« Manifestations d’antisémitisme dans le contexte des protestations des gilets jaunes en France. » – Yossi Lempkowicz

16 décembre, 2018 / European Jewish Press (traduction Michèle Sibony)

Selon un large sondage auprès de 16300 juifs dans 12 pays européens, publié cette semaine par la commission européenne et l’agence pour les droits fondamentaux de l’UE (FRA), l’antisémitisme s’est une fois de plus manifesté en France. Les résultats montrent que les juifs français, la plus large communauté d’Europe, avec un total d’environ 500.000 personnes, montrent le plus haut niveau d’inquiétude sur l’antisémitisme (95%).

Alors que le sondage était réalisé en mai-juin dernier, un élément antisémite additionnel a surgi ces dernières semaines, en résultat du mouvement de contestation sociale dite des gilets jaunes, contre les taxes imposées par le gouvernement français. Le mouvement a conduit à des affrontements extrêmement violents entre les contestataires et la police, spécialement dans le centre de Paris. Les affrontements les plus violents se sont produits samedi autour des Champs-Élysées. Beit-Habad (maison religieuse des Lubavitch) située sur les Champs-Élysées a temporairement fermé ses portes, shabbat dernier, pour la première fois depuis des dizaines d’années.

Dans un autre cas, une énorme banderole tendue sur un pont au-dessus de la principale autoroute entre Paris et Marseille accusait le président français E. Macron d’être « une p… à juifs ». Macron fut une fois appelé « président Rothschild » par un homme politique d’opposition dans une référence à connotation antisémite aux précédentes fonctions de banquier du président.

Les réseaux sociaux ont aussi été harcelés de sentiments antisémites ces dernières semaines. Une source anonyme portant un masque clamait que « c’était les riches juifs qui avaient amené Macron au pouvoir afin qu’il soit leur marionnette, ce sont eux qui tirent les ficelles. Ils lui ont fait supprimer les impôts sur les biens des riches et sont responsables de toute la situation économique ». Au moins plusieurs contestataires du mouvement des gilets jaunes ont posté des vidéos à contenu antisémite. Un militant d’extrême-droite a invité les gens à protester contre l’allumage de rue de la hanoukkia de Chabad, déclarant que pendant que la France souffrait, les juifs étaient occupés à célébrer leur fête.

Alors que les forces de police étaient mobilisées en priorité pour restaurer l’ordre général, la communauté juive a dû pourvoir elle-même à sa sécurité. La communauté juive a aussi senti qu’il était nécessaire de recommander au moins pour le dernier shabbat, de ne pas amener ses enfants dans les synagogues.

Johanna Barasz, de la délégation interministérielle de lutte contre le racisme l’antisémitisme et la haine anti-LGBT en France (DILCRAH), organisme placé sous l’autorité du premier ministre a déclaré à European Jewish Press : « Il y a clairement eu propagation de théories conspirationnistes sur Internet ». Elle explique : « Le mouvement des gilets jaunes n’est pas lui-même antisémite mais cette contestation est multiforme, inorganisée nationalement et très autonome. Pour cette raison il y a eu des manifestations de racisme et d’antisémitisme sous des formes variées, liant les juifs aux élites du pouvoir ».

De plus, quelques antisémites notoires, comme le soi-disant humoriste Dieudonné ou Hervé Ryssen, tous deux plusieurs fois condamnés pour incitation à la haine contre les juifs, se sont greffés sur le mouvement. « Le mouvement des gilets jaunes attire des antisémites qui essaient d’insuffler des théories selon lesquelles les juifs, les sionistes sont les élites, les financiers… »

Efforts accrus pour ceux qui cherchent à déménager en Israël

La Fraternité internationale des chrétiens et juifs, (International Fellowship of Christians and Jews), plus connue sous le nom de Fellowship qui amène chaque année des milliers de juifs de 29 pays dont la France, à faire leur alyah (immigrer en Israël) a déclaré qu’elle répondait et se mobilisait pour offrir une assistance spéciale aux juifs français qui expriment le désir de d’immigrer en Israël : « A la lumière de la situation en France, nous nous préparons à un pic de l’alyah en France, par l’allocation d’un budget additionnel, d’une équipe et de volontaires, pour aider tout juif qui désire immigrer en Israël par notre intermédiaire, et recevoir de l’aide dans son installation en Israël » a dit le président du groupe : le Rabbin Yechiel Eckstein.

« J’espère que le leadership européen réussira dans ses efforts pour éradiquer l’antisémitisme, mais d’ici là, il est important que nous agissions pour sécuriser les synagogues et les écoles juives, et que nous augmentions nos efforts pour l’alyah (l’immigration) pour tous ceux qui veulent partir en Israël « a-t-il déclaré.

Uriel Saada, directeur du bureau français de Fellowship a déclaré qu’il avait déjà reçu des dizaines de demandes de familles juives intéressées à partir en Israël. « Juste ce vendredi dernier, j’ai reçu dix appels ; ce qui est très rare, car en général personne n’appelle un vendredi » a-t-il souligné.

Plus tôt cette semaine, Israël a annoncé un nouveau plan pour promouvoir et encourager l’alyah française.

Le ministre de l’éducation et des affaires de la Diaspora Naftali Benett, qui participait à la conférence annuelle de Qualita, l’organisation chapeautant les nouveaux émigrants de France en Israël a déclaré : « il y a 200.000 juifs en France qui émigreraient demain vers Israël si nous faisions ce qu’il faut. La situation en France n’est pas bonne, et ils veulent venir. Il y a eu une terrible opportunité manquée, mais nous ne regardons pas en arrière, nous regardons vers le futur. »
« Nous avons déjà commencé au ministère de l’éducation avec le programme pour les enfants et les jeunes de France, mais ce n’est qu’une partie. Donc j’ai soulevé le problème à la réunion du Cabinet, et j’ai été heureux que le premier ministre comprenne l’importance et m’accorde la responsabilité de diriger la formulation du plan. Puisque personne n’a soulevé ce problème jusqu’ici, je déclare aujourd’hui clairement : je serai le père de l’alyah de France. A partir de maintenant je suis le ministre français dans le gouvernement israélien. »

Conte et légende d’un lobby sioniste – 20.12. 2018 – Michèle Sibony

Un journal en ligne le JNS (Jewish News Syndicate) publie le 16 décembre 2018 un article signé par Yossi Lempkowicz intitulé « manifestations d’antisémitisme dans le contexte des manifestations des gilets jaunes en France ».

Cet article à diffusion virale aux États-Unis, nous a été transmis par un jeune chercheur d’une université californienne, pour vérifier sa véracité. Il raconte une histoire digne des meilleurs conteurs : un pic d’antisémitisme en France menace les juifs avec et depuis les manifestations des gilets jaunes.

N’hésitant pas à inventer des situations jamais vues ou entendues, lors des dernières semaines, il serait plutôt matière à sourire s’il ne faisait en réalité partie d’une campagne de lobbying acharnée pour imposer une définition de l’antisémitisme suivie d’exemples qui incluent l’antisionisme : c’est la définition de l’IHRA (International Holocaust Remembrance Alliance) augmentée de ses exemples. Nous n’entrerons pas ici dans les détails de cette affaire, mais il faut savoir que l’IHRA qui elle-même avait été victime de ce lobbying avait cependant voté une définition qui n’incluait pas d’exemples. Les exemples imposés par le lobbying ont été ajoutés à la définition votée, et tout l’enjeu est aujourd’hui de faire voter en force, État par État, la définition augmentée de ces exemples mentionnant l’antisionisme comme antisémite.

Déjà l’introduction du conte identifie au point de les confondre deux personnages : Commission Européenne et Agence des droits fondamentaux. Si l’on cherche le sondage cité dans la Commission Européenne il n’apparaît que sous la publication de l’une de ses agences la FRA – Agence pour les droits fondamentaux. Il y a donc une volonté d’assimilation d’une agence d’experts au service de l’UE avec la Commission Européenne elle-même. Or cette confusion volontaire a déjà des précédents.

L’UE est depuis des années maintenant, la cible principale du lobbying d’Israël et de ses officines européennes et états-uniennes. Ce lobbying s’est au cours des années introduit dans tous les organismes « d’experts » travaillant à la périphérie de l’UE. C’est ainsi par exemple qu’il avait utilisé le site de l’EUMC (observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes) lui-même intégré au site internet général de l’UE, pour y placer un texte sur la définition de l’antisémitisme faisant donc passer ce texte pour un texte officiel de l’Union Européenne aux yeux d’un observateur non averti.

Lorsque cet organisme, l’EUMC, fut remplacé par la FRA, cette dernière retira la définition de son site, s’attirant les foudres du lobby, mais elle souligna que ce texte qui n’avait été voté par personne n’était pas un texte officiel de l’UE. Pour que les choses soient encore plus claires voici la présentation officielle de la FRA :

« Créée en 2007 par l’Union européenne, la FRA fournit des conseils indépendants fondés sur des éléments de preuve en matière de droits fondamentaux. Les 90 membres du personnel de la FRA comptent, notamment, des experts juridiques, des experts en sciences sociales et politiques, des statisticiens et des experts en communication et de mise en réseaux. »
Le conseil d’administration de la FRA se compose d’experts indépendants des droits de l’homme issus de chacun des 27 États membres, de deux représentants de la Commission et d’un expert indépendant nommé par le Conseil de l’Europe. »

Un passage rapide sur le site de la FRA permet de voir que son activité est aujourd’hui entièrement orientée sur l’antisémitisme, pourtant ce ne sont pas les violations des droits fondamentaux qui manquent. Mais il faut bien alimenter la bataille en cours : imposer à l’UE et à chacun de ses membres le vote de la définition de l’IHRA incluant des exemples d’antisionisme présentés comme antisémites. L’article-conte fait partie de cette opération de lobbying, il participe de la diffusion de la peur antisémite, moteur du vote des États, et si la France est ciblée, la raison en est fournie par le texte lui-même : première communauté juive d’Europe, 500.000 membres. Mais par exemple le Guardian a aussi diffusé cette peur, et ce message en Grande Bretagne où la bataille fait aussi rage : https://www.theguardian.com/news/2018/dec/10/britain-has-worst-record-for-antisemitism-in-europe-says-report.

Il s’agit pour ce lobby israélo-étasunien de faire feu de tout bois pour placer les « éléments de langage » nécessaires à la bataille en cours, et ils sont lâchés assez platement il faut le reconnaître, mais il fallait sans doute respecter la consigne : « Le mouvement des gilets jaunes attire des antisémites qui essaient d’insuffler des théories selon lesquelles les juifs, les sionistes sont les élites, les financiers… » ?

L’article s’appuie à la fois sur des mensonges en rafale (qui viendra les contester en Californie ? Et comme si en France les actes antisémites passaient inaperçus de nos jours…) et sur des déclarations du Dilcrah. Pas un mot pourtant sur les réels, et rares, incidents racistes recensés sur le terrain par des témoins et des médias, contre une femme voilée, contre les migrants. Hors sujet, même pour le Dilcrah ! Qui s’en étonnerait, cet organisme s’étant lui-même déjà distingué pour son orientation sioniste affirmée, et il faut bien le dire ses silences sur l’islamophobie et les autres formes de racisme.

Diffuser la peur de l’antisémitisme est équivalent dans ses effets, à l’antisémitisme lui-même. Et la solution est abondamment traitée en faisant apparaître les structures états-uniennes, européennes et israéliennes de ce sionisme imposé : l’aliyah, l’immigration vers Israël dont le bassin français reste une source majeure d’approvisionnement. Pourtant tous les articles récents publiés dans la presse israélienne révèlent l’arrêt ou le fort ralentissement de l’émigration des juifs de France vers Israël et même le retour en France de nombreuses familles.

Les ravages de ce lobbying et de cette littérature, sont incommensurables si une contre information sérieuse et argumentée n’est pas apportée rapidement et systématiquement. Les media susceptibles de réagir et motivés sont encore bien trop rares. Nous sommes loin du compte.