Après avoir constaté que les premières demandes de
rapports à Interpol avaient été adressées en date du 6
décembre 2003 , et qu’il s’était donc écoulé près de
huit mois, temps largement suffisant à
l’accomplissement de la commission rogatoire , j’ai
déposé un recours auprès de la commission
d’application des peines de Rome.
Suite au rejet de mon recours, débattu le 19 novembre
2004, lequel a été justifié par la commission en
calquant ses motivations sur celles avancées
précédemment par le juge d’application des peines de
Viterbo (alors qu’entre-temps il s’est écoulé plus
d’une année depuis la demande d’un rapport à Interpol,
toujours pas arrivé), ayant ainsi épuisé toutes les
procédures disponibles, je me vois contraint
d’entreprendre de refuser toute forme d’alimentation
solide, me réservant dans un second temps de renoncer
également à la forme liquide si la situation ne
trouvait pas une issue positive, c’est-à-dire tant que
n’auront pas été satisfaites les demandes suivantes :

1 ) Tant que le juge d’instruction de Bologne n’aura
pas émis, et ce sans autres retards injustifiés,
l’avis de classement sans suite de l’enquête menée à
mon encontre au sujet de mon implication infondée dans
l’affaire Biagi à cette mesure ayant déjà été réclamée
depuis le 7 mai 2004 par le procureur en charge du
dossier. Le non-éclaircissement explicite et définitif
de cette affaire, de fait déjà conclue et clairement
élucidée, pèse comme une « peine supplémentaire » sur ma
réalité pénitentiaire, fournissant de fallacieux
prétextes à ceux qui au sein de l’administration
pénitentiaire continuent à vouloir instrumentaliser
mon cas. Qui plus est, ce mécanisme bureaucratique a
fourni par la suite un alibi aux magistrats de
l’application des peines pour leurs décisions
défavorables. [1]

2 ) Tant que le ministre de l’Intérieur ne rendra pas
publiques les raisons qui empêchent Interpol
d’accomplir ses propres tâches institutionnelles et
les charges dont elle a le devoir, et ce un an après
les demandes officielles formulées par les commissions
d’application des peines de Viterbo ainsi que de Rome.
Qui craint la vérité ? Qui freine et enlise ce rapport
? Pourquoi Interpol ne répond-elle pas ?
__________________________________________
[1] Entre-temps, le décret d’archiviation (de
classement ?) émis par le Gip
( «Juge pour les enquêtes préliminaires») auprès du
Tribunal de Bologne à qui avait été émis le 5
novembre 2004, mais qui était resté ‘clandestin’ pour
Paolo à lui est parvenu.
Nous diffuserons une traduction de ce décret le plus
tôt possible. Nous nous bornons pour l’instant à en
traduire la phrase conclusive : «Nous considérons
exclu que l’hypothèse de l’accusation contienne
quelque fondement que ce soit, notamment au regard des
enquêtes, dans lesquelles n’a émergé aucun élément
d’implication de la personne enquêtée
[P.Persichetti]».
_________________________________________________
Ceci dit, il est nécessaire de souligner que l’absence
de rapport d’Interpol ne constitue en aucune manière
un obstacle à l’obtention d’une permission de sortie.
Cette demande de supplément d’information, en réalité,
ne représente qu’un élément redondant et superflu
étant donné que de nombreuses informations documentées
au sujet de mon existence passée en France sont
contenues dans le dossier en possession de la chambre
d’application des peines. À titre d’exemple, je me
permets d’en citer quelques-unes parmi d’autres :

a ) Les rapports de la DIGOS (R.G. italiens) rédigés à
la suite de ma demande d’extradition du 25 août 2002,
dans lesquels il est explicitement affirmé que
« Persichetti n’a pas commis de délit sur le territoire
français » (voir annexe).

b ) La retranscription officielle de l’intégralité de
mon parcours universitaire auprès du département de
sciences politiques de l’Université de Paris VIII, et
ce à partir de mon inscription en septembre 1992
jusqu’à fin août 2002, lorsque l’extradition a mis un
terme à ma charge de chercheur et d’enseignant
temporaire.

c ) Les conclusions de la commission rogatoire
internationale mise en oeuvre par la section
antiterroriste française à la demande du parquet de
Bologne. Il s’agit d’une reconstruction extrêmement
méticuleuse de toutes les vicissitudes
administratives, salariales, universitaires et de
logement qui se sont succédées lors des onze ans de ma
vie en France, de 1991 à 2002, sans que puisse y être
signalée la moindre violation de la législation
pénale, civile ou administrative sur ce territoire.
Quant aux supposés « liens » avec une fantomatique
réalité illicite opérant en Italie, insinués avec
malignité par les milieux de l’antiterrorisme pour
justifier et optimiser médiatiquement mon extradition,
ce sont les propres résultats de l’enquête de Bologne
qui les ont démentis d’une façon spectaculaire.

La volonté obstinée de faire de ces rapports
d’Interpol une pièce centrale du dossier apparaît donc
incompréhensible, à moins que l’on n’interprète cette
attitude comme un artifice monté en épingle pour
renvoyer sine die toute décision à ce sujet,
contournant ainsi de fait les prescriptions imposées
par la loi. Il semble bien que la question ait de loin
dépassé les stricts milieux juridiques pour revêtir un
caractère uniquement politique. C’est pour cette
raison que ce qui paraît être en jeu ne sont plus les
quelques heures de liberté surveillée consenties par
une permission de sortie (d’ailleurs déjà concédée à
des détenus condamnés pour des délits similaires aux
miens dans les années 80 et 90), mais la lecture que
l’on tente de donner de mes treize années de liberté,
suite à ma levée d’écrou de décembre 1989 (qui me fut
octroyée après le non-lieu prononcé sur les plus
graves inculpations pesant sur moi).

Quant à ce qui se déroule depuis mon extradition en
août 2002, cela démontre à quel point ma condition
sempiternellement reconduite de prisonnier masque, en
réalité, la volonté de me transformer en otage de
représailles menées à l’encontre de l’expérience des
exilés réfugiés en France. À travers moi on veut
sanctionner ce que ces derniers représentent depuis
plus de vingt ans : l’anticipation d’un possible, de
ce qui aurait pu advenir en Italie si avait été
promulguée une amnistie pour les événements des années
70. Un démenti cuisant pour les partisans de l’état
d’urgence, un modèle bien trop dérangeant, un exemple
à effacer. C’est en cela que mon étape française
devient un enjeu, quelque chose qu’il faut nier,
démentir, réécrire intégralement, jusqu’à fabriquer ex
novo la biographie de chacun d’entre nous, en
réinventant effrontément le passé – en singeant le
règne de la nov-langue décrite par Orwell, où les mots
perdent tout sens et le sens perd les mots.

Tout ceci vient s’ajouter à une extradition effectuée
en violation ouverte avec la légalité internationale,
comme en témoignent les documents inclus dans le
dossier de l’enquête préliminaire réalisée par le
parquet de Bologne. Alors qu’en apparence je me
trouvais extradé pour des faits commis en 1987, les
autorités italiennes avaient en réalité sollicité mon
arrestation dans le cadre de l’enquête menée sur
l’attentat Biagi, et ceci sans avoir jamais pris soin
de formuler une extension de la demande d’extradition,
comme le prescrit néanmoins l’article 14 de la
convention européenne sur l’extradition (qui ratifie
le dit « principe de spécialité »). Ils n’osent pas
formuler leurs préjugés accusatoires car ils ne sont
fondés que sur un théorème : celui de la « centrale
française », théorème qui vient de dérailler dans le
train Roma-Arezzo au mois de mars 2003, et qui de
toute façon n’aurait pas tenu face au crible d’une
Chambre française. L’enquête qui s’en est suivie,
outre le fait qu’elle est illégale dans ses
fondements, a été par la suite systématiquement
ponctuée par l’emploi répété de méthodes illicites et
d’abus de procédure, elle fut censurée à de nombreuses
occasions (y compris par les degrés supérieurs de la
magistrature). Remarquée pour ses fausses
reconnaissances par témoins, ses sac-à-dos beiges de
couleur bleue, ses mises sous scellés illégitimes, ses
inscriptions vengeresses dans le registre des
inculpés, ses omissions dans les vérifications des
alibis favorables à la défense, cette enquête
n’aboutit finalement à rien, comme cela était
prévisible, mais se répercute sur mes conditions de
détention comme une terrible « seconde peine », jamais
prononcée par aucun tribunal.

Ce qui est en jeu c’est donc mon identité, mon
histoire, une existence menée au grand jour selon les
règles de la doctrine Mitterrand (laquelle était un
protocole officiel) dans un Paris qui n’est
certainement pas une jungle dépourvue de lois ni de
règles. Une vie vécue en intervenant à visage
découvert dans l’espace public français et italien, se
retrouve obtusément réduite à de mesquines
conspirations, grossièrement repeinte aux couleurs
sombres de l’ambiguïté. Certes, la doctrine Mitterrand
peut être diversement appréciée : considérée par
certains comme une atteinte tant à la souveraineté
italienne qu’au désir de voir s’accomplir les peines
prononcées par une justice d’exception ; estimée par
d’autres comme un modèle de dépassement politique
d’âpres conflits sociaux ou de guerres civiles. Malgré
tout il est impossible de la transformer en caricature
grotesque, en une espèce de laboratoire criminogène,
de sanctuaire qui aurait « opéré comme une centrale de
déstabilisation de la société italienne ». Voilà bien
une idée morbide. Ce n’est pas par hasard que ce sont
les années qui ont suivi ma condamnation qui doivent
sembler suspectes et non celles qui l’ont précédée. Ce
qui m’a ramené en Italie, onze années après mon
départ, ce ne fut pas le passé mais quelque chose qui
devait encore survenir ; l’avenir pèse sur moi comme
une faute.

Après avoir accompli un tiers de ma peine, je reste
encore un suspect permanent, soumis à un procès sans
fin. Pour me soustraire à cette conspiration de
l’hypocrisie et du mensonge, il ne me reste rien
d’autre à mettre en jeu que l’unique chose qu’un
prisonnier possède, son propre corps.
Paolo Persichetti
Carcere -Mammagialla- Viterbo,
le lundi 13 déc.2004

NOTES
1. Note de la DIGOS – août septembre 2002
Dans le compte rendu relatif à l’arrestation et à
l’extradition de Paolo Persichetti, rédigé par Maria
Grazia Pennino, détachée auprès du « groupe de travail
sur Marco Biagi », préfecture de Bologne/ Digos 3°
section antiterrorisme, et envoyée en mission à Paris,
on peut lire : « à ce sujet, on nous signale que, la
personne en fuite n’ayant pas commis de délit sur le
territoire français, il n’a pas été possible
d’effectuer une perquisition à son domicile, cet acte
ne pouvant être réalisable que sur la base d’une
demande spécifique des Autorités italiennes formulée
avec une commission rogatoire ».
Note reprise le 4 septembre suivant par l’inspectrice
en chef de la Digos de Bologne, Santina Chiappa,
préfecture de Bologne/Digos 3° section antiterrorisme,
qui affirme : « en France, il n’a pas été possible de
procéder à la perquisition de l’appartement utilisé
par M. Persichetti, parce que celui-ci n’a pas commis
de délit sur le territoire français et de ce fait les
autorités n’ont procédé à son encontre que par voie
administrative ».

2. Motifs du rejet de la demande de permission de
sortie rédigés par le Juge de l’application des peines
de Viterbo, notifié le 24 août 2004
« Étant donné que le demandeur a été condamné pour des
faits de terrorisme à la peine de 22 ans et 6 mois de
réclusion : avec comme échéance de la peine la date du
12 septembre 2018 ;
– les informations réclamées à Interpol au sujet des
dix ans de résidence en France de Persichetti ne nous
sont toujours pas parvenues ;
– que l’intéressé a demandé de façon réitérée qu’une
décision soit prise concernant sa demande en l’état
actuel des choses ;
– retenant qu’on ne peut se forger un jugement sur la
cessation de la dangerosité sociale et sur la
non-subsistance d’un risque de fuite de l’intéressé,
l’instruction estimée nécessaire par ce magistrat ne
m’étant pas parvenue complète ;
la demande de permission de sortie est rejetée,
article 30ter Op.