter­ri­toires qui, n’offrant aucune prise à l’ennemi — ni appro­pria­tion, ni pou­voir, ni repré­sen­ta­tion — nous rend insai­sis­sables. Non pas invin­cibles mais inalié­nables, à l’instar de la vie que sa per­pé­tuelle renais­sance délivre de son joug ances­tral. Aucune des­truc­tion ne vien­dra à bout d’une expé­rience que nous sommes déter­mi­nés à recom­men­cer sans trêve.

Plus nous déve­lop­pe­rons l’aventure exis­ten­tielle de la vie à explo­rer, plus nous dis­sua­de­rons les cadavres, gal­va­ni­sés par le pou­voir, de trans­for­mer la terre en cime­tière. Il suf­fit de peu pour que se grippe et couine le méca­nisme qui meut les palo­tins fonc­tion­nels des ins­tances éta­tiques. Faites confiance à vous-mêmes non à un Dieu, à un maître, à un gou­rou. Peu importent les mal­adresses et les erreurs, elles se cor­ri­ge­ront. Abandonnez Sisyphe au rocher de l’ambition, que son asser­vis­se­ment pousse jour et nuit.

  • Notre édu­ca­tion ne nous a appris que le jeu de la mort. C’est un jeu pipé puisqu’il est enten­du que la mort l’emporte dès le pre­mier coup.

C’est au jeu de la vie que nous allons nous ini­tier. Il n’y a ni gagnant ni per­dant. Quel casse-tête pour les bou­ti­quiers poli­tiques qui en dehors de l’offre et de la demande ne voient rien, ne per­çoivent rien. Cela n’a pas empê­ché le bull­do­zer éta­tique d’écraser les jar­dins col­lec­tifs, la ber­ge­rie, les auto­cons­truc­tions et les rêves sociaux de Notre-Dame-des-Landes ? Certes, mais les yeux morts du pou­voir ne soup­çonnent pas que tout se reprend à la base, se recons­truit, recom­mence et s’affermit.

L’être humain pos­sède en lui, dès l’enfance, un génie ludique. C’est ce génie que ranime la lutte pour la vie : la poé­sie qu’elle insuffle lui res­ti­tue l’énergie que lui ôtait les absurdes luttes com­pé­ti­tives de la sur­vie et du tra­vail. Ne vous éton­nez pas que de ses infimes étin­celles s’embrase un monde qui aspire aux illu­mi­na­tions de la joie, dont on l’a spo­lié.

– Le plus sûr garant des ter­ri­toires libé­rés de la tyran­nie éta­tique et mar­chande, c’est que les habi­tant-e-s accordent la prio­ri­té à de nou­veaux modes de vie, au déve­lop­pe­ment de la jouis­sance créa­tive, à la soli­da­ri­té fes­tive, à l’alliance avec les autres espèces, jusqu’ici mépri­sées, au pro­grès de la conscience humaine ban­nis­sant toute forme de hié­rar­chie et de pou­voir.

Plutôt que de qua­li­fier de paci­fique l’insurrection de la vie, mieux vaut par­ler d’un mou­ve­ment de paci­fi­ca­tion.

Nous sommes pris en tenaille entre une volon­té de vivre qui ne sup­porte ni les inter­dits ni l’oppression et un sys­tème dont la fonc­tion est d’exploiter et de répri­mer le vivant. Comment mener une guerre en l’évitant ? Telle est la gageure.

– À la péri­phé­rie de ce rayon­ne­ment vital, de ce noyau insé­cable, il existe une zone de fric­tions où se mani­feste la vieille hos­ti­li­té à la vie, une force d’inertie agres­sive, accu­mu­lée depuis des siècles par la ser­vi­tude volon­taire. En marge des terres libres s’étend un no man’s land, une zone d’intranquillité, une frange d’inquiétude. Cette peur s’estompera à mesure que le noyau de vie rayon­ne­ra de plus en plus, mais c’est là qu’il peut s’avérer néces­saire d’éradiquer les menaces de des­truc­tion qui pèsent sur notre réin­ven­tion de la vie. Là se meuvent ceux et celles que stig­ma­tisent du nom de « cas­seur » les véri­tables cas­seurs, les res­pon­sables de la dégra­da­tion pla­né­taire, les palo­tins blêmes de la finance.

La gra­tui­té est une arme qui ne tue pas.

C’est en toute légi­ti­mi­té que nous avons le droit de refu­ser de payer les taxes, les impôts, les péages en tous genre que nous imposent l’État et les mafias finan­cières qui le gèrent. Car jadis affec­té (en par­tie) au bien public, cet argent sert désor­mais à ren­flouer les mal­ver­sa­tions ban­caires.

– Agir indi­vi­duel­le­ment tom­be­rait aus­si­tôt sous le matra­quage des lois édic­tées par le pro­fit. Agir ensemble en revanche assure l’impunité.

« Ne payons plus » est une réponse appro­priée à ceux qui nous pau­pé­risent pour s’enrichir. Ne payons plus les trains, les trans­ports en com­mun. Ne payons plus l’État, ne payons plus ses taxes et ses impôts. Décrétons l’autonomie de lieux de vie où coopé­ra­tives et inven­ti­vi­té soli­daire jettent les bases d’une socié­té d’abondance et de gra­tui­té.

  • « Ne payons plus les trains, les trans­ports en com­mun. Ne payons plus l’État, ne payons plus ses taxes et ses impôts. »

 

– Les zapa­tistes du Chiapas ont mon­tré que de petites col­lec­ti­vi­tés auto­nomes et fédé­rées pou­vaient culti­ver la terre par et pour tous et toutes, assu­rer des soins médi­caux, pro­duire une éner­gie natu­relle, renou­ve­lable et gra­tuite (une option par­fai­te­ment igno­rée par les mafias éco­lo­giques). Il est pri­mor­dial que la gra­tui­té pénètre, à l’instar de la vie, dans nos mœurs et dans nos men­ta­li­tés, dont elle a été ban­nie, exclue, inter­dite pen­dant des mil­lé­naires. Pas d’illusions cepen­dant : le com­bat contre les chaînes dont nous nous sommes entra­vés sciem­ment risque d’être très long. Ce qui est une bonne rai­son pour s’y vouer immé­dia­te­ment.