Je suis l’en dehors ;
Celui qui vit à l’écart des préjugés de la foule,
Celui qui n’épouse ni les querelles ni les délires de la multitude.
Je suis l’homme qui se tient en garde contre les colères et les enthousiasmes des masses.
Je suis l’en dehors.

Je suis l’en dehors.
Les troupeaux humains suivent leurs bergers :
Ils se rangent sous des houlettes aux rubans multicolores.
A chaque troupeau sa couleur.
Je suis l’homme qui se tient à l’écart de ceux qui s’enrôlent sous des bannières ou des oriflammes.

Je suis l’en dehors :
Jusqu’ici les sociétés ont reposé sur l’Autorité :
Autorité de la force, du monopole, du privilège ;
Domination des majorités, de l’administration, du gouvernement ;
Toujours et sans cesse contrainte, obligation, violence, dictature.
Je suis l’homme qui se tient à l’écart de ceux qui veulent perpétuer les tyrans.

La foule ne m’aime pas ;
J’ai pour adversaires les gouvernés qui voudraient bien devenir des gouvernants,
Et les exploités qui meurent d’envie de devenir des exploiteurs.
J’ai pour ennemis les arrivés qui tiennent à leur situation,
Et les arrivistes qui convoitent la place des arrivés.
Les troupeaux et les bergers m’en veulent également
De me tenir à l’écart des uns et des autres.
Mais moi, l’en dehors, je ne m’en soucie guère.

Je vis ma vie, marchant droit devant moi, la tête dressée,
Sans demander à quiconque de me rendre compte de ses gestes,
Sans rendre compte des miens à qui que ce soit.
Je vis ma vie – et ce n’est pas tous les jours chose facile –
Cheminant de compagnie avec « les miens », les en dehors, mes pareils.
Lorsque les sentiers nous font défaut, nous en frayons de nouveaux,
A nos risques et périls,
Laissant la grande route aux maîtres et aux valets, aux troupeaux et aux bergers.

E. ARMAND