Nous ne sommes pas de ceux qui voient dans les cheminots des privilégiés. Considérer que les garanties fournies par un statut particulier sont un privilège qu’il faudrait abolir c’est en fait œuvrer pour un nivellement par le bas. Cette logique conduit à promouvoir l’alignement des conditions de travail et de salaires de tous, sur celles qui sont les plus défavorables. En l’occurrence si le statut des cheminots est liquidé la généralisation de l’embauche précaire, intérimaire et de la sous-traitance qui s’en suivra se fera dans des conditions encore plus dégradées.

Dans cette attaque contre le statut de cheminot il y a quelque chose de l’ordre d’un verrou à faire sauter qui se joue. Ce n’est pas sans rappeler l’écrasement des mineurs en Angleterre par Thatcher qui a considérablement ébranlé la combativité ouvrière et permis le déploiement d’un arsenal de réformes drastiques contre les conditions de vie du prolétariat de Grande-Bretagne. Ce qui est attaqué ce n’est pas simplement un statut, c’est toute une dynamique de lutte qui depuis longtemps a fait trembler bien des gouvernements. Refuser l’affrontement, c’est à coup sûr voir nos conditions de travail et de vie empirer. Mais cet affrontement ne peut vaincre qu’en se renforçant, et ne peut se renforcer qu’en s’élargissant.

La stratégie des grandes structures syndicales lors des mouvements contre la réforme des retraites de 2010 ou contre la loi Travail en 2016 a largement été un échec. Celle-ci, en favorisant certains secteurs « clés », n’a abouti dans le meilleur des cas, qu’à la satisfaction de revendications corporatistes, au détriment de la lutte commune confisquée à de nombreux prolos. Celles et ceux qui n’appartenaient pas strictement à ces catégories se retrouvaient à déléguer la lutte à d’autres. On peut par exemple penser aux blocages des raffineries ou au mouvement des routiers, qui ont repris le boulot une fois quelques garanties sectorielles obtenues. S’il est vrai qu’en entrant en lutte nous battons en brèche notre atomisation, nous ne pouvons nous contenter de rester enfermés dans les catégories séparées que le capital nous attribue. Cheminots, éboueurs, étudiants précaires, chômeurs ou autres, il s’agit de créer les outils de la jonction. Dans les mouvements lycéens et étudiants, dans les grèves parfois longues et combatives en cours à la Poste, chez les livreurs à vélo, les EHPAD etc. des liens se sont tissés face à l’isolement. Mais séparés, il est difficile de maintenir un rapport de force dans la durée. Il faut dès à présent lutter en dépassant les anciennes différences entre l’intérieur et l’extérieur du travail, par la solidarité et l’autodéfense de classe. Nous pensons qu’il est indispensable de refuser la stratégie corporatiste de certaines centrales syndicales et que la grève des cheminots peut être un point de départ d’une lutte qui se généralise.

Pour la grève active
Si la grève est bien une arme historique et centrale des exploités, il n’en reste pas moins qu’il est de plus en plus difficile de la faire dans de nombreux secteurs. Si pour les cheminots, c’est encore possible, on remarque déjà que cette seule pratique ne suffira pas. Pour constituer un rapport de force, il faut être en mesure d’aller plus loin que la déclaration de grève. Faire ce qu’on appelle une grève active. La grève est alors non seulement l’arrêt du travail mais aussi la libération du temps pour occuper la rue, faire fleurir les murs d’affiches, provoquer assemblées et discussions, et y convier toutes celles et ceux qui sont dans l’impossibilité temporaire de faire grève mais qui participent au mouvement. Cette grève active est l’occasion d’inventer de nouvelles pratiques de lutte mais aussi de se réapproprier celles qui ont pu exister. De l’occupation des lieux de travail aux blocages économiques. Des manifestations déambulatoires aux envahissements des gares ou bureaux.

Pour la défense du mouvement
En tant que mouvement collectif qui s’oppose à l’ordre établi, il est logique que les appareils répressifs de l’Etat tentent de nous barrer la route. La police réprimera et arrêtera, la justice cherchera à condamner. Qu’il s’agisse de diffusion de tracts, d’occupations, de sabotages, de prises de paroles, de manifestations, toutes ces pratiques qui nous permettent de gagner, nous aurons les flics, les huissiers et les juges sur le dos. Il est donc primordial de penser dès maintenant notre défense. Entre autres, ne rien déclarer en Garde-à-vue ou en audition libre et refuser la partition « bon et méchant manifestant » ou tout autre stratégie qui consisterait à défendre les siens au détriment de tous les autres. Il s’agira en chaque occasion de rester solidaires et de défendre collectivement les pratiques que la lutte se donnera, et ceux qui les auront mises en œuvre, quand la répression cherchera à les isoler pour mieux éteindre le mouvement.

Pour des espaces d’organisation
Pour mettre en pratique ces perspectives, plusieurs voies sont possibles :
– Ouvrir les assemblées de cheminots à tous ceux et celles qui participent à la lutte.
– Créer des comités d’action à même de développer la grève active et la défense du mouvement.
– Aller chercher les travailleurs et travailleuses de la gare (service de nettoyage, conducteurs de bus, employés des boutiques et autres travailleurs de la sous-traitance).
– Sortir la lutte de la gare en allant chercher d’autres secteurs, d’autres camarades potentiels. Développer en conséquence des espaces de lutte pour l’ensemble des prolos, qu’ils taffent ou pas, avec ou sans papiers, et ainsi contrer l’isolement par l’élargissement du mouvement.

Ici et maintenant regroupons nous,
organisons-nous et étendons la solidarité !