« Le marxisme, dans la mesure où il ne se trouvait pas tout à la fois rejeté et réinterprété en son contraire, prit une forme purement idéologique qui n’affectait pas la pratique pro-capitaliste du mouvement ouvrier.

Il put ainsi coexister avec d’autres idéologies rivalisant pour avoir des fidèles. Il ne représentait plus la conscience d’un mouvement ouvrier visant à renverser la société, mais une conception du monde s’appuyant prétendument sur la science sociale de l’économie politique.

Il devint alors l’affaire des éléments les plus critiques de la classe moyenne, LE MARXISME HIER, AUJOURD’HUI ET DEMAIN 373 alliés à la classe ouvrière mais extérieurs à elle. Ainsi se concrétisait la faille existant entre la théorie marxienne et la pratique réelle du mouvement ouvrier.

Il est évidemment exact que les idées socialistes furent d’abord et surtout – mais pas exclusivement – émises par des membres de la classe moyenne, émus par les conditions inhumaines que faisait régner le capitalisme dans ses débuts.

Leur attention a été attirée sur le changement social et, par conséquent, sur la classe ouvrière, à cause de ces conditions et non en raison d’un quelconque niveau d’intelligence.

Il n’est donc pas surprenant qu’au tournant du siècle, les améliorations apportées par le capitalisme aient émoussé leur sens critique, et cela d’autant plus que la classe ouvrière elle-même avait perdu l’essentiel de son ardeur contestataire.

Le marxisme devint une préoccupation d’intellectuels et prit un caractère universitaire. On ne le considérait plus essentiellement comme une activité d’ouvriers mais comme un problème scientifique à débattre. »

(Paul Mattick)