Le déni est toujours une arme politique redoutable, dont la forme extrême est le négationnisme. Stratégie défensive, son objectif, même face à l’évidence, est d’inverser la charge de la preuve, de susciter le doute : le plaignant est débouté et peut même devenir l’accusé. Il suffit pour cela d’avoir un habile avocat. Or les dirigeants d’Israël n’en manquent pas : gouvernements et leaders d’opinion occidentaux, en France notamment, ont réussi depuis 70 ans à conditionner négativement une large part des opinions publiques à l’égard des Palestiniens et de la cause palestinienne. Leur discours ordinaire s’abstient systématiquement de qualifier l’occupation militaire et la colonisation israéliennes de violations du Droit international, a fortiori de les condamner comme telles, à ne jamais dénoncer les violences massives et constantes infligées à la population palestinienne pour ce qu’elles sont : des crimes de guerre et/ou des crimes contre l’humanité et donc, à défaut de pouvoir les taire, les minimiser voire les légitimer. À cet égard, la manière dont nos manuels scolaires traitent le sujet peut passer pour un chef d’œuvre d’autocensure et d’euphémisation. Mais le déni n’est plus seulement rhétorique, lorsque les dirigeants français poursuivent pour antisémitisme des citoyens qui dénoncent, preuves à l’appui, la politique israélienne et ses conséquences néfastes.

On peut expliquer la complaisance, la complicité souvent active des grandes puissances occidentales envers l’Etat israélien par le rôle central que joue cet Etat colonial, depuis sa création, dans leur prise de contrôle économique, politique et militaire du Moyen- Orient. Mais pourquoi tant de nos concitoyens, qui n’ont pourtant aucune raison de se sentir une responsabilité dans la Shoah, restent sans réaction face au « deux poids, deux mesures » exorbitant dont bénéficie Israël, face également à l’accusation infâmante d’antisémitisme, brandie par les « plus hautes autorités de l’Etat », contre des citoyens qui osent critiquer la politique d’un gouvernement étranger, parce que ce gouvernement est celui d’Israël. Pourquoi restent-ils quasi indifférents face aux souffrances de la population palestinienne, alors qu’à juste titre ils sont bouleversés par d’autres tragédies ?

Pour mieux comprendre comment le déni de la Palestine fonctionne aujourd’hui en France, ses objectifs, ses techniques, les ressorts de son efficacité, il n’est pas inutile d’analyser comment le déni fonctionne en Israël, comment il est, dans ce pays, l’aboutissement d’un long processus dont les origines renvoient….à notre propre histoire.

En Israël, le déni de la Palestine est avant tout une arme de guerre. Il légitime un usage arbitraire et abusif pleinement assumé de la force. Il est le fait d’un Etat assez puissant, militairement et diplomatiquement, pour se croire assuré de pouvoir imposer impunément SA vérité, nier à sa convenance aussi bien la réalité historique que les principes du droit international et du droit humanitaire. Déni du droit et déni de la réalité constituent un système de penser au service d’un projet politique de domination, d’exclusion, d’éradication : il en inspire la conception et la mise en œuvre. C’est ainsi que le projet de colonisation de la Palestine adopté, en 1897, par le premier Congrès sioniste mondial, s’appuie d’emblée sur le déni de l’existence d’un peuple palestinien : « une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». C’est ainsi que ce déni a constamment justifié l’action de l’Etat d’Israël : les Palestiniens n’ont jamais existé et n’existent pas en tant que peuple, encore moins en tant que nation et n’ont donc pas vocation à constituer un Etat.

Ce système de penser, le premier Congrès sioniste en avait trouvé le modèle dans l’environnement idéologique de l’époque. En cette fin du 19e siècle, cette forme de négationnisme est le prêt-à-penser des grandes puissances occidentales pour justifier la colonisation de peuplement et les traitements infligés aux populations colonisées : aux Etats-Unis on glorifie la « conquête de l’Ouest », en France la « mission civilisatrice » accomplie dans ses colonies africaines. Le déni de la Palestine ne serait-il donc en France qu’un héritage du colonialisme, la nostalgie d’un épisode révolu de notre histoire ? Révolu, mais qui hanterait encore notre inconscient collectif ? Pourquoi un candidat à la présidence de la République a-t-il dû se rétracter après avoir justement qualifié nos « conquêtes coloniales » de « crime contre l’humanité » ? Alors qu’antisémite est à juste titre devenu un qualificatif infâmant, pourquoi « colonialiste » n’est-il pas un mot qui stigmatise au point qu’on peut sans risque se revendiquer tel ? Certes, condamner le colonialisme en général, y compris le colonialisme français de jadis, est aujourd’hui sans danger. En revanche dénoncer le colonialisme israélien est en passe d’être assimilé en France au délit « d’antisémitisme » et « d’incitation à la haine raciale » !

Alerter l’opinion publique sur cette menace scandaleuse contre la liberté d’expression, lutter contre la désinformation sur la réalité de ce qui se passe en Palestine, tel est donc le double défi qu’il faut relever : une tâche qui exige sérieux, patience, obstination. C’est à ce double défi que les textes publiés dans les Actes du colloque peuvent nous aider à répondre.

En voici les auteurs :

Maurice Buttin • Dominique Vidal • Ludovic Mergen • Nada Awad • Wadad Kochen-Zebub • Thomas Vescovi • Nurit Peled-Elhanan • Djamal Zahalka • Khaled Bichara • Bernard Ravenel • Pierre Stambul • Henri Folliet.

Secrétariat du CVPR PO c/o M° Maurice Buttin
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