Indépendance des Chercheurs

1. DES PROPOS INADMISSIBLES ET PAS ACCIDENTELS

L’obligation de réserve est une obligation de neutralité qui impose à tout fonctionnaire, et a fortiori à un haut responsable ou à un ministre, de ne pas s’exprimer à titre personnel en dehors de son service sur des questions pouvant relever de sa compétence. Il nous semble que les déclarations récentes de Monsieur Dutreil, particulièrement polémiques et agressives et formulées devant une fondation privée, comportent une grave violation du devoir de réserve et devraient rendre impossible le maintien de ce ministre dans ses fonctions.

D’après Charlie Hebdo du 27 octobre (article d’Emmanuelle Veil), voici des extraits des propos tenus par le Ministre Renaud Dutreil devant la très droitière Fondation Concorde sur le thème

« Comment insuffler le changement »

:

{« Les retraités de la fonction publique ne rendent plus de services à la nation. Ces gens-là sont inutiles, mais continuent de peser très lourdement. La pension d’un retraité, c’est presque 75% du coût d’un fonctionnaire présent. Il faudra résoudre ce problème. »

« A l’heure actuelle, nous sommes un peu méchants avec les fonctionnaires. Leur pouvoir d’achat a perdu 4,5% depuis 2000. »

« Comme tous les hommes politiques de droite, j’étais impressionné par l’adversaire. Mais je pense que nous surestimions considérablement cette force de résistance. Ce qui compte en France, c’est la psychologie, débloquer tous ces verrous psychologiques. »

« Le grand problème de l’État, c’est la rigidité de sa main-d’oeuvre. Pour faire passer un fonctionnaire du premier au deuxième étage de la place Beauvau, il faut un an. Non pas à cause de l’escalier }[rires dans la salle]

, mais des corps. Il y a 1400 corps. 900 corps vivants, 500 corps morts

[rires]{, comme par exemple l’administration des télécoms. Je vais les remplacer par cinq filières professionnelles qui permettront la mobilité des ressources humaines : éducation, administration générale, économie et finances, sécurité sanitaire et sociale. Si on ne fait pas ça, la réforme de l’État est impossible. Parce que les corps abritent des emplois inutiles. »

« C’est sur l’Éducation nationale que doit peser l’effort principal de réduction des effectifs de la fonction publique. Sur le 1,2 million de fonctionnaires de l’Éducation nationale, 800 000 sont des enseignants. Licencier dans les back office de l’Éducation nationale, c’est facile, on sait comment faire, avec Éric Woerth} [secrétaire d’État à la Réforme de l’État] {: on prend un cabinet de conseil et on change les process de travail, on supprime quelques missions. Mais pour les enseignants, c’est plus délicat. Il faudra faire un grand audit. »

« Le problème que nous avons en France, c’est que les gens sont contents des services publics. L’hôpital fonctionne bien, l’école fonctionne bien, la police fonctionne bien. Alors il faut tenir un discours, expliquer que nous sommes à deux doigts d’une crise majeure – c’est ce que fait très bien Michel Camdessus
– , mais sans paniquer les gens, car à ce moment-là, ils se recroquevillent comme des tortues. »}

(fin de citation)

Nous demandons donc très respectueusement que Monsieur Renaud Dutreil quitte le gouvernement de la France.

A noter que l’allusion peu aimable aux corps de fonctionnaires, faite par le « ministre de droite » Renaud Dutreil n’est guère différente du langage tenu par la « conseillère de gauche » de Lionel Jospin, Anne-Marie Leroy, dans « Cadres – CFDT », voir :

Un texte qui fait l’apologie du pouvoir des « chefs » et annonce déjà la casse de la fonction publique « grâce » à la LOLF (Loi Organique des Lois de Finances) du gouvernement Jospin. Ce qui montre bien qu’on ne gagnera pas beaucoup à remplacer la « droite » qui nous gouverne par la « gauche » qui nous a déjà gouverné.

2. NI RAFFARIN, NI JOSPIN : ABROGATION DE LA LOLF !

(LOLF = Loi Organique relative aux Lois de Finances, loi promulguée le 1er août 2001)

Les débats récents en rapport avec les posts d’Indymedia Paris demandant la démission de Renaud Dutreil :

soulèvent plusieurs questions intéressantes.

Une intervenante soutient, par exemple, que, contrairement à ce qu’affirme Charlie Hebdo, Dutreil ne s’est pas « laché ». Elle invoque, dans les archives de la XI législature, le dossier de la LOLF (Loi Organique relative aux Lois de Finances) pour mettre en évidence que tous les partis politiques présents, du PCF à DL, avaient applaudi cette loi dont on se sert de plus en plus contre les fonctionnaires :

C’est malheureusement exact, et d’autant plus grave que l’article d’Anne-Marie Leroy paru dans Cadres – CFDT d’octobre 2003 sur la Loi Organique Relative aux Lois de Finances (LOLF) :

s’intitule :

{{ » Une révolution peut en cacher une autre

La LOLF et la gestion de la Fonction Publique »}}

et commence d’emblée par :

« La loi organique du 1er août 2001 n’est pas une réforme budgétaire : c’est une révolution de la gestion publique dans son ensemble. »

C’est justement cette « révolution » que le monde politique avait « oublié » de nous exposer en 2001, que Dutreil poursuit à présent. Voir également :

L’intervenante invoque également l’article précité d’Anne-Marie Leroy, conseillère d’Etat et ancienne conseillère pour la Réforme de l’Etat et la Fonction Publique du Premier Ministre Lionel Jospin, pour exprimer l’avis que l’actuel ministre de la Fonction Publique n’aurait fait que dire haut et fort ce que l’ensemble des lobbies politiques « droite » et « gauche » confondues, des milieux financiers, des réseaux d’influence et de la technocratie de l’Etat pensent tout bas. Ce n’est pas impossible.

Et en quoi consiste cette « révolution » induite par la LOLF ? Anne-Marie Leroy écrit :

« Cette modification radicale, c’est celle qui fait porter la responsabilité des gestionnaires, non sur le respect de la règle et de la norme, mais sur l’obtention des résultats attendus de leur action… »

Et la conseillère de Jospin reconnaît qu’on a affaire, dans cette logique, à un processus qui ne fait que commencer car :

« facteur de motivation, mais aussi de tension, elle

[la LOLF]

va les conduire

[les « gestionnaires »]

à réclamer les moyens qui leur manquent encore pour obtenir ces résultats. »

Hallucinant, avec tout le respect dû à Mme. la Conseillère, de lire des appels à passer outre aux règles et aux normes comme si ça devait permettre d’améliorer la qualité du service. Et d’apprendre que des « tensions » sont à prévoir, comme si le cadre actuel de la Fonction Publique ne permettait pas d’ « obtenir des résultats », et qu’il faudrait semble-t-il un long processus de casse pour y parvenir…

Doit-on vraiment, dans un tel contexte qui date d’avant les élections de 2002, s’étonner des déclarations récentes de Monsieur Dutreil alors que la LOLF doit entrer pleinement en application en 2005-2006 ? Plusieurs intervenants s’inquiètent d’ailleurs du soutien que l’appareil d’état, toutes tendances et opinions confondues, apporte tacitement à ce genre de déclarations, ce dont témoigne leur impunité manifeste.

En tout état de cause, les propos tenus par le Ministre de la Fonction publique, Renaud Dutreil, pourtant énarque, normalien, Sciences Po, conseiller d’Etat et ancien Commissaire du Gouvernement à la Section du Contentieux… bref, une personnalité censée savoir très bien peser ses mots, ont suscité de vives réactions chez les fonctionnaires. Mais si dérapage il y a, il est toujours plus facile sur un terrain glissant. C’était peut-être le cas. Et est-ce une « spécificité » du gouvernement Raffarin ?

On aurait le plus grand mal à trouver une différence de fond entre les thèses défendues dans l’article d’Anne-Marie Leroy et celles du rapport du Conseiller d’Etat (président de la 4ème Sous-Section du Contentieux où siège également Anne-Marie Leroy) Jean-Ludovic Silicani adressé à Jean-Pierre Raffarin :

{{« La rémunération au mérite des directeurs d’administration centrale : mobiliser les directeurs pour conduire le changement : rapport au Premier ministre

Jean-Ludovic SILICANI, Frédéric LENICA

FRANCE. Premier ministre

Paris ;Premier ministre ;2004;44 pages ;30cm}}

Dans un premier temps le rapport examine les inadaptations du régime actuel de rémunération des directeurs d’administration centrale et présente des expériences de rémunération à la performance existant à l’étranger et dans le secteur public et privé concurrentiel en France. Puis le rapport énonce des recommandations afin de conduire une réforme de ce régime dans un bref délai et d’introduire la rémunération au mérite. »

Le rapport est téléchargeable à l’adresse :

Voir également :

Monsieur Jean-Ludovic Silicani a été, notamment, « directeur du cabinet de Simone Veil (ministre d’Etat, ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville) (1993), rapporteur général de la mission placée auprès du Premier ministre sur les responsabilités et l’organisation de l’Etat (1993-1994), commissaire à la réforme de l’Etat (1995-1998), conseiller d’Etat (depuis 1996), en fonction au conseil d’Etat depuis septembre 1998. ». Voir :

En réalité, tout le monde, à « droite » comme « à gauche », suit les principes définis par la LOLF. Mais quand est-ce que les fonctionnaires de base, les citoyens de base, les usagers des services publics… ont été consultés sur le contenu de la LOLF ? A notre connaissance, JAMAIS. Le contenu réel de cette loi est resté réservé à des cercles restreints. Mais il apparaît de plus en plus que la LOLF est en réalité, entre autres, une loi destinée à casser la fonction publique.

NOUS DEMANDONS DONC L’ABROGATION DE LA LOLF

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