Je ne sais pas ce qu’ils ont gardé de Mai 68, mais Daniel Cohn-Bendit, Alain Geismar, Serge July ou autre Romain Goupil ont un point commun aujourd’hui : à la dernière présidentielle, ils ont tous voté Macron et certains l’ont même soutenu activement dès le premier tour.

Mais au fait, de quels “leaders” parle-t-on ? J’avais 18 ans en Mai 68 et j’ai “fait” les évènements de bout en bout. Mon QG de l’époque : le CHU occupé de l’hôpital Saint-Antoine à Paris, juste en face de la boulangerie paternelle. Entre les manifs de la journée, des soirées et des nuits de discussions fiévreuses avec les étudiant.e.s, sur fond de “El Condor pasa” chanté en boucle par Simon et Garfunkel. Mais rien, jamais rien sur les “leaders” du mouvement.

Des “leaders” désignés par les médias

En fait de leaders, nous ne connaissions que ceux que nous désignaient l’ORTF de l’époque, Europe 1 et les quelques journaux qui parvenaient à paraître. Certains dirigeaient les organisations syndicales du moment : Alain Geismar pour le SNESUP et Jacques Sauvageot pour l’UNEF, mais ceux-là donnaient plus l’impression d’essayer de suivre et de récupérer le mouvement que de le mener. Daniel Cohn-Bendit avait une place à part : absent d’une bonne partie des évènements pour cause d’expulsion par les autorités françaises, il valait surtout comme figure emblématique de la révolte, bien plus que par des mots d’ordre de “leader”.

Lorsque les évènements prirent fin, dès juin, commença à surgir, dans les médias bien évidemment, toute une nouvelle brochette de “leaders” désignés, dont nous n’avions jamais entendu parler avant : le journaliste Serge July, le cinéaste Romain Goupil, le philosophe André Glucksmann, l’architecte Roland Castro… Je me souviens que quand les “maos” dont ils prétendaient être venaient, en Mai 68, nous faire leurs leçons chiantes à mourir au CHU Saint-Antoine, nous avions tous étrangement envie d’aller voir ailleurs.

Vu le parcours de tous ces “leaders”-là (à l’exception notable de Jacques Sauvageot qui resta assez fidèle à ses engagements d’alors), il fut assez facile aux médias de prétendre que les acteurs de Mai 68 avaient tous retourné leur veste. C’était (volontairement) oublier et faire oublier la foule des manifestants anonymes qui avaient réellement, eux, “faits” les évènements et dont beaucoup ne sacrifièrent pas ensuite leurs convictions à un plan de carrière.

Depuis, cinquante années ont passé et je ne saurais trop conseiller aux jeunes générations pré-Mai 2018 de se garder des “leaders” fantoches que le camp d’en face lui désignera.