Lundi 23 juillet, 9h50. On s’est installés comme devant un match de la Coupe du monde pour regarder cette audition de « Gégé » Collomb devant la commission d’enquête. Officiellement, cette commission doit « faire la lumière sur les événements survenus à l’occasion de la manifestation du 1er mai 2018 ». C’est vague. En fait, ça tourne autour des faits de violences commis par Alexandre Benalla place de la Contrescarpe, à Paris.

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La présidente de la commission rappelle les règles de fonctionnement. Elle demande à Gégé de prêter le serment de dire « toute la vérité, rien que la vérité ». Gérard obéit.

Le député Gosselin veut se plaindre des conditions d’organisation matérielle, il aurait voulu que ça se passe dans une autre salle. Il se fait envoyer bouler, du coup le ton monte. Gosselin se fait couper le micro à plusieurs reprises. Gérard intervient pour relancer le jeu. Il a droit à dix minutes de « propos liminaires ».

Il est heureux d’être là. Et tient à réaffirmer qu’il « condamne avec la plus grande fermeté les actes de M. Benalla ». Pour lui, ça n’a rien à voir avec ce qu’il tente d’impulser au sein de son ministère. Toutes les victimes de violences policières depuis sa prise de poste doivent rire jaune.

Le spectre de l’ultra-gauche

Il revient sur le contexte du 1er mai, qualifiant l’université de Tolbiac de « base arrière de manifestants violents », faisant office de cache d’armes. La ZAD de Notre-Dame-des-Landes est également qualifiée d’arsenal. Heureusement qu’il parle sous serment. « Sur les réseaux sociaux, ces mouvements appelaient à ce que ce 1er mai devienne une journée en enfer pour les forces de l’ordre. Les tracts et affiches de l’ultra-gauche illustraient cette volonté avec l’image d’un policier en flamme ». Collomb ne parle pas de « cortège de tête » mais « d’avant cortège », et estime la taille du black block à 1200 personnes. Il retrace le début de la manif, « d’une brutalité inouïe ». Bref, on sent bien que cette démonstration vise à minimiser les violences commises par les flics et Benalla.

Pour Collomb, les groupes ayant commis des violences voulaient « poursuivre leurs exactions dans le Quartier Latin ». Il rappelle ensuite que des personnes peuvent assister aux opérations de maintien de l’ordre en qualité d’observateurs. « Mais il ne saurait évidemment être question que quiconque puisse prendre une part active aux opérations de police ». Or, on voit Benalla se livrer à des violences sur un homme à terre et une jeune femme. « C’est inadmissible ».

Collomb s’explique ensuite sur la manière dont il a eu connaissance de la vidéo montrant Benalla tapant sur des gens. Le 2 mai, il est allé se promener avec le préfet de la police sur les traces de la manif de la veille, notamment pour rassurer les commerçants : il suggère d’ailleurs à la commission d’auditionner ces commerçants pour avoir une idée de l’extrême violence de la manif… C’est n’importe quoi là, d’autant que les rares commerces attaqués ce jour-là sont situés à plus de 1,5 kilomètre de la Place de la Contrescarpe où ont eu lieu les violences commises par M. Benalla.

Plus tard dans la journée, après une bouffe dans un resto de la rue Lille, il est informé de l’existence de la vidéo montrant Benalla. Le préfet de police était déjà prévenu, ainsi que le cabinet du président de la République. Collomb a considéré que les faits signalés étaient pris en compte au niveau adapté, et ne s’est donc plus occupé du sujet. En fait, c’est parce qu’il était trop occupé : entre l’ultra gauche, les cheminots, les étudiants à évacuer de leurs facs occupées, Notre-Dame-des-Landes et la menace terroriste, il était sous l’eau le pauvre Gérard. S’il n’a pas saisi le procureur de la République, c’est parce qu’il estime qu’il lui appartenait pas de le faire : mais c’est pas une excuse ça. En fait, par les notes de ses services, il est quotidiennement informé d’infractions, mais il estime que les signalements doivent être faits « au plus près du terrain » et pas par le ministre.

All Cops Are Benalla 

Gégé veut que toute la lumière soit faite sur cette affaire, parce que les policiers ont été « affectés ». Ouin ouin c’est trop triste, ils n’ont plus le monopole du tabassage de manifestant-es. Marrant comme Collomb ne veut pas comprendre de quoi il est question : la violence de Benalla était tellement proche de celle exercée par les flics que personne n’a imaginé qu’il pouvait avoir une autre fonction. On rappelle aussi que trois flics haut gradés ont été suspendus pour avoir fourni des images de vidéosurveillance à Benalla après les révélations du Monde. Tellement irréprochables, nos forces de l’ordre <3

La présidente de la commission demande à Gégé s’il était informé en amont de la venue de Crase et Benalla sur le dispositif de maintien de l’ordre du 1er mai en qualité d’observateurs. Collomb ne répond pas directement. Il explique qu’il souhaiterait que les observateurs aient une tenue distincte des forces de l’ordre — on suggère des combinaisons intégrales roses. Il n’a constaté qu’à posteriori que ces observateurs étaient présents — et s’étaient ensuite incrusté dans la salle de commandement de la préf de police de Paris, où il était lui aussi présent… Normal, c’est difficile de se souvenir d’une quarantaine de personnes présentes dans le PC de commandement de la préf, dira-t-il.

Guillaume Larrivé, co-rapporteur de la commission d’enquête, annonce que Gégé aura certainement l’occasion de revenir devant la commission pour répondre à d’autres questions. Il demande ensuite à Gégé s’il a déjà rencontré Benalla. Collomb répond que oui, lors de services d’ordre. Et il croyait qu’il faisait partie des services de police… Il « ignorait sa qualité de conseiller du président de la République ». La dernière fois qu’il l’a « croisé », c’était « à l’occasion de la coupe du monde de football ». Soit une fenêtre d’un mois et demi, c’est vague… On sent que Gégé transpire un peu, il est vachement moins serein que quand il lisait son texte d’intro sur les méchants blacks blocs. Puis il assure qu’il ignorait les fonctions exercées par Benalla à la date du 1er mai.

Larrivé demande à Collomb si Benalla était autorisé à porter une arme. Collomb répond par une explication sur la différence entre réserve opérationnelle et réserve spécialisée de la gendarmerie (il indiquera plus tard que le grade de lieutenant-colonel aurait été donné à Benalla sur proposition du général Lizurey). Puis il explique que Benalla s’est vu refuser trois fois la délivrance d’une autorisation de port d’arme par le ministère de l’Intérieur, entre 2013 et juin 2017. Mais il a quand même obtenu cette autorisation directement par la préfecture de police, en octobre 2017. Magique : Collomb remet la responsabilité sur Delpuech, le préfet de police.

Collomb assure qu’il n’a « jamais évoqué » la situation de Benalla avec Macron, y compris depuis le 2 mai, date à laquelle il a eu connaissance des faits de violence reprochés à Benalla.

Larrivé embraye sur Vincent Crase. A son propos, le porte parole de la présidence de la République a indiqué qu’il était employé du parti LREM et mobilisé par le commandement militaire de la présidence. Il demande à Collomb s’il connaissait Crase. « J’ai pu croiser M. Crase, mais j’ai fait sa connaissance récemment, par la presse ».

« J’ignore qui vous êtes »

Après Larrivé, c’est aux groupes parlementaires de prendre la parole, à proportion de leur poids politique. C’est une députée LREM qui démarre. Elle veut replacer l’affaire dans son contexte… Pour donner de l’air à Collomb, elle revient sur « le climat de tension sur place » et sur l’ambiance de « guérilla urbaine ». Clairement, elle est en service commandé — ou bien elle n’a pas écouté le début. Bien sûr, Collomb refait sa tirade, parlant cette fois-ci de « bloc avant » à propos du cortège de tête.

La parole est donnée à Eric Ciotti. Qui demande si Collomb a rencontré le PR pendant le week-end qui vient de passer, et s’ils ont évoqué l’affaire Benalla. Il demande aussi si Collomb avait déjà eu connaissance de faits susceptibles d’être reprochés à Benalla depuis sa prise de fonction à l’Élysée — notamment l’intervention de Benalla contre un paparazzi à Marseille, auquel il avait notifié un placement en GAV en toute illégalité.

Collomb confirme qu’il a vu Macron ce week-end, mais indique qu’ils ont évoqué les faits « le moins possible ». Ça fait rire la salle. Le président de la République était surtout intéressé par la réforme de la constitution, apparemment. Gégé affirme ensuite qu’il n’a jamais entendu parler de problèmes concernant Benalla avant le 1er mai.

La parole est donnée à une députée du Modem. Qui demande à Gégé à quelle date il a saisi l’IGPN, et pourquoi il ne l’a pas saisie dès le 2 mai, date à laquelle il a été informé des faits de violences reprochés à Benalla. Elle demande aussi quand le ministre a été informé du port par Benalla des insignes distinctifs de la police (brassard, etc.).

Collomb répond une nouvelle fois qu’il ne s’est pas préoccupé de l’affaire, dans la mesure où la préfecture de police et la présidence de la République étaient informées des faits. On pourrait saluer sa capacité à déléguer, mais vu la manière dont il continue à gérer la métropole de Lyon depuis sa nomination au ministère, c’est pas très crédible.

Intervention du député UDI Lagarde. Qui s’étonne que les policiers ne soient pas intervenus alors qu’une personne extérieure à leur dispositif se livrait à des violences. Il demande aussi qui a fourni à Benalla un talkie-walkie et un brassard. Enfin, il demande si les flics étaient « débordés par la violence des manifestants » place de la Contrescarpe, ou s’ils « maitrisaient la situation ».

Collomb affirme qu’il ignore qui a invité Crase et Benalla sur le dispositif. D’après les notes de l’IGPN lues par Collomb, le matin du 1er mai, Benalla s’est vu remettre un casque, mais pas de brassard ou de talkie. Sur les violences place de la Contrescarpe, Collomb indique qu’il n’était pas présent, mais que « c’était relativement violent ». Des gens auraient utilisé du matériel urbain pour faire des barricades « ou bien s’en servaient contre la police ». Bon, en fait, c’était quand même plutôt calme ce soir-là dans le Quartier Latin. Mais Collomb indique que 31 personnes ont été interpellées, ce qui d’après lui « montre bien que c’était violent ». Incroyable lien de causalité.

Un député de la Nouvelle Gauche (lol c’est quoi ça ??) prend la parole. Il rappelle qu’une commission d’enquête sur le 1er mai avait été réclamée par certain-es député-es, mais qu’ils n’avaient pas obtenu satisfaction. Il demande quand un poste de radio a été transmis à Benalla le 1er mai, et réclame que la commission ait connaissance des échanges enregistrés sur les radios. Il veut aussi une copie du compte-rendu de la CRS 15 (probablement celle déployée dans le Quartier Latin le 1er mai).

Collomb insiste sur le fait que les débats ne portent que sur deux personnes (Crase et Benalla), et qu’il ne peut être question de service parallèle au sein de l’Élysée.

Intervention de Stéphane Peu, député « Gauche démocrate et républicaine ». On comprend pas trop pourquoi, il tente de faire passer la CGT pour une victime des événements du 1er mai. Il demande à Collomb qui, d’après lui, aurait dû dénoncer les violences commises par Benalla au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale (CPP). Il demande aussi si Benalla a participé à d’autres opérations de maintien de l’ordre depuis le 1er mai, et s’il a tenté de participer au commandement d’opérations de maintien de l’ordre.

Collomb répète que la seule fois où il a saisi le parquet sur la base de l’article 40, c’était pour une infraction au titre de la loi de 1881 sur la liberté de la presse ; mais comme il est un peu gâteux il parle de la loi de 1981. Et puis il fait la liste des infractions à la loi sur la liberté de la presse ayant donné lieu à des saisines du parquet.

Au tour d’Ugo Bernalicis, député France Insoumise. Qui donne lecture de l’article de l’article 40 du CPP. Il demande si Collomb a diligenté une enquête interne pour savoir comment Benalla avait eu accès à la salle de commandement du ministère de l’intérieur. Gégé répond que c’est l’objet de l’enquête de l’IGPN. Bernalicis demande si Collomb connait Mizerski, qui accompagnait Benalla sur le dispositif du 1er mai, et le rôle de celui-ci à la préfecture de police.

Collomb répond qu’il n’avait jamais entendu parler de Mizerski, qui s’occupe des manifestations et des troubles à l’ordre public. « Il existe quand même un certain nombre de policiers et de gendarmes, et je ne sais pas ce que fait chacun ». Suite à une autre question de Bernalicis, Collomb explique qu’un internaute avait signalé la vidéo de Benalla sur la plateforme de l’IGPN, mais que l’inspection n’avait pas estimé que les faits montrés justifiaient l’ouverture d’une enquête… Superbe.

La parole est donné au fasciste Collard. Qui demande à Collomb s’il connait la société de sécurité Byblos. Gégé répond que oui, parce qu’elle est basée à Lyon… Question de Collard : « Comment se fait-il que vous n’ayez pas su tout cela ? » (tout cela renvoyant à plein de trucs précédemment énumérés par Collard). Collomb répond qu’il se consacre d’abord au terrorisme et à Notre-Dame-des-Landes…

La présidente demande à Collomb comment il explique la non-intervention des forces de l’ordre face aux faits commis par Benalla. « Sans doute parce qu’elles mêmes étaient occupées à gérer d’autres incidents ». Ahah, incroyable. Les vidéos montrent que les CRS étaient plutôt désœuvrés, voire en soutien de Benalla. La présidente demande qui a informé le directeur de cabinet de Collomb : il répond que son dir’ cab’ s’informe sur Twitter. Puis précise : en fait, c’est le chargé de mission en charge des réseaux sociaux à l’Élysée qui aurait informé le chef de cabinet du ministre qui lui même aurait informé le dir’ cab’ de Collomb.

Larrivé souligne une incohérence dans les déclarations de Collomb concernant les conversations qu’il aurait eu avec Macron concernant Benalla. Collomb affirme qu’il n’a jamais discuté de M. Benalla avec Macron avant le 18 juillet.

Nouveau tour de parole. C’est un député LREM qui démarre, pour demander si des gens ont porté plainte suite aux violences commises par Benalla. Collomb répond que ces personnes ont « disparu » suite aux faits. Pour Collomb, le fait que ces personnes se soient récemment manifestées « permettra de connaître leur identité ». LOL. D’après la presse, elles ont fait l’objet d’un contrôle d’identité après leur interpellation. Collomb indique ensuite que les personnes en question auraient jeté des projectiles sur les flics.

En fait la défense de Collomb repose sur trois piliers : « Je ne sais pas » ; « IGPN » ; « Terrorisme ».

Gosselin fait observer que, suite au premier mai, Benalla n’a pas fait l’objet de sanctions disciplinaires mais de mesures conservatoires. Il demande si Collomb était informé qu’aucune sanction n’était prise. Gégé répond qu’il lui avait été assuré que la présidence tirerait « toutes les conséquences » des actes commis.

Un autre député demande si Benalla a participé à des réunions au ministère de l’Intérieur au cours des derniers mois. Collomb répond qu’il ne l’a jamais vu au ministère, mais qu’il a pu venir à son cabinet. En réponse à une autre question, Collomb affirme que ses services n’ont pas équipé la batmobile avec gyrophare intégré que conduisait Benalla.

Retour de Lagarde (qui prétend que les flics respectent la loi, c’est mignon) : pourquoi les flics ne sont-ils pas intervenus, et avec qui Benalla communiquait-il par radio ? Apparemment, la radio était branchée sur ACROPOL, la fréquence de la police. Collomb continue à prétendre que les flics étaient trop occupés pour réagir face aux violences de Benalla. Alors qu’il semble évident qu’ils l’ont pris pour l’un des leurs, vu la maîtrise avec laquelle il tapait sur une personne au sol.

Suite à une autre question, Collomb indique que Benalla, depuis le 9 juillet, est habilité à diriger une entreprise de sécurité privée. Les enquêtes de moralité n’ont pas fait obstacle à la délivrance de cet agrément. Y a pas de faille. Les députés commencent à s’agacer de ne pas obtenir de réponses. Faut dire que Collomb fait le tri.

Corbière interroge à nouveau Collomb sur le rôle de Mizerski, qui apparemment faisait le lien entre l’Élysée et la préf de police. Collomb répète qu’il n’avait jamais entendu parler de ce monsieur avant les révélations du monde. Gégé s’énerve un peu, faut bien comprendre qu’il croise beaucoup de monde.

La parole est à l’extrême-droite : Dupont-Aignan et Le Pen. Dupont-Aignan s’étonne que le directeur de cabinet de Gégé ne lui ait pas donné plus d’infos sur Benalla le 2 mai, et que Collomb puisse affirmer qu’il ne connaissait pas Benalla compte tenu de la proximité de Collomb avec Macron et de Benalla avec Macron. Réponse de Gégé : dans une campagne électorale, il y a des dizaines de gardes du corps, dont on ne sait pas s’ils sont policiers ou privés. Le Pen intervient, pour agiter la menace d’une cinquième colonne islamiste… C’est consternant.

Larrivé demande s’il existe un rapport écrit de la préfecture de police ou du ministère de l’interieur concernant les faits commis le 1er mai qui aurait été transmis à l’Élysée. Et ça repart sur une question concernant l’article 40. Gégé répond qu’il n’a pas connaissance de l’existence d’un tel rapport. Et répète pour la xième fois que c’est au supérieur hiérarchique direct d’actionner l’article 40 pour saisir le parquet. En fait Larrivé veut savoir si Gégé aurait saisi le parquet dans l’hypothèse où un policier sous sa responsabilité directe aurait commis des faits tels que ceux reprochés à Benalla. Mais Gégé ne répond pas, et la présidente met brutalement fin à l’audition du ministre, malgré les protestations des députés qui estiment qu’ils n’ont pas obtenu les réponses demandées.

Après cette audition consternante du ministre, on attend avec impatience que le reste de la bande y passe.