ELOGE DU PAS SOLIDAIRE

Nous sommes à Nantes, premier lieu de la traite négrière en France, d’où partaient les bateaux négriers, déportant des innocent·es condamné·es à une mort physique, psychique et spirituelle. Nous sommes à Nantes, deuxième ville refuge après Paris, où se poursuit une longue route déjà marquée par les frontières assassines, qu’elles soient naturelles – désert, mer et montagne – ou politiques.

Cette tragédie migratoire, en tout pays, aurait dû voir s’élever les solidarités, genre Manu alias Jupiter Ier qui par le biais de Nicole Klein réquisitionne les milliers de bâtiments vides nantais. Maudits soient les responsables des politiques de gestion racistes qui se traduisent par de nombreuses formes d’exclusion et notamment par des expulsions régulières de lieux habités : Lieu Unique, Radisson Noir, rue des stocks, Elin, presbytère de Doulon… Et cette année ? Cinq grands lieux : l’ancienne école des Beaux Arts, la faculté, l’ancien EHPAD Brea, Cap 44, l’institut de la Persagotière. Celleux qui choisissent de dépenser 7 millions d’euros pour un travail mémoriel de façade auraient pu pérenniser des lieux de répit.

Au lieu de quoi la ville a préféré laisser s’installer un camp de fortune, celui de la precarité donc de la marge, dans laquelle sont éternellement plongés certains individus. Pourquoi continuer à ignorer l’anormalité de ce désastre ?

La ligne verte du voyage à Nantes, en cette nuit du 29 juin, a elle aussi fait un pas de côté, détournée par des personnes célébrant « l’éloge de la transgression », des délinquantes solidaires avec toutes les victimes du racisme et de la répression, de Cédric Herrou à la famille d’Adama Traoré. La ligne verte a donc changé sa route juste après le point 44 – une « Micr’Home » à 119e la nuit – pour se rendre au campement situé square Daviais, renommé à l’occasion Migr’Home.

Tandis que toutes les attentions se concentrent sur cet évènement culturel qu’est le Voyage à Nantes, que les portes-monnaie publics s’ouvrent pour le financer, des femmes enceintes, des personnes malades, des enfants, des hommes sont privé·es de droits essentiels (les robinets d’eau ont même été coupés plusieurs jours). Puisqu’il est question de pas de côté, décalons notre regard de ce qu’ils veulent qu’on voit vers ce qu’il faut qu’on voit. En 1940, Un nantais nommé Jean Baptiste Daviais, hébergeur solidaire, squatte une maison vide afin d’héberger jusqu’à quatre vingts réfugiés. La préfète et la maire devraient, elles aussi, marcher dans ses pas pour remettre la situation à l’endroit.

Si certain·es citoyen·nes regardent de travers la presence de ces naufragé·es, interpellant sur une prétendue invasion, d’autres regardent à distance le naufrage couvert par les pouvoirs publics… Tandis que d’autres encore choisissent d’agir et de réagir.

Quoiqu’il en soit, les pas solidaires se multiplient pour rétablir l’équilibre. Dans cette société qui parait tendre vers l’individualisme, nous sommes de plus en plus nombreux·euses à investir les interstices. Ne doutons pas de notre force collective, car c’est l’évidence qui nous anime. Comme dirait Angela Davis, emprisonnée pour son engagement, considérée à l’époque comme une dangereuse militante féministe et antiraciste, et à qui Johanna Rolland remettait une medaille à Nantes : « Aucun être humain n’est illégal. Si l’esclavage a été un crime contre l’humanité, la façon dont on traite les immigrants aujourd’hui est un crime contre l’humanité.

Merci d’en prendre bonne note !

Le Naufrage à Nantes, festival off du voyage à Nantes.