D’abord parce que nous sommes au lendemain d’un massacre du gouvernement israélien dans la bande de Gaza : une cinquantaine de morts lors d’une Grande marche du retour du 14 mai et des centaines de blessés par balles. Ces massacres sont la conséquence funeste d’une répression sans précédent de manifestations pacifiques, organisées depuis plusieurs semaines par la société civile palestinienne à Gaza. Ces démonstrations de courage et d’héroïsme populaires, ces familles qui tentent de franchir les frontières imposées unilatéralement par Israël, de braver le blocus qui frappe Gaza, sont le fruit d’une campagne menée depuis le mois de mars pour faire valoir le droit au retour des Palestiniens expulsés de 1948, année de la création de l’État d’Israël et de l’épuration ethnique des zones colonisées.

Au-delà de l’émotion et de l’indignation à l’égard de la barbarie israélienne, à l’égard de l’impunité dont jouit Israël à l’échelle internationale, nous affirmons la centralité de la question palestinienne pour notre autonomie. La Palestine est un symbole de dignité, d’une résistance sur la durée et d’une identité politique qui traverse les pays, les religions et les régions au Moyen-Orient. Nous nous reconnaissons dans cette lutte multiforme, parfois pacifique et parfois offensive, ces maquis dispersés dans les camps de Jordanie en 1968, puis aux côtés des progressistes et des chiites libanais dans les années 1970, ces comités populaires organisant l’intifada dans les territoires occupés ou encore les marées populaires à Gaza ces dernières semaines. Pour nous, la Palestine n’est pas simplement une lutte étroitement nationaliste ou religieuse. C’est un combat qui a été le fer de lance des luttes révolutionnaires dans le monde arabe, mais aussi un enjeu majeur des luttes de l’immigration et des quartiers populaires en Europe. Parce que, depuis 1948, les Palestiniens ont été expulsés et ont été installés dans une multiplicité de camps au sein du monde arabe, parce les révolutionnaires du Nord global, après 1968, ont noué leur solidarité combattante avec la Palestine, l’antisionisme est une lutte sur autant de fronts.

Il ne faut pas non plus oublier qu’Israël n’est pas un État comme un autre. Pays sans frontières assignables, conquérant, qui gagne du terrain par l’expulsion et la spoliation des Arabes de Palestine, c’est une ethnocratie biberonnée en dollars et en appui logistique et militaire occidental. Dans le partage colonial du Moyen-Orient de l’entre-deux guerres, c’est une pièce maîtresse de la stratégie de division et de morcellement des classes populaires de la région. Cooptation des élites arabes et soutien au foyer national juif ont été les deux faces de la même pièce. Du soulèvement populaire de 1936 aux effervescences panarabes en Égypte, en Irak, en Syrie, au Liban, c’est la question de la Palestine qui a toujours su briser les alliances contre-natures entre sionisme et réaction arabe. La lutte pour la Palestine est donc aussi le principal vecteur d’une recomposition progressiste des identités confessionnelles et des opprimés au Moyen-Orient.

Aujourd’hui, nous sommes à la veille d’un tournant historique. L’Arabie Saoudite de Salman, l’Amérique de Trump et le gouvernement de Netanyahou cherchent à imposer le deal du siècle aux Palestiniens, un accord de paix impliquant l’abandon de Jérusalem, un État palestinien dans la bande de Gaza et circonscrit à une petite partie de la Cisjordanie – sous patronage militaire d’Israël. Autrement dit, Trump a mis à l’ordre du jour un processus de liquidation de la question palestinienne : il propose ni plus ni moins aux Palestiniens d’abandonner leurs revendications historiques, notamment leur « droit au retour ».

Dans nos milieux autonomes, dans le mouvement social, il y a aussi un risque de liquidation de la question palestinienne. Notre anti-impérialisme est trop souvent caricaturé, simplifié à une lutte binaire entre le Nord et le Sud, voire à un « campisme » solidaire de tel ou tel tyran au nom de son soutien verbal à la cause palestinienne ou à l’anti-américanisme. Il nous faut réaffirmer l’importance stratégique d’un combat anti-impérialiste pugnace.

En premier lieu, l’anti-impérialisme est une lutte contre notre État, contre ses dispositifs sécuritaires, ses partenariats militaires ; cette lutte n’est pas criminalisée par le pouvoir par hasard : de la circulaire Alliot-Marie réprimant le mouvement BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions contre Israël) aux manifs interdites de 2014, l’État français défend sa vieille politique impériale au Moyen-Orient contre les mouvements de solidarité et contre les quartiers populaires en France.

Pour nous, Gaza est une zone à défendre. Zone assiégée, sous blocus économique et militaire, c’est aussi une zone libérée, dont la résistance a su imposer l’évacuation aux forces sionistes. C’est un bastion de la résistance que les Israéliens n’ont pas réussi à « nettoyer » en 2008 et en 2014 malgré des bombardements intensifs. Les « tunnels du Hamas » n’ont pas été démantelés.

Pour notre autonomie, la lutte palestinienne traduit aussi le courage de la durée et de la fidélité au combat. Pour la première fois depuis 70 ans d’existence, Israël perd des batailles décisives : elle perd sa prégnance militaire exclusive dans la région ; elle a perdu les batailles du Sud-Liban et de Beyrouth en 2000 et 2006 ; elle essuie quotidiennement des opérations militaires dans les colonies. Peut-être que le « printemps gazaoui » est le prélude d’une intifada vigoureuse dans tous les territoires palestiniens. Leur intifada est aussi la nôtre. Elle est une école de l’inventivité populaire et d’une cohésion offensive.

Aux côtés des « Quartiers en cortège de tête », marchons contre la liquidation de la question palestinienne. 

Du cortège de tête à l’intifada gazaouie, solidarité !