Cette brochure a été faite en particulier pour l’initiative de solidarité face aux opérations répressives de Scripta Manent et aux arrestations d’août 2017 à Florence, en Italie, qui a eu lieu à Montreuil le 6 avril 2018.

Il s’agit de traductions d’une sélection de quelques textes pour donner un aperçu de « l’opération Panico ». Bien sûr, elle est non-exhaustive et incomplète.

D’une part, d’un point de vue formel puisque les deux événements (l’engin explosif devant la librairie de Casapound et le jet de cocktails molotovs à la caserne des carabinieri en 2017), à l’origine des arrestations du 3 août 2017, ont été joints à « l’Opération Panico » qui avait débuté le 31 janvier 2017, avec l’expulsion du squat historique de Florence. Trente-cinq personnes avaient été mises en examen notamment pour « résistance et violence contre personne dépositaire de l’autorité publique », « port de matériel explosif », « dégradations », « vol aggravé ». Les faits incriminés à cette époque sont diverses actions collectives ou non, qui vont d’attaques nocturnes contre des locaux de Casapound ou de flics à des manifs sauvages ou encore un banquet antimilitariste, qui ont eu lieu entre janvier et avril 2016.

D’autre part les thématiques qui touchent à cette opération ne sont qu’effleurées, qu’il s’agisse des tactiques policières et juridiques de renseignement et de répression, de l’ADN en particulier puisque c’est l’une des premières opérations où il est utilisé dans le cadre d’une enquête contre des compagnons, la montée du fascisme et en particulier sous sa forme d’implantation locale comme celle déployée par Casapound depuis une dizaine d’années en Italie, ou plus généralement sur les questions liées à l’action directe contre ce monde, ses représentants et ses défenseurs.

À l’heure actuelle trois personnes se trouvent en détention provisoire et une est soumise à un contrôle judiciaire, pour l’engin qui a explosé dans la nuit du 31 décembre 2016 devant le librairie de Casapound « Il Bargello » où le flic-artificier avait perdu une main et un œil durant l’opération de déminage. Ils sont mis en examen notamment pour « tentative d’homicide » et « association de malfaiteurs », les procès débuteront les 4 et 12 juillet 2018 prochain.

Voici des extraits de cette brochure : deux lettres d’une personne incarcérée depuis août 2017 ainsi qu’un tract général sur la situation en Italie, écrit et distribué au printemps dernier, lorsque les élections (qui ont débouché sur l’extrême droite au pouvoir) battaient leur plein.

 

« J’ai été arrêté avec sept autres personnes dans l’énième opération de la Digos et des Ros. Ils ne manquent jamais d’imagination ces charognes (qui sait, peut-être leur manque-t-il au moins la santé) et quiconque a ne serait-ce que feuilleté le dossier sait bien à quel point il s’agit d’un montage policier cette fois encore. Il faut quand même dire que, bien que le dossier semble être un roman policier (même plutôt assez mauvais), ils citent trois faits qui eux, ont peu à voir avec l’imagination : les cocktails molotovs qui ont volé sur la caserne de Rovezzano des carabinieri en avril, « l’engin » qui a explosé à la librairie de Casapound « Il Bargello », où un artificier spécialisé de la police scientifique a perdu un œil et une main, enfin que toutes les personnes arrêtées sont anarchistes. Au jour d’aujourd’hui il reste en prison seulement moi et Paska. Une des choses qui m’a frappé dans le dossier, mais pas étonné, se trouve entre les lignes de la motivation de la validation de mon arrestation : … Le comportement général du suspect et le fait qu’il continue à fréquenter les milieux anarchistes. Personnellement, en vivant ma tension anarchiste, j’ai toujours pris en compte une possible incarcération ; et maintenant sans aucune victimisation m’y voici !
Que dire… la lutte continue dans n’importe quel genre de prison… Pour l’anarchie.

Salut, Ghespe,
Notre passion pour la liberté est plus forte que n’importe quelle cellule.
20 août 2017. »

« Salut les gens,

Je suis dans la 5e section depuis le premier jour de mon incarcération, sans être passé par les nouveaux-arrivants. Je commence à m’acclimater et à connaître le reste des détenus. Au début c’était un peu plus mouvementé, avec du bordel tous les jours même si c’était davantage entre détenus (sic !). Le plateau est immangeable trois fois sur quatre et le dimanche il n’y a rien au dîner, donc ceux qui ne peuvent pas cantiner…

En cellule je suis avec un kurde (nous sommes cinquante-cinq dans la section) et on s’entend assez bien. Il y a environ dix jours ils ont perquisitionné la cellule, l’habituelle perquisition mensuelle, mais qui cette fois-ci n’avait rien d’habituel. Plutôt que de fouiller toute la section (dix-neuf cellules), ils n’ont fait que de la cellule 5 (la nôtre) à la 8. Ils nous ont tous emmenés en promenade et nous y sommes restés une demie-heure. En retournant en cellule je suis resté un peu étonné de leur audace, les trois autres cellules ils les avaient, comme toujours, complètement retournées… Dans la nôtre, ils n’ont pas touché une aiguille. Ils ont tout laissé comme c’était, ils ont saisi des poids faits avec des bouteilles et la poubelle (que j’avais laissée vide depuis le soir précédent… Et ils ne m’ont pas laissé vérifier). La présence d’un gradé de la MOF [1] était également singulière, c’est le groupe des détenus « ouvriers » qui s’occupe, sous l’observation constante des matons, de la manutention de la prison. Personne en section n’avait jamais vu de gradé de la MOF pendant une perquisition et quelqu’un a entendu l’inspecteur dire : « va directement dans la cellule 5 ». Va beh ! Cette cellule est ce qu’elle est, un bon point : elle a une sorte de petit balcon (qui a permis à de nombreux détenus de mettre le feu à la cellule tout en préservant un minimum sa propre intégrité. Quatre ou cinq fois depuis que je suis « hôte involontaire »… jamais ici dans cette section). Le rapport avec les matons est une indifférence réciproque, à part avec les ¾ d’entre eux, avec qui ça a été l’ « ammour » depuis les premiers moments. Régime à portes fermées, c’est-à-dire que tu ne sors que pour la promenade, deux heures le matin et deux heures au déjeuner et pour aller dans une autre cellule à l’heure de la socialità [2].

L’enquête parle d’elle-même, avec une méthodologie vieille comme le monde, avec tous les aspects fantaisistes et/ou paradoxaux. Maintenant en partant du présupposé que les catégories innocent/coupable, de ceux qui ont uniquement à cœur le fait de préserver ce système, je leur pisse dessus (épargnez-vous/moi les blagues directes), je veux encore moins analyser l’histoire en « termes juridiques », que je méprise. Bien que leur « typique corruption du langage » soit évidente, et je dirais aussi fonctionnellement assez escomptée, j’admets que leur veine « orwellienne » me frappe toujours autant. Comme lorsqu’ils parlent d’ « association de malfaiteurs ayant comme finalité d’imposer leur propre idéologie par la violence » avec autant de chefs et de moutons. Bah… Et tout ceci, dit par ceux-là mêmes qui, comme but et comme principe, imposent chaque jour leur propre système social à tous les individus, avec la violence de flics et de militaires, de tribunaux et de prisons en tout genre, avec tous les aspects, les infrastructures et systèmes de contrôle, gérés et rendus possibles grâce à des individus/automates et de manière profondément capillaire dans ce cancer qu’on appelle « société civile » et à laquelle ils veulent nous contraindre. Là où tout ce qui va au-delà de la simple indignation est considéré comme un ignoble geste à punir et non comme dignité. Ceux qui me connaissent savent qu’un paradoxe aussi grand pourrait même me faire sourire, plus que m’énerver, si ce n’est que Paska est en taule justement pour cela ! Vers lui se dirige mon étreinte chaleureuse et fraternelle, en espérant que ma lettre arrive en retard par rapport à sa libération ! Une forte étreinte aussi à toi Greg !

Une pensée aussi pour les anarchistes récemment incarcéré-e-s à Turin, et aux anarchistes emprisonné-e-s pour « Scripta Manent » et à tous les individus qui mettent en jeu leur propre vie, chacun-e avec ses propres pratiques, selon leurs propres tensions… Pour l’Anarchie !

La taule est l’expression maximale de la répression dans la société-prison, en tant que telle, j’essaie de la comprendre le plus possible, en essayant et en espérant de contribuer à la détruire.

Ghespe.
le 20 septembre 2017

P.S. : pour le GUAP : Notre passion pour les chœurs ultrà et plus forte que n’importe quel sérieux ! »

 

 

FACE À FACE AVEC LE FASCISME.

« Je ne suis pas raciste, mais il y en a trop » ; « Je suis pas contre l’immigration, il faudrait seulement plus de contrôle : ceux-là, ils viennent ici pour faire les criminels » ; « Déjà notre État n’arrive pas à subvenir à nos besoins à nous italiens, il n’y a pas de travail… comment fait-on pour en accueillir d’autres ? »

Combien de fois encore serons nous contraints d’écouter ces odieux mensonges, ces arguments stupides et inconsistants qui sortent toujours plus de la bouche de personnes qui (des fois) s’obstinent à se définir antiracistes !

Les italiens ont un problème évident de mémoire à court terme. Ils regardent avec sympathie ou indifférence le réveil du fascisme, la prolifération de symboles ou de programmes politiques qui dépoussièrent ou invoquent les temps du défunt Duce, des agressions ciblées de gangs contre des migrants, des roms ou des Sdf, aux marches sur Rome (et pas seulement) à l’occasion de l’anniversaire de la mort de leurs camarades.

Comme si le 20e siècle n’avait pas été une tragédie humaine, politique et sociale qui a concerné la totalité du pays et le monde entier, comme si ce n’était pas un régime totalitaire qui a nié chacune des libertés individuelles, comme si les visées expansionnistes n’avaient pas été payées au prix de milliers de corps trucidés dans la boucherie de la seconde guerre mondiale.

Le fascisme n’a jamais été vaincu : la racine s’est conservée, il a résisté à la Résistance, il a évolué et s’est adapté aux temps nouveaux. En période critique de défense immunitaire basse, il redevient contagieux. À Florence comme à Macerata, les fascistes ont déjà commencé à tirer sur la mauvaise couleur de peau, tout comme il n’y a pas si longtemps ils mettaient des bombes sur les trains, dans les banques et dans les gares, en tuant dans le tas.

La réaction institutionnelle, de moins en moins intéressée à maintenir une façade antifasciste, se contente de déblatérer sur l’introduction d’un « registre antifasciste », une sorte de contrat que les forces politiques devraient signer pour que leurs propres apparitions publiques soient convenables.

En même temps, les locaux fascistes se multiplient sur tout le territoire national, leurs banquets électoraux poussent comme des champignons et leurs manifestations infestent les villes en étalant des croix celtiques et des saluts fascistes. Ceux qui ont conservé un minimum de mémoire historique ne peuvent pas ne pas remarquer les similitudes avec la propagande et le modus operandi du début du fascisme, revu à la sauce moderne. Le sincère antifasciste reste là, à regarder, en réservant, au maximum, son indignation occasionnelle à ses amis virtuels ; après peut-être même qu’il vote Lega…

« D’ailleurs, effectivement, ces immigrés… »

Victimes d’une fulminante amnésie collective, les habitants de la péninsule se redécouvrent fiers d’être italiens, supérieurs culturellement et économiquement par rapport aux meutes de désespérés qui débarquent sur les côtes et essaient de survivre. Personne ne semble plus se rappeler les temps où c’étaient nos aïeux qui débarquaient sur les côtes des autres, fuyant la misère et la persécution en se débrouillant pour aller vivre dans des pays plus « riches », où souvent, ils étaient mis à la marge et discriminés, exploités encore plus que dans le pays d’origine et accusés d’avoir exporté des formes de criminalité organisée. Personne ne semble se rendre compte du fait que les migrations de masse sont provoquées par les guerres néo-coloniales faites par l’Italie et ses alliés, par les bombes larguées sur leurs maisons et par le pillage de leurs ressources. Personne ne semble être gêné de ce sentiment d’hypocrisie par rapport au fait que cela est bien pratique, pour l’économie italienne, d’exploiter la main d’œuvre de maçons, d’ouvriers agricoles, d’aide à domicile, de prostituées, de dealers etc. qui permettent à l’italien de payer à un prix concurrentiel pour ses entreprises et ses caprices alors qu’il s’unit aux chœurs de ceux qui voudraient les « renvoyer chez eux ».

Non, c’est trop facile d’oublier les camps d’hier pour éviter d’admettre qu’ils sont identiques aux camps d’aujourd’hui, (de véritables décharges pour migrants en Italie – les Cpr – et en Libye ) , c’est trop facile d’oublier ce qu’a été le fascisme pour se laisser bercer par les mots d’ordre qui proposent des solutions simples et un ennemi commun à combattre. C’est trop facile de faire semblant de ne pas savoir que le silence est complice, et que l’indifférence au racisme institutionnel alimente l’instauration d’un régime plus totalitaire auquel nous devrons faire face demain.

En décembre 2011, Casapound se dissociait de Casseri, en le décrivant comme un fou lambda, « en oubliant » que leur camarade était considéré, jusqu’au jour d’avant la fusillade comme un idéologue par ses propres camarades, en plus d’être un militant assidu de leur local de Pistoia.

Aujourd’hui, en revanche, Forza Nuova et Lega Nord promettent de payer les frais de justice pour le camarade à la gâchette facile Traini, en lui assurant un soutien et une couverture politicienne-institutionnelle, pendant que les journaux vomissent l’image d’une femme coupée en morceaux à coté de la photo d’un noir ou bien nous abrutissent de statistiques sur la criminalité des étrangers, légitimant de fait un racisme toujours plus assassin. Ceci, pendant que les associations « partisanes » et les politiques de gauche révèlent leur silencieuse servitude en renonçant à manifester en vertu de la demande de « tranquillité citoyenne » du maire de Macerata, alors que les fascistes défilent imperturbés dans le centre-ville en revendiquant « le sens » et la motivation politique et émotive de l’action xénophobe.

Même pas un mois plus tard à Florence, la propagande électorale et médiatique a armé la main d’un raciste lambda, qui a décidé de « suicider » le premier noir qu’il a eu à bout portant, Idy Diene. Toujours à Florence un compagnon à nous Ghespe est enfermé à Sollicciano depuis plus de six mois avec l’accusation d’avoir essayé de faire sauter la vitrine de la librairie fasciste de Casapound « Il bargello » dans la rue Leonardo Da Vinci la nuit du nouvel an 2017 (fait qui a eu un écho davantage à cause de l’imprudence de l’artificier qui s’est blessé en essayant de désamorcer l’engin sans protection). D’autres compagnons ont subi des contrôles judiciaires et auront un procès avec, entre autre, l’accusation d’avoir attaqué l’ancien local fasciste de Viale D’Annunzio avec des bâtons et des briques, et pour un autre engin explosif devant la même librairie le mois suivant. Peu nous importe de savoir s’ils sont coupables ou innocents, qui que ce soit, ils ont simplement mis en pratique un antifascisme qui ne s’arrête pas à des déclarations d’intentions, et qui ne se contentent pas de la saveur hypocrite de l’antifascisme institutionnel, en agissant par soi-même pour contribuer à extirper cette maladie qu’est le fascisme, en frappant les locaux ici et maintenant.

Qui que se soit, il n’est pas resté là, à regarder.

Toute notre solidarité va à ceux qui ont subi ou qui subissent la vengeance d’un État intéressé à maintenir vives les valeurs jamais éradiquées du fascisme. Toute notre complicité va à ceux qui décident d’agir, sans délégation et sans médiation contre tous les fascismes et pour réaliser un monde qui n’ait plus besoin de prisons, de frontières et d’autorité.

« Aucun gouvernement ne combat le fascisme pour le détruire, quand la bourgeoisie voit que le pouvoir lui glisse d’entre les mains, elle demande de l’aide au fascisme pour maintenir ses privilèges. » 

Buenaventura Durruti

Des anarchistes
Tract distribué à Florence en mars 2018.

 

 

Pour écrire aux compagnons incarcérés :

  • SALVATORE VESPERTINO (Ghespe)
  • GIOVANNI GHEZZI (Giova)
    C.C. Sollicciano 
    via Minervini 2r, 
    50142 Firenze
    ITALIE
  • PIERLORETO FALLANCA (Paska)
    C. C. Castrogno, 
    C. da ceppata 1
    64100 Teramo
    ITALIE