Le futur président uruguayen sera donc Tabare Vasquez et prendra ses fonctions le … 1er mars 2005. La gauche aura également la majorité absolue à l’Assemblée Législative et au Sénat. En même temps que les élections, les uruguayen(ne)s devaient décider s’ils étaient pour ou contre la privatisation de l’eau, ils votèrent majoritairement pour le non. Cette impossibilité de privatisation sera inscripte dans la Constitution Nationale.

Cette victoire est la conséquence d’une longue période de regroupement politique qui commenca en 1971. La composition du Frente est très hétérogène puisqu’on y trouve des chrétiens, du centre-gauche à la gauche plus radicale. Néanmoins jusqu’à maintenant l’unité était la plus importante et chacune des tendances recherchait le consensus politique. Le programme du Frente pour cette élection n’a plus grand chose à voir avec celui de 1971 (qui comprenait la nationalisation des banques, une réforme agraire et le non paiement de la dette externe…). Il se situe aujourd’hui résolument au centre-gauche. La grande question est de savoir si cette coalition tiendra le coup de l’expérience gouvernementale ou si l’unité sera mise à mal. On peut estimer que l’ambition de ce nouveau gouvernement est très modérée au vue de la situation sociale de l’Uruguay (40 % de pauvres, dette externe supérieure au PIB…) même si son objectif premier sera la mise en place d’un « plan d’urgence » pour lutter contre la misère et l’indigence. Le plus important sera sa position par rapport au paiement de la dette externe, un de ses objectifs est l’union avec les autres pays d’Amérique Latine en vue d’obtenir des conditions plus favorables ou une réduction de celle-ci, alors que serait plus approprié de la part d’un gouvernement de « gauche » la revendication de son annulation (en raison de son caractère frauduleux et illégitimes) comme le demandent plusieurs secteurs sociaux dans ce sous-continent.

Cet évènement national à portée continentale (les médias latinoaméricains l’ont tous souligné) n’en est pas moins un évènement historique de première importance car outre qu’il met fin en Urugauy à plus de 150 ans de pouvoir des deux partis traditionnels de droite, il illustre la résistance et l’offensive des peuples sud-américains contre l’instauration depuis plus de dix ans du capitalisme néolibérale le plus sauvage qui a laminé les système sociaux et appauvrit la majorité des populations.

Dimanche soir, avant la divulgation des premiers résultats partiels à la sortie, une multitude d’uruguayennes et d’uruguayens s’etait rassemblée devant le siège du Frente dans le centre de Montevideo et commenca à fêter la victoire alors que celle-ci n’était pas confirmée, comme si elle ne faisait aucun doute. Pendant quelques heures, l’expectative sur le résultat fut profonde, les 50 % n’étant atteints que pour quelques votes, la droite, espérant un deuxième tour, ne voulait pas s’annoncer vaincue. Et finalement lorsque presque tous les instituts de sondage confirmant la victoire de la gauche, les principaux leaders de celle-ci firent leur apparition sur le balcon de l’hotel de QG de campagne sous les ovations d’une foule en liesse. La joie s’exprima toute la nuit dans une ville en folie où comme ce fut le cas les jours précédants les voitures aux couleurs du Frente ne cessèrent de la parcourir.

J’ai posé une seule question à plusieur(e)s uruguayen(ne)s, dans la soirée du dimanche (ces personnes ne sont donc pas représentatives de la totalité des uruguaye(ne)s, seulement de 50 % d’entre eux) : pourquoi ou en quoi cette victoire du Frente était importante, les réponses furent les suivantes :

« L’acceptation par le peuple de ce procesus historique. C’est une victoire sur l’ignorance et sur la peur »
« C’est quelque chose qui est méritée et peu importe ce qu’il va se passer ensuite, c’est plus un vote de d’sespoir que d’adhésion »
« C’est la fin du règne de la droite, cela va changer pas mal de choses au niveau de la justice, surtout en ce qui concerne les crimes commis sous la dictature »
« C’est une rupture historique »
« Donne l’illusion que demain il y aura un futur »
« Va permettre la participation des citoyens aux prises de décisions »
« Pouvoir revenir au pays d’ici 10 à 15 ans » (avec la crise, des centaines de milliers d’uruguayen(ne)s ont quitté le pays)
« C’est une espérance, il va y avoir du travail et on va pouvoir rester »
« C’est un rêve devenu réalité »
« Travail pour tous, en finir avec la pauvreté »
« Les intérêts du peuple vont être pris en compte, pas comme sous la droite »
« Le peuple va gouverner »
« C’est l’unique possibilité de changement »

Une seule réponse fut dissonante par rapport à cette victoire et aux espoirs qu’elle suscite :

« J’aimerai bien un changement mais je n’y crois pas. Cela dit je suis enchantée par ce qui se passe ».

Une uruguayenne d’environ 50 ans me fit une réponse sous forme de métaphore : « C’est un bien terrible. Tout va changer mais par étapes. Tabare Vasquez est cardiologue et il va essayer de traiter le cancer qu’a laissé la droite »

Plus on tarde à traiter un cancer et plus les chances de s’en débarraser sont minces, espérons que dans le cas de l’Uruguay il ne soit pas trop tard. Ou alors il faudra trouver une méthode plus radicale que la chimio-thérapie…

Fab (santelmo@no-log.org)
Montevideo 1-2 novembre 2004