À ce stade vous ne comprenez peut-être pas encore l’objectif d’une occupation. En fait, c’est simple, elle nous permet de nous organiser politiquement, d’avoir un lieu d’échange, de débat, d’organisation d’action, mais aussi un lieu de joie, de solidarité, de partage et d’amour. Un lieu qui est donc une absolue nécessité quand, tous les jours, nous faisons face à une répression incroyable, qu’elle soit médiatique, psychologique ou physique. Vous ne le voyez pas vous, mais tout les jours, les personnes mobilisées doivent veiller à éviter les caméras de flics pour éviter la répression d’état, doivent surveiller leurs arrières la nuit sous la peur de la répression fasciste, doivent constamment réfléchir à trouver des moyens de communiquer au grand nombre lorsque tous les médias, encouragés par la classe politique dominante, déforment nos propos, nos intentions et nos actions pour nous faire passer pour une minorité violente, ce que je vous assure nous ne sommes pas. Nous sommes des gens, normaux avec, pour beaucoup, une vie d’étudiant.e normal, un boulot, des familles, des conjoint.e.s. Nous ne sommes ni des bandits, ni des truands, mais juste des gens qui aimeraient un peu plus de justice dans ce monde qui en manque cruellement. Ce que Censive nous a montré, c’est qu’un autre monde est possible. J’ai envie de vous parler de l’occupation des heures durant, mais je ne suis pas sûr que ça soit utile, car je crois que ceux qui ne le vivent pas ne pourront jamais savoir ce que c’est réellement. Je vais donc me contenter d’exposer les grandes lignes de cette vie d’occupation.

Alors qu’encore tant de gens nous crachent dessus sans savoir, je vous explique : à Censive résidaient des étudiant.e.s issu.e.s de tous milieux sociaux ayant l’envie de briser la logique de la compétition dans laquelle nous naissons et grandissons aujourd’hui. Une envie de créer quelque chose collectivement. Alors voilà, nous étions là, pendant des semaines, des dizaines et des dizaines d’étudiant.e.s de tout UFR à se mobiliser et à tourner sur le lieu d’occupation. Des salles de cours transformées en dortoirs, rappelant les colonies de vacances, les voyages scolaires ou même le camping. Des sommeils parfois bien légers lorsque l’on vit en communauté, tout le monde n’a pas le même rythme… Des chambres non-mixtes également prévues pour les personnes s’y sentant plus à l’aise. Une salle de bain, organisée pour la toilette, mais aussi la vaisselle. Une cuisine de fortune, lieu de vie animé, dans laquelle se tenait chaque soir des réunions d’occupant.e.s, avec un repas collectif cuisiné dans la convivialité. Un salon où se trouvaient des canapés, l’endroit idéal pour se reposer, discuter et refaire le monde des heures durant. Dans la journée, chacun vaquait à ses occupations, révisions, dessin, chant, musique, jeux de société, bricolage ou organisation d’actions futures. Bien sûr après les agressions fascistes ayant eu lieu dans d’autres villes et celle ayant eu lieu contre l’un des agents de sécurité de la fac, nous étions tou.te.s sur nos gardes, surtout la nuit, ce qui venait faire peser une certaine tension. Puis arrive ce jour ou les huissiers débarquent, venant avec l’idée qu’ils trouveraient des dégradation et des tags partout, on les avait même surpris à dire « mais c’est super propre en fait :O ». Eh, oui, c’était un vrai lieu de vie, donc un lieu où on fait notre ménage, étrange hein ?!

Enfin bref, ces huissiers ont jeté un froid sur l’occupation, menaçant les occupant.e.s présent.e.s. Ca y est, la procédure d’expulsion était lancée. C’était notre maison. À nous tou.te.s, la centaine d’étudiant.e.s qui y a passé des nuits. Pas question de la lâcher. Les barricades commencèrent à fleurir partout, donnant au lieu un aspect de bunker, qui d’un point de vue extérieur devait être en effet très inquiétant. Sachez qu’à l’intérieur, on avait une énorme boule au ventre de devoir s’enfermer ainsi. Comment, terrés dans notre occupation barricadée, nous allions pouvoir continuer à rester aussi ouvert aux gens ? Compliqué… Ils voulaient nous faire disparaître des esprits.

C’est alors que les occupant.e.s se sont organisé.e.s au vu des menaces qui pesaient sur l’occupation. Des tours des garde tout au long de la nuit, toutes les nuits. De nombreuses personnes qui tournaient pour alerter en cas d’attaque fasciste ou d’intervention policière. Une organisation incroyable s’était mise en place. Avec une solidarité sans commune mesure qui permettait de surmonter la peur, l’angoisse et l’évidente fatigue lorsque l’on dort 3-4h par nuit pendant des semaines. Les uns, veillant sur les autres. On a chacun.e nos familles, nos groupes d’ami.e.s respectifs, etc. Pourtant, c’est réellement une seconde grande famille qui s’est formée dans ce lieu d’occupation et ça n’est en rien des affabulations. Je souhaite à chacun.e de vivre une telle expérience dans sa vie.

Arriva alors ce vendredi 11 mai. Alors que beaucoup d’occupant.e.s s’étaient absentés momentanément, la gendarmerie mobile a profité de ce moment pour intervenir, pénétrant dans les locaux en défonçant des portes avec violence, provoquant quelques sueurs froides à la poignée d’occupant.e.s n’ayant pas eu le temps de sortir, se faisant alors nasser, plaquer au sol ou baffer avant de se faire identifier, photographier et sortir.

À Censive je m’y sentais mieux que chez moi. Je sais que nous étions énormément dans ce cas-là.

Selon Aristote, l’Homme est un animal social, ça ne se vérifie jamais autant que dans ce genre d’expérience de vie. Les liens qui se sont créés resteront, la grande famille qui est née et qui ne demande qu’à s’élargir à tou.te.s celles et ceux qui le souhaiteront n’a pas tirée sa révérence, la lutte n’est pas finie et ne finira pas tant que ce système individualiste ne tombera pas.

Nous sommes la force de la conviction et nous en avons assez de la répression, de devoir nous cacher pour lutter. Censive à déjà écrit une page de l’histoire politique du pays Nantais et continuera de vivre. Un Censivien anonyme.