T’as pas une cop ?

Après l’abandon de l’aéroport, comme nous en discutions depuis des années en prévision de cette possibilité, une tentative de négociation avec l’État pour obtenir la gestion collective des terres a été amorcée. Une délégation issue de l’AG des usages, composée de membres des différentes composantes, a été mise en place. La Préfète a d’abord indiqué qu’elle se poserait en tant qu’arbitre dans des négociations entre cette délégation et le comité de pilotage1. Ce dernier étant une instance traitant uniquement des enjeux agricoles de la ZAD, nous ne voulions pas laisser de côté de nombreuses autres problématiques relatives à ce territoire : l’habitat, les questions naturalistes, la diversité des usages… Il fut donc hors de question de prendre place à sa table, d’autant plus que seule une partie des composantes du mouvement anti-aéroport y était conviée aux côtés de à la Chambre d’agriculture, la FNSEA et consorts. Nous ne connaissons que trop bien leurs positions sur les questions foncières et leurs conséquences pour imaginer parler avec eux de l’avenir dans le bocage. Notre seul interlocuteur devant être la Préfecture, nous avons donc obtenu un cadre bilatéral de négociation.

Ce cadre ainsi posé, la volonté du mouvement a d’abord été d’arracher une seule convention d’occupation précaire (COP) collective pour l’ensemble des habitats et terres occupées. Le gouvernement opposa que la seule option, sans alternative possible, était la signature de COP individuelles. Chacun refusa la proposition de l’autre, laissant place le 9 avril à la plus grande opération militaire de maintien de l’ordre en métropole depuis cinquante ans. Dans un contexte d’avancée rapide des forces de l’ordre, et bien que celles-ci se soient heurtées à la détermination générale sur le terrain, il a semblé à certain.e.s d’entre nous, comme c’était le cas depuis le début de cette lutte, que la défense de la zad ne pouvait pas être pensée uniquement sur le plan de l’affrontement direct. Chacun.e cherchant à trouver un moyen de sortir du rapport frontal, le gouvernement, par l’intermédiaire de la Préfecture, a brandi une nouvelle carte : « les formulaires individuels simplifiés » pour les activités ayant cours sur la ZAD. Nous avons décidé d’étudier cette possibilité, non pas parce que, soudainement, une régularisation individuelle soit devenue ce vers quoi nous inclinions ensemble politiquement, mais parce que dans ce contexte là, il nous a semblé dangereux de refuser cette proposition et de s’enterrer dans un conflit que nous n’étions pas en mesure de gagner militairement au vue du dispositif déployé. Nous avons choisi à la fois d’exploiter collectivement les brèches de cette proposition et de gagner du temps pour contrecarrer les vues du gouvernement. Nous avons alors tenté en quelques jours de déplacer le cadre qui voulait restreindre la vie sur la ZAD à des « projets agricoles individuels » en déposant un dossier collectif.

La Préfète s’imaginait sans doute que seules cinq ou six personnes ayant déjà des activités agricoles « viables » s’engageraient dans ce processus. Mais les fonctionnaires de la DDTM (Direction Départementale des Territoires et de la Mer) ont dû s’arracher les cheveux face à une quarantaine de fiches, incluant des projets artisanaux, culturels ou autre, où chaque activité, chaque parcelle, était entremêlée aux autres, à l’image de tout ce que nous partageons et avons construit depuis des années.

Plusieurs rendez-vous entre la Préfecture, la DDTM et la délégation intercomposantes ont ensuite eu lieu. Nous y avons appris que les projets non-agricoles ne seraient pas traités, n’étant pas du ressort de la DDTM et surtout ne correspondant pas à la priorité des institutions, focalisées sur la question agricole.

Concernant les projets agricoles (et donc une grande partie des terres occupées à l’exception des zones boisées), les services de la DDTM, après avoir démêlé les superpositions d’usages sur les parcelles et les interdépendances, ont décidé de les classer en trois catégories : ceux qui étaient immédiatement éligibles à une COP, ceux sur des terres conflictuelles, et ceux ne rentrant pas encore dans leurs critères d’éligibilité. La préfecture poursuivant son refus de signer une COP globale unique couvrant l’ensemble de ces projets, nous avons alors bataillé pour qu’un maximum soient éligibles à la signature d’une COP dès le COPIL du 14 mai (initialement prévu le 6 juin).

La DDTM a indiqué qu’il était nécessaire pour elle de rencontrer individuellement chaque porteur/euse de projet avant cette date. Afin de maintenir l’avancée collective et de ne pas laisser à la Préfecture la possibilité d’exercer des pressions individuelles à la signature des COP, la délégation commune a exigé que ces rencontres se fassent par groupes, et en présence de ses membres. Le 8 mai, une journée de préparation commune a été organisée, où les différentes personnes amenées à présenter les activités, regroupées par îlots géographiques2, se sont coordonnées et entraînées à se défendre collectivement face à des bureaucrates factices. Le 9 mai, une cinquantaine de personnes, renforcées par l’exercice collectif de la veille, ont pris leurs quartiers au pied de la sinistre tour de la DDTM, installant tables, bancs, jeux d’extérieur et dégustant galettes de blé noir sur des airs d’accordéon. Réunis par îlots et accompagnés de paysans-parrains et membres de la délégation, ensemble, les représentant.e.s de chaque projet sont allé.e.s rencontrer deux bureaucrates de la Préfecture et de la DDTM, arborant tout.te.s un maillot réalisé par l’atelier de sérigraphie du Haut-Fay, sur lequel on pouvait lire : « La zad la joue collective ». Au fil de la journée, plusieurs projets jusqu’alors non éligibles à une COP, le sont devenus grâce à nos équipes prêtes à la joute verbale. Le soir même lors d’un Comité Professionnel3, puis le 14 mai devant le COPIL, la DDTM a présenté notre dossier. Il a suscité la colère des organisations agricoles et élu.e.s arguant que l’État nous facilitait les procédures officielles d’installation agricole.

Finalement, quinze projets ont été retenus. Quatre ont été déclarés non éligibles à la COP car se situant sur des terres dites « conflictuelles » : celui près de la Noë Verte, les deux projets sur la ferme de Saint-Jean-du-Tertre et un projet à la Wardine. Les parcelles jugées conflictuelles par la DDTM sont celles que nous occupons et cultivons mais pour lesquelles des agriculteurs « cumulards » ont déjà des COP en cours jusqu’en décembre. Ceux- ci sont les exploitants ayant cédé leurs terres à AGO VINCI et donc encaissé les indemnisations tout en continuant à cultiver et/ou toucher les aides PAC sur les terrains mis à leur disposition par le biais de COP annuelles. À plusieurs reprises, dans le cadre de la lutte contre l’aéroport, nous avons décidé d’occuper et cultiver une partie de ces terres pour permettre l’installation de nouvelles activités. A ce jour la Préfecture refuse de se mouiller en tranchant entre les deux visions agricoles qui s’opposent, optant pour un traitement au cas par cas, à l’amiable. Les projets situés sur ces terres ne peuvent donc pas avoir de COP pour le moment, leur situation sera revue à l’automne. Deux autres projets ont été écartés sous le prétexte qu’ils n’ont pas encore d’existence matérielle : le projet d’héliciculture (les escargots) sur les terres de la Grée et la ferme auberge à la Sécherie. La semaine dernière, en réponse, nous avons lancé des chantiers pour mettre en œuvre ces projets collectivement, dans le but de les rendre éligibles à une COP au plus vite.

Le bureau d’autodéfense administrative, ou comment continuer ensemble

Ainsi, celles et ceux qui étaient présenté.e.s encore hier comme de dangereux guérilleros à éradiquer ont eu accès à une partie du foncier de la ZAD par une procédure exceptionnelle, bien que dans un cadre qui reste très fragile. Mais il ne faudrait pas s’imaginer que ceux et celles qui aujourd’hui signent des COP s’assurent ainsi un avenir personnel, comme on a pu le lire dans certains médias, ou même dans des textes venant de personnes qui soutiennent depuis des années ce qui se passe sur la ZAD.

La défense administrative a été pensée dès le début comme une bataille collective. Les conventions signées par ces quinze « projets » couvrent environ 170 hectares sur lesquels cabanes, maisons et espaces communs restants, support matériel à nos diverses luttes, prennent place. La quasi-totalité des habitats de la ZAD sont concernés à l’exception de ceux ayant fait le choix de ne pas être couverts par cette stratégie, et qui ont été visés par la dernière opération d’expulsion les 17 et 18 mai.

Depuis le choix de remplir ces « formulaires simplifiés », un « bureau d’autodéfense administrative » a été ouvert à la ZAD. Des habitant.e.s ou des soutiens travaillent ensemble à la consolidation des dossiers, au partage des informations récoltées ou des doutes qu’elles amènent. On y actualise des cartes, on y fait des démarches collectivement, on y décortique les lois locatives, etc. Il y a une rotation des personnes qui y participent sur la base, bien sûr, du volontariat. Et pour tou.te.s celles et ceux qui pensent que les services d’État, rodés depuis des siècles, seront toujours plus efficaces que l’organisation commune non-hiérarchique, il faut savoir que la DDTM nous a demandé des délais car leurs fonctionnaires n’arrivaient pas à suivre ! Ce « bureau », quand il est ouvert, accueille toutes et tous, on peut venir y demander des éclaircissements, y participer, ou soutenir moralement celles et ceux qui s’y fatiguent les yeux… Personne ne sera laissé seul.e face à l’administration, et ce n’est pas parce que des gens ont engagé leur nom qu’illes seront responsables des démarches à effectuer par la suite. De la même manière, les décisions ne leur appartiennent pas strictement concernant les parcelles dont ils seront les usagers « officiels ». Nous voulons que ces terres restent communes, et que leur usage soit déterminé par le mouvement de lutte.

Bien entendu, la stratégie administrative est une défense menée conjointement à la confrontation sur le terrain, et sans assignation binaire à tel ou tel type de barricades, qu’elles soient de pneus ou de papier. Le bureau a été fermé lors de la deuxième vague d’expulsions pour permettre à celles et ceux qui y travaillent d’aller défendre la ZAD physiquement. Ne pas opposer les tactiques a d’ailleurs toujours été l’apanage de ce mouvement, permettant sa diversité tout autant que son efficacité des décennies durant.

« Kézacop ? »

Le modèle de COP que nous avons signé a été rédigé par le service juridique de la DDTM. Il est peu ou prou le même que celui signé par les paysan.ne.s historiques. Il confine l’usage des parcelles couvertes à une vocation strictement agricole et contient certaines clauses très contraignantes, dont des astreintes financières sévères en cas de résiliation de la COP par l’État et de refus de notre part de cesser nos activités. Cette convention, valide jusqu’au 31 décembre 2018, n’est pas tacitement reconductible. Une des tâches du bureau a été d’en décortiquer les articles, pour chercher des faiblesses exploitables en vue de négocier des modifications, rôle porté par la délégation lors des rendez-vous à la Préfecture et à la DDTM.

On est en droit de se poser la question de la pertinence de signer ces conventions. De nombreuses discussions ont eu lieu, les doutes et les incertitudes existent. Si nous avons ensemble pris le risque de les signer c’est parce que nous nous sommes engagé.e.s ensemble à en déjouer les clauses les plus problématiques. Nous considérons ces signatures comme un pari à partir duquel il nous faudra continuer à batailler pour obtenir une gestion des terres collective et pérenne.

En premier lieu, il a été décidé de ne signer que si la Préfecture s’engageait par écrit à proposer au prochain COPIL les dossiers pour l’instant écartés (les terres conflictuelles et les projets « non aboutis »), de manière à ce qu’ils puissent eux aussi prétendre à une COP à l’automne. En second lieu, cette signature doit prolonger notre volonté de nous tenir collectivement dans ce pari risqué, c’est à dire de continuer collectivement la défense administrative tout en ayant la capacité à se mobiliser largement sur le terrain à divers niveaux. Nous savons que rien ne sera offert par le gouvernement et qu’il s’agit encore et toujours d’un rapport de forces. Enfin, par ce geste collectif de signature, nous empêchons les cumulards de se positionner sur les terres que l’occupation sans titre nous a permis d’arracher à la redistribution par la Chambre d’Agriculture au fil des années.

Perspectives

Les COP prennent fin au 31 décembre, mais leur renouvellement éventuel sera discuté en automne lors du prochain COPIL. Les projets pourraient alors être mis en concurrence avec d’autres, dont ceux des cumulards par exemple. Deux visions du monde et du rapport à la terre s’y confronteront : d’un côté une production partagée visant à nourrir des mouvements de lutte, et de l’autre une vision économique peu soucieuse de la nature ; d’un côté un bocage vivant habité d’une diversité de personnes et d’activités (sociales, culturelles, artisanales, agricoles), de l’autre une campagne consacrée à des exploitations agricoles et à une fonction de dortoir pour urbains ; d’un côté un soin porté au lien avec ce qui nous entoure, de l’autre une agriculture industrielle qui en fait fi. Nous pourrions continuer cette liste indéfiniment…

Plusieurs voies s’offrent à nous dans cette idée de gestion collective et pérenne, parmi lesquelles la conclusion d’un bail emphytéotique collectif ou l’achat commun des terres. En attendant, d’autres étapes sont à franchir, particulièrement à l’heure où l’État affirme vouloir vendre les terres à l’amiable au Conseil Départemental dans les mois à venir. Il n’est pas tenable que le président du Conseil Départemental, Philippe Grosvalet, qui pendant des années a été l’un des plus virulents porteurs du projet d’aéroport, puisse racheter les terres de la ZAD qu’il voulait faire disparaître sous le tarmac.

– Concernant les habitats toujours debout, la vigilance est de mise, leur inexpulsabilité restant relative. La DDTM a martelé lors des différents RDV avec la délégation qu’il y a toujours trop d’habitats dispersés, y compris sur les terres sur lesquelles nous avons déclaré des activités, et que cette question devra se régler directement avec les communes. Dans le but de déjouer leur stratégie qui considère aujourd’hui uniquement l’aspect agricole de la ZAD, nous avons également déposé un dossier de demandes de conventions pour les habitations, inculant des habitant.e.s historiques qui sont à l’heure actuelle toujours sans droits ni titre et donc sans garanties pour la suite.

– Une bataille parallèle sur les bois et forêts est également à mener : si l’ONF ne s’est pas encore prononcé sur sa volonté concernant la gestion des terres forestières de la ZAD, un gros syndicat de groupements forestiers privés lorgne sur ces parcelles. De la même manière que pour les terres agricoles, nous allons continuer à lutter pour que ces espaces restent dans un usage collectif et autant que possible non-marchand.

– Pour les projets artisanaux, culturels et sociaux, qui font autant partie de nos vies que nos activités agricoles, nous n’avons toujours pas de calendrier.

Le rapport au monde que l’on défend ne rentrera jamais, ni dans le cadre étatique, ni dans une fiche. C’est pourquoi nous devrons toujours batailler pour lui, comme nous avons bataillé hier contre le bétonnage. Face à ce monde, la nécessité de rester une zone en lutte est toujours aussi criante, et c’est tant mieux. Bien qu’il n’y aura pas d’aéroport dans ce bocage, nous devons continuer à nous battre contre le monde qui le voulait : contre les contrôles imposés par les cadres agricoles classiques et l’agrandissement des exploitations, contre un aménagement du territoire en métropoles, contre la destruction du vivant, contre les inégalités criantes de ce monde, etc., et qu’ainsi, notre avenir commun dans ce bocage prenne une nouvelle ampleur.

Des habitant.e.s de la zad ayant fait le pari des COP