On pourrait traiter bien sûr plus longuement de ce que draine la question de la mobilité et la manière dont elle est vécue au quotidien, mais aussi comment elle s’inscrit depuis un certain temps comme une “liberté ” et même un mode de vie.
Mais ce qui nous nous questionne c’est que certaines gouttes de diesel soient à l’origine du “débordement” de cette cuve sociale car c’est un certain type de rapport à l’engagement tel qu’il peut être pensé et “organisé” dans les sphères dites “politiques” ou “militantes”qui est finalement interrogé.
Ainsi les tentatives de mobilisations sur la Loi Travail, l’attaque sur le régime des retraites qui s’annonce, ou la privatisation des transports publics ne semblent pas avoir eu la force symbolique de cette augmentation de taxe.
Face à cette “auto-organisation” (pour la spontanéité on ne sait quand elle commence) médiatisée par les réseaux sociaux et relayée complaisamment par les médias la première question qui s’impose nécessairement relève de la forme prise par ce ras-le bol.
On précise rapidement ici que cette “autonomie” (hors syndicats et partis) n’est pas plus un principe politique que le dirigisme. Ce qui manifestement déstabilise les plus fétichistes jusqu’aux léninistes comme les plus opportunistes-suivistes de l’anti-léninisme. N’oublions jamais que forme et fond sont liés et que l’oublier c’est faire des acteurs des luttes dans la plupart des cas des marionnettes. Ce qu’ils ne sont certainement pas.
La réussite qualitative des gilets jaunes de par les nombreux lieux de rendez-vous s’inspire quoi qu’on en dise d’un certain type de blocage de flux. Les blocages des ronds-points, des autoroutes ou des accès aux zones commerciales font étrangement écho aux places urbaines occupées par les NuitsdeBoutistes et aux échecs de ces derniers quant à la tentative de paralysie des grandes gares, et même de la fameuse “économie”.
Ce qui est flagrant, c’est que les gilets jaunes ont bloqué des lieux quotidiens et de transits qui sont finalement les leurs, ceux qu’ils empruntent tous les jours et plus précisément là où ils seraient eux-mêmes “emmerdés”.
Déterritorialiser où déplacer les “emmerdes” peut être vu comme une manière d’éviter un certain type de confrontation où ils pourraient être plus concrètement question du “pouvoir d’achat” plutôt que demander la baisse ou le gel des taxes par un appel régulateur à l’État.
C’est peut-être cela qu’il faudra questionner et analyser. Qui demande ? Et à qui et quoi ? Pourquoi évite-t-on la lutte directe avec les patrons ? Que nous disent ces luttes sur les moments de la conflictualité sur le lieu de travail ? Sur ce qui est possible ou plus dans le cœur historique de la reproduction du capital ?
Augmenter les salaires ou baisser les taxes ? La problématique n’est bien sûr pas la même.
Certains gilets jaunes en se rendant devant l’Élysée pour être “entendus” et “écoutés” ceci non sans une déconcertante facilité et tout en laissant d’ailleurs intactes les devantures du spectacle marchand nous incitent à penser qu’ils seront bientôt considérés comme de potentiels décroissants. Ceci même si la “lutte” contre les “taxes” devait être « victorieuse » car ce que l’État « donne » d’une main il le reprendra de fois plus d’une autre avec l’aide des patrons.
Le choix des terrains et la demande d’audience ou de reconnaissance des revendications en disent long sur ce qui se déploie, plus précisément sur cet appel direct à l’État et aux références constantes à la nation par le chant patriotique que l’on a pu voir entonner jusqu’au leader de la France Insoumise devant l’assemblée.
On serait tenté de conclure un peu facilement que le jaune va mal au teint du mouvement ouvrier et chaque fois qu’il a la jaunisse [1] cela se termine toujours par la “réalisation de la renaissance nationale” et “par la réconciliation des classes”.
Note

[1] Christophe Maillard, Un syndicalisme impossible ? L’aventure oubliée des Jaunes, Vendémiaire, 2016