Dans le même avion dans lequel se rendait à Buenos Aires le dirigeant syndical bolivien Oscar Olivera pour expliquer aux différents mouvements sociaux la posture des travailleurs de son pays face à l’exportation du gaz, voyageait une délégation de fonctionnaires du gouvernement bolivien de Carlos Mesa dans le but d’initier des conversations avec leurs pairs argentins autour du prix du gaz bolivien qui s’exportera en 2005. « Nous nous opposons fermement à tout accord de vente de gaz », affirme Olivera, un des dirigeants de la Federación de Fabriles (travailleurs industriels) de son pays. « Le gouvernement de Mesa a accéléré sa recherche d’accords, ce qui est un affront au peuple bolivien alors que le thème du gaz est en pleine discussion ; c’est un accord qui bénéficie plus à une transnationale qu’à un des deux peuples. Quel hazard, tandis que nous venons échanger des informations et chercher à travailler en commun avec les mouvements sociaux argentins, a lieu la rencontre entre les négociateurs de Repsol (compagnie pétrolière espagnole), qui ne sont autres que les gouvernements de Kirchner et de Mesa », fait-il remarquer avec une dure ironie en commencant l’entretien. Oscar Olivera occupe un des échelons principaux de représentation sociale de son pays, à partir du rôle qu’il a joué dans la Guerre de l’Eau à Cochabamba en 2000, quand par des grèves et des manifestations populaires a été écartée l’entreprise concessionnaire Bechtel, après qu’elle eut tenté d’imposer un prix exhorbitant pour le service récemment privatisé.

– Comment s’est déroulée cette lutte pour l’eau et comment s’est-elle soldée au niveau de l’organisation ?
– La privatisation du système de l’eau à Cochabamba s’est réalisée à travers une concession de 40 ans. Le tarif a augmenté jusqu’à 300 %, la facture représentait jusqu’à un cinquième des revenus familiaux. Des systèmes ancestraux de répartition de l’eau ont été éliminés (parmi la population paysanne), le droit d’accès aux ressources a été confisqué. Cela a été jusqu’à l’interdiction d’accumuler l’eau de pluie de manière particulière. Bechtel considéra San Pedro comme « concurrent déloyal » (ironise t-il). Les gens ont alors dit « Basta ». Alors qu’avec le néolibéralisme nous avons tout perdu, qu’ils s’approprient l’eau, là c’était trop.

– Qu’a rendu possible une réponse autant déterminée et organisée de la part des gens ?
– La surdité, la cécité et la maladresse des dirigeants et des institutions civiles. Face à l’absence d’interlocuteurs, les gens décidèrent de s’organiser. A ce moment se sont uni des paysans avec leurs traditions participatives, des producteurs de coca, des professionels qui traduirent en ternes simples les problèmes. Et les syndicats, avec la Federación de Fabriles, se convertissant en mobilisateurs. Il s’est réalisé une expérience d’organisation sans hiérarchies, mais avec des porte-parole des secteurs sociaux : la Coordination de Défense de l’Eau et de la Vie.

– Cette lutte s’est terminée par une grande victoire. Quel rapport et quelles différences cette expérience possède avec l’actuelle guerre pour le gaz ?
– Plus qu’une victoire économique, ce fut une victoire politique. Les gens ont commencé à parler en face, droit dans les yeux, à être plus « insolents » avec le pouvoir. Le contrôle des partis traditionnels s’est rompu et ensuite cela s’est propagé à d’autres mouvements sociaux. Depuis cette année 2000, il n’y a pas eu un seul échec des luttes contre le pouvoir politique. La Coordination Nationale pour la Défense et la Récupération des Hydrocarbures a surgit comme élargissement de la Coordination de l’Eau de Cochabamba, mais maintenant au niveau de tout le pays. Plus de 300 organisations sociales ont participé à sa formation. Des secteurs très proches du MAS (Mouvement pour le Socialisme, dirigé par Evo Morales), mais également des secteurs autonomes. Elle s’est créée avec un plan très bien élaboré, de 60 jours, qui comprenait une première mobilisation le 19 décembre 2003 pour la nationalisation des hydrocarbures, en exigeant une réponse dans les trente jours et si les privatisations ne rétrocédaient pas, dans les soixante jours (le 19 novembre) le gouvernement devait s’en aller. Mais les luttes paysannes ont accéléré les évènements. La répression par laquelle le gouvernement a répondu et le massacre des compagnons se sont terminés par la fuite de Sánchez de Losada (octobre 2003). Mais aujourd’hui, la Coordination a perdu une base importante. Des secteurs liés au MAS, à partir du référendum du gouvernement de Mesa, sont tombés dans le piège. Cela s’est soldé par un éloignement profond. Résultat, l’antique Loi des Hydrocarbures est toujours en vigueur, le gouvernement national continue d’assumer des engagements sous couvert de celle-ci et un débat interminable au Parlement entre la loi proposée par Mesa et celles que soutiennent d’autres secteurs s’est ouvert. En deux mois de débats, ils ont seulement discuté (en particulier) 16 des 150 articles qui conforment la loi.

– Pourquoi la Federación de Fabriles et divers organisations paysannes se sont opposées à la réforme de la Loi des Hydrocarbures de Mesa, alors que Evo Morales et le MAS l’ont soutenue ?
– Parce que c’est une nouvelle erreur. Elle ne nationalise pas les hydrocarbures, elle va être une loi amorphe qui va satisfaire les entrepreneurs et les secteurs dominants de Tampa et de Santa Cruz de la Sierra. Et peut-être des secteurs du MAS, qui se satisfont de toucher plus d’impôts des compagnies pétrolières. Et tout cela parce que le gouvernement a peur des entrepreneurs, peur qu’ils lui fassent des procès si il va plus loin. Mais il y a des chiffres qui démontrent qu’ils ne vont pas quitter le pays. Le coût d’extraction du pétrole brut est aujourd’hui au Brésil de 1,40 dollar par barril et ils le vendent au-delà de 50 dollars. Le gaz s’exporte avec d’énormes bénéfices, mais pour chaque milliard de dollars qui s’exporte, il ne revient à la Bolivie pas plus de 50 millions de dollars.

– Vous vous opposez aussi aux exportations de gaz à l’Argentine ?
– Nous nous opposons fermement à tout accord de vente de gaz dans ces conditions. Le gouvernement est en train d’accélérer la signature d’accords alors que le thème est en plein débat. C’est un affront aux peuples. En particulier, la vente de gaz à l’Argentine n’est rien de plus qu’un grand bussiness entre Repsol Bolivie et Repsol Argentine, entreprise qui a comme principaux négociateurs les gouvernements de kirchner et de Mesa. Quel hazard, dans le même avion vient une mission du gouvernemen t de Mesa à négocier avec le gouvernement de Kirchner, nous à discuter avec des travailleurs et des piqueteros. Nous serions disposés à l’exportation de tout le gaz dont a besoin le peuple argentin, mais avec d’autres conditions d’accord. C’est de cela que nous sommes venus discuter avec les mouvements sociaux argentins, travailler ensemble pour dénoncer nos ennemis.

Raúl Dellatorre, Pagina12 (Argentine) – 22 décembre 2004 http://www.pagina12web.com.ar/diario/economia/2-45090.html Traduction : Fab (santelmo@no-log.org)