L’attaque du 27 octobre contre une synagogue de Pittsburgh est, avec 11 morts, l’attentat antisémite le plus meurtrier de l’histoire des Etats-Unis. De nombreuses voix se sont élevées depuis pour dénoncer le climat de haine entretenu par Donald Trump, surtout dans ses attaques obsessionnelles contre George Soros, un des plus solides soutiens financiers du parti démocrate. « Quand il dit Soros, c’est un code pour désigner les Juifs. Quand il dit ‘globalisme’ aussi. Par ses propos, il alimente les antisémites », affirme Joy Katz, écrivaine juive de Pittsburgh. Quant à Maurice Samuels, professeur à Yale, il accuse Trump de « répercuter (ou retweeter) de façon routinière les théories conspirationnistes d’extrême-droite, dont beaucoup concernent George Soros, qui offre un symbole bien pratique des Juifs contrôlant les marchés financiers, la politique et la presse. Une notion qui constitue le fond de commerce du discours antisémite depuis ‘Les Protocoles des Sages de Sion‘ ».

LA DENONCIATION OBSESSIONNELLE DE SOROS

Soros a de fait été le premier destinataire de colis piégés dans la vague qui a visé récemment aux Etats-Unis des personnalités identifiées au Parti démocrate. Il est la cible de violentes campagnes des médias acquis à Trump qui l’accusent d’encourager les flux de réfugiés vers les Etats-Unis. Le tueur de Pittsburgh associait d’ailleurs la communauté juive qu’il a visée et la menace des « envahisseurs » que seraient selon lui les réfugiés. Mais c’est pourtant dans le pays natal de Soros, la Hongrie, que les attaques les plus systématiques ont été lancées par le gouvernement du très populiste Viktor Orban, au pouvoir depuis 2010. A l’été 2017, des affiches géantes sont placardées dans tout le pays, avec, à côté de la photo du milliardaire américain, ce slogan: « 99% des Hongrois sont contre les immigrants. Ne laissons pas Soros rire le dernier ».

L’ambassadeur d’Israël à Budapest proteste contre une campagne qui « évoque non seulement de tristes souvenirs, mais sème la haine et la peur ». Il en faudrait plus pour dissuader Orban:  le 15 mars 2018, à l’occasion de la Fête nationale, il se déchaîne contre « le réseau des ONG financées par les spéculateurs internationaux, englobé et incarné dans la personne de George Soros ». Le Premier ministre hongrois dénonce ce « réseau international structuré en empire » qui oeuvrerait à remplacer par des immigrés la population de souche européenne. Il fustige « un adversaire qui est différent de nous. Il n’agit pas ouvertement, mais caché, il n’est pas droit, mais tortueux, il n’est pas national, mais international, il ne croit pas dans le travail, mais spécule avec l’argent, il n’a pas de patrie, parce qu’il croit que le monde entier est à lui ». En remportant les législatives du 8 avril avec 48,8% des voix pour son parti, Orban démontre qu’un discours aussi virulent est payant électoralement. Peu après, Open Society, la fondation animée par Soros, transfère à Berlin la gestion des programmes jusqu’alors assurée depuis Budapest.

L’HEURE DE VERITE POUR NETANYAHOU?

Nétanyahou se vante d’avoir été le premier dirigeant étranger à féliciter Orban de son récent triomphe électoral. Il avait auparavant désavoué les critiques de la campagne anti-Soros par son ambassadeur en Hongrie. Car le Premier ministre israélien accuse le philanthrope américain « de porter atteinte aux gouvernements israéliens démocratiquement élus en finançant des organisations qui diffament l’Etat juif ». Open society soutient en effet des organisations israéliennes de défense des droits de l’homme dont Nétanyahou veut brider l’action et la communication. Le chef du gouvernement israélien a également rendu Soros responsable, en avril dernier, de l’échec d’un accord de transfert des « infiltrés » africains en Israël vers le Rwanda (le terme « infiltrés » désigne officiellement en Israël les immigrants illégaux, majoritairement originaires d’Erythrée et du Soudan). Nétanyahou et Soros s’étaient de surcroît retrouvés, en politique américaine, dans des camps diamétralement opposés, celui-ci soutenant Obama contre McCain en 2008, puis Romney en 2012, celui-là savourant enfin sa revanche avec l’élection de Trump en 2016. Sur un plan anecdotique, Yair Netanyahou, le fils aîné du Premier ministre, avait suscité la polémique en Israël, en relayant en 2017, une caricature de Soros tenant le monde entier au bout d’une canne à pêche.

Le chef du gouvernement israélien a, à l’évidence, été choqué par la tuerie de Pittsburgh, perpétrée dans cette Pennsylvanie où il a lui-même passé une grande partie de son adolescence. Il a réagi avec émotion et sur-le-champ à ce drame, là où il avait mis trois longs jours à condamner, en août 2017, les débordements antisémites de Charlottesville.  Il avait aussi invité en mai 2018, pour le transfert de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem, des prêcheurs américains aux nombreux dérapages antisémites. Ce geste s’inscrit dans une stratégie d’alliance de la droite dure en Israël avec un courant évangélique aux accents messianiques, courant dont l’ascension politique suscite pourtant le trouble au sein de la diaspora juive. La décision du président Bolsonaro, à peine élu, de transférer l’ambassade du Brésil à Jérusalem ne peut que conforter Nétanyahou dans cette stratégie. Il est dès lors peu probable, même après Pittsburgh, que le Premier ministre israélien cesse de poursuivre Soros de sa vindicte et de miser, sur le continent américain comme en Europe, sur des populismes agressifs.