Il y a 136 ans que le peuple de Paris, prenant conscience de sa force, s’élançait à l’assaut de la prison d’état. Ils étaient une poignée qui partirent du fond des faubourgs, de tous les coins de Paris où la misère la plus affreuse asservissait les hommes à la domination d’un roi. Ils étaient une poignée de va-nu-pieds et de ventre-creux mais ils avaient du courage au cœur, ils sentaient l’inique injustice de leur régime et sans crainte ils voulaient l’abattre.

De jour en jour la colère du peuple montait. Ce n’étaient plus quelques-uns, mais des centaines et des milliers d’hommes et de femmes qui descendaient dans la rue en réclamant du pain et des armes. Les hautes tours de la Bastille symbolisaient le despotisme royal ; derrière ses murs les prisonniers d’Etat agonisaient parce que c’était la volonté du roi.

Ils ont pris la Bastille, ils ont tranché la tète de leur maître, ils ont applaudi chaudement tous ceux qui parlaient de liberté, d’égalité et de fraternité, puis ils crurent consacrer leurs conquêtes en publiant solennellement la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Un siècle a passé. Les régimes se sont succédé, d’autres révolutions ont tenté de réaliser les principes mis en lumière par ceux de 1789. Aujourd’hui, rien n’est changé.

Ce peuple en est encore à réclamer son droit à la vie ; la misère et l’ignorance entretenues soigneusement par une classe de privilégiés ont créé une nouvelle forme d’esclavage. La propriété, reconnue par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen comme un droit imprescriptible et inviolable, a rétabli la puissance des seigneurs.

Plus que jamais l’individu est brimé et spolié. La loi criminelle et imbécile qui régit la société républicaine consacre le droit du plus fort à imposer sa puissance. Ils ont démoli la Bastille et ils ont construit la Santé. Les geôles républicaines ne sont pas moins remplies que les prisons de la royauté ; le patriotisme guerrier est devenu la religion d’état. Quiconque ne l’acceptera pas sera puni avec toutes les rigueurs de la loi ; quiconque parle ou écrit librement sera châtié. La répression la plus honteuse et la plus abominable traque et emprisonne les hommes libres.

Le peuple ne voit pas et ne comprend pas. Il ne voit pas parce que ceux-là même qui le conduisent ont l’audace et l’impudence de se réclamer de la « liberté » et de l’« égalité ». Allons donc, messieurs les bourgeois, qui pouvez-vous encore tromper ? Vos projets de domination et vos sentiments de caste éclatent dans tous vos gestes. Les mensonges hypocrites dont vous entourez vos superbes discours ne suffisent plus à calmer l’opinion du peuple qui sent l’heure venue de sa véritable émancipation. Ce peuple bafoué, exploité sans vergogne par votre régime de honte et votre gouvernement d’assassins, veut jouir du produit de son effort. Nous et les nôtres avons subi votre répression, nous avons déjà vu les portes de vos prisons se refermer sur nous qui voulions être libres.

Nous retournerons peut-être vers les prisons mais avec nos amis, avec tous ceux qui s’insurgent contre votre société et le ramassis de canailles et de crapules qui la dirige.

Nous irons tous avec le peuple pour y mettre le feu et les détruire. Que le 14 juillet 1925 soit l’aube de cet acte de justice et de libération !

BENOIT PERRIER
L’Insurgé N°10, samedi 11 juillet 1925.