Présentation du livre de Philippe Pelletier L’imposture écologiste. Éditions Géographiques Reclus 1993.

 

Ce livre fournit l’occasion de suivre l’évolution du rapport nature/culture au travers de l’idéologie écologiste. Si ce géographe tendance Reclus ne s’inscrit pas autant qu’il le faudrait à mes yeux contre le scientisme et plus généralement contre cette fuite en avant qui caractérise autant le mouvement du marché que la recherche scientifique et technique, il cible au nom de la raison l’intégrisme naturaliste et sa fonction faussement contestataire (le cursus politique des écologistes est maintenant bien connu, depuis la critique sociale des années 60 à la social-démocratie d’aujourd’hui, à peine associée à la gestion des affaires). Il s’attache méthodiquement à mettre en évidence le double langage pratiqué par cette idéologie qui joue tant sur le registre scientifique (en se réclamant de la science écologique, en faisant parler des experts usant de l’argument d’autorité etc.) que sur le registre de la peur par un discours catastrophiste et non offensif. En cela les écologistes contribuent à réactiver la peste émotionnelle qui n’aide en rien à sortir de la confusion mentale entretenue de diverses manières. Ce livre expose avec force références comment les thèmes de l’écologie sacrifient à la mode passéiste qu’elle a contribué à nourrir et en même temps ont facilité une reconversion du capitalisme des années 70 et 80.

Pelletier boucle son exposé en soulignant la convergence objective entre les discours écologiste et post-moderne (malgré le  » tout est culture  » que proclame ce dernier), en ce que les deux nous entraînent dans la nouvelle vision du monde à l’œuvre, celle de la fin de l’histoire. Les deux discours sont issus de la même mouvance contestataire des années 60 et chacune dans sa sphère respective (le discours post-moderne s’adressant pour l’instant aux élites intellectuelles des sciences humaines américaines et européennes, tandis que les écolos répondent aux inquiétudes de la petite bourgeoisie des mêmes contrées), travaille finalement à dissoudre la séparation nature/culture : les post-modernes en avançant que tout est culture (et socialement construit) et une suprématie du sujet désormais sans référent extérieur (d’où la caducité des notions de base de la modernité telles la vérité ou la réalité objective), et les écologistes en affirmant un intégrisme naturaliste où l’homme n’est tout au plus qu’un agent, au même titre que les autres organismes vivants.

Ces deux idéologies procèdent du même confusionnisme mental qui leur fait attaquer le scientisme tout en truffant leurs exposés de métaphores scientifiques afin de mieux impressionner leur auditoire.

La conscience active et critique se trouve donc prise en tenaille par ces deux  » groupes de pression  » ouvertement contre-rationalistes qui fétichisent la raison(1), tout en rompant avec l’anticapitalisme de leurs débuts.

Résumé subjectif de l’ouvrage de Philippe Pelletier

(avec quelques commentaires en italiques).

L’écologie est une science, l’écologisme une idéologie qui utilise à sa façon l’épistémologie et la méthodologie de l’écologie en empruntant deux chemins parallèles : la réflexion philosophique et l’action politique ; l’expression  » écologie politique  » est trompeuse et manipulatrice, l’écologiste n’est pas forcément un écologue. Cette posture épistémologique repose sur un formidable paradoxe qui frôle l’imposture idéologique : ce sont précisément ceux qui partent en guerre contre le  » rationalisme « , le  » cartésianisme  » et le  » scientisme « , ou plus exactement contre ce qu’ils désignent comme tels, qui s’appuient sur les vertus, l’aura et les mérites de la science, réduite en fait plus ou moins à la seule science écologique.

A travers le vocable  » écolo « , d’apparence bon enfant, triomphe une vaste banalisation de la question écologiste qui masque aussi bien les réels problèmes de l’environnement que l’avancée d’une idéologie bien spécifique. Dans la brèche ouverte de la prétendue faillite des idéologies, qui cache en fait une recomposition unilatérale du monde, l’écologisme s’est engouffré paré des vertus de la nouveauté et du prétendu bon sens.

Selon Augustin Berque,  » La nature n’a de sens pour l’homme que dans les termes d’une culture  » ; quant au  » milieu naturel « , c’est le plus souvent  » un milieu profondément humanisé qui ajoute aux données de la nature l’action combinée des techniques, de la densité et de la structure du groupe humain, des objectifs politiques et moraux du gouvernement « , selon la conception du géographe Etienne Juillard. Le point de vue scientifique, et donc écologique, considère la nature comme synonyme de monde physique. La nature correspond à l’ensemble des propriétés de la matière et de l’énergie.

La menace d’une disparition de l’espèce humaine causée par de graves destructions environnementales constitue bien évidemment le véritable enjeu de l’écologie, à condition de cerner le caractère et l’ampleur de cette menace. En première comme en dernière instance, il s’agit de la responsabilité des hommes vis-à-vis d’eux-mêmes, responsabilité dans laquelle la nature ne se pose qu’en intermédiaire. [très juste et important !!!]

La première étude faite par des écologues est parue en 1921 dans la revue Ecology où il est avancé que « le système écologique de l’actuel monde du XX° siècle doit comprendre l’homme du XX° siècle en tant qu’espèce dominante ». L’organicisme pointe là son nez, et quand Waechter écrit que « l’écologie devient une morale de la puissance et une invitation à donner des limites à la mainmise de l’homme sur la planète », nous sommes dans une sorte d’intégrisme naturaliste qui propose un  » holisme « , une philosophie ou une  » science  » du tout, du global ; il s’inspire de la  » systémique « , dérivé récent et à la mode du structuralisme, selon laquelle  » tout se tient « , tout est  » interdépendant « . Pour Joël de Rosnay :  » L’écologie c’est la science de notre mission terrestre, comme l’économie est la règle de gestion de cette même maison  » : l’écologisme a fétichisé la nature et ses équilibres.

La formulation écologiste consiste bien souvent en une remise à jour, consciente ou non, des vieilles lunes idéologiques.

L’intégrisme naturaliste.

La coupure nature-culture caractérise la pensée occidentale mais cela ne signifie pas que le premier terme n’ait jamais dominé le second dans l’histoire des idées. Les religions monothéistes ont tenté de dépasser ce clivage en proposant une vision déterministe du monde. C’est bien sur le plan des formes de causalité, impérative ou non, que se posent les termes du débat nature-culture depuis l’Antiquité.

Deux grands courants de pensée s’affrontent depuis des millénaires : l’un qui place la nature comme élément premier de causalité, soit divine, soit non divine, l’autre qui le réfute.

La religion chrétienne constitue indéniablement le soubassement idéologique et culturel des philosophies de la nature(2) et depuis Aristote jusqu’à Montesquieu en passant par Hobbes, on connaît l’usage politique et social qui est fait du naturalisme (justification de l’esclavage, de la propriété, de l’Etat cet  » animal artificiel « …).

L’autre grand courant de pensée, qui relativise l’importance causale de la nature, a voulu établir le caractère social de l’espèce humaine au-delà de ses rapports avec la nature. Il a pris notamment les formes de l’humanisme et du socialisme. La séparation objective de la nature et de la société est une idée qui progresse lentement depuis les philosophes grecs et la Renaissance avant d’aboutir à l’avènement du principe scientifique. Les premiers socialistes iront très loin dans la coupure épistémologique comme Proudhon, Engels(3), Marx. Bakounine lui souligne la dualité entre la nature interne de l’homme qui obéit aux lois biologiques générales (en ce sens il affirme  » qu’aucune rébellion contre la nature n’est possible « ), et la nature externe, celle des phénomènes, contre laquelle l’homme doit se battre pour maîtriser son destin. Le principal apport des premiers théoriciens socialistes fut d’établir le caractère social de l’espèce humaine au-delà de ses rapports avec la nature, et par conséquent de confirmer aussi bien la possibilité que la nécessité pour les hommes d’adopter une autre organisation de la société.

Les travaux de Darwin ont introduit de nouveaux éléments dans le vieux débat nature/culture et l’on sait comment les classes dirigeantes ont soutenu l’organicisme spencérien qui adaptait à leur profit la théorie de la sélection naturelle des espèces. Un darwinisme social a tenté de légitimer au nom de la science le laissez faire économique, impérialiste, l’eugénisme et le racisme, et il se trouve des écologistes aujourd’hui qui s’y réfèrent.

Ainsi on retrouve l’argumentaire naturaliste au service de l’injustice sociale mais dans la version :  » c’est scientifiquement prouvé « . L’autorité de l’expert et le scientisme commencent leurs ravages et jettent le trouble dans les esprits : la science des sociétés capitalistes n’est plus la science des anciens Grecs où la curiosité et le désir de connaître dominaient. Il est question au contraire de prostituer la recherche scientifique et technique au profit des nécessités de l’économie de marché, quel qu’en soit le prix à payer en vies humaines, en dévastations du milieu physique.

L’intégrisme naturaliste renverse les rapports nature-culture en subordonnant cette dernière à la première, la nature pesant sur les sociétés et déterminant les comportements collectifs et individuels. L’homme est ramené à une espèce animale, à un organisme au cœur d’un organisme plus grand. Les écologues, bientôt suivis par les écologistes, ont rapidement repris l’idée d’organicisme et investiront des secteurs du savoir comme la sociologie et l’économie politique. Symétriquement, les autres chercheurs en sciences humaines tendront à écologiser leur approche : ainsi se diffusera Le biologisme social. Le parti pris du déterminisme naturel s’illustre anecdotiquement avec le coup de poker épistémologique de l’École de Chicago qui se proposait, puisque le milieu naturel est si anthropisé, de considérer la ville comme un écosystème, artificiel certes mais au même titre que les autres. La ville est un produit de la nature humaine où les notions de compétition et de sélection, directement empruntées à l’écologie végétale, viennent décrire les inégalités sociales de peuplement.

Depuis « l’être humain comme écosystème » à la « cybernétique sociale », l’intégrisme naturaliste diffuse une péjoration de l’homme considéré comme une espèce nuisible, un agent négatif du « déséquilibre écologique » et l’on notera au fil du discours catastrophiste et moralisateur(4) cet usage devenu si répandu dans la société du terme « naturel » qui contient à la fois l’idée de non-artificialité et de normalité. Il n’est pas ici question de responsabilité mais d’une vision globale de l’homme (qui a l’avantage de masquer les responsabilités d’une organisation sociale particulière et historique).

L’exaltation et la fétichisation de la nature agressée par un seul animal, l’homme, va jusqu’à retirer à ce dernier l’attribut de sujet, par exemple quand il est question d’élaborer les droits des animaux ou de déclarer les droits de la Nature (et non pas pour la nature) c’est-à-dire de leur attribuer une personnalité juridique alors que la manière dont ils sont malheureusement traités dépend bien des hommes. La même remarque vaut pour la formule à la sauce post-moderne du genre :  » Donner droit de cité à la nature ; c’est par l’intermédiaire des subjectivités dans lesquelles ils se réfractent et qu’ils contribuent à former que tous les agents non-humains prennent déjà part au débat cosmopolitique(5) ». « .

Et si l’on s’attarde sur les langages métaphoriques du genre  » la Terre comme être vivant  » ou  » La terre abrite l’embryon d’un corps et l’esquisse d’un esprit. Ce corps se maintient en vie grâce aux fonctions écologiques et économiques réunies dans ce qui constitue l’écosystème(6) » « , on comprendra que beaucoup de glissements mystiques soient possibles combinant causalité divine, écologique et scientisme.

Ainsi la coupure nature/culture est-elle dissoute au profit d’une vision écocentriste du monde. Quelques soient les origines politiques des écologistes, ils finissent presque tous par proposer un  » conservatisme vital  » moral, responsabilisant tout homme en soi, où il est question de  » ré-enchanter l’homme et de ré-ensauvager le monde « . Ce sont les mêmes entités qui nourrissaient le romantisme que l’on retrouve désormais au cœur du comportement écologiste : exaltation naturaliste, refus ou peur de la technique, mélange de fatalisme et de révolte, révolutionnarisme puis abandon individualiste, réformiste ou défaitiste. Pour certains l’espoir réside dans l' » écologie profonde « , celle qui allie la sauvegarde de la biosphère aux valeurs de l’esprit, ou revalorise l’animisme des sociétés primitives. D’évocations en comparaisons, d’allusions en références scientifiques, le propos des écologistes glisse peu à peu vers l’irrationnel et la pensée magique, qui trouvent preneur dans une société où les lois du marché ne sont pas si rationnelles qu’on veut bien le croire. Il y a ceux qui croient à tout ce jargon, avec tout ce que cela implique comme restructuration correspondante de nos sociétés (hiérarchisations, pesanteurs, etc.), et puis il y a ceux qui nourrissent ce genre de vision mais qui en fait travaillent pour la modernité.

L’intégrisme naturaliste est un pessimisme mais qui n’est pas systématiquement rétrograde ; concrètement ses représentants ne refusent pas totalement la technologie moderne et participent activement à la reconduction du système capitaliste. Ils manifestent une grande méfiance vis-à-vis de l’idée de progrès mais esquivent l’attaque frontale contre la science, en portant de préférence le fer contre l’industrie et la technologie. Le conservatisme est un outil de manipulation sociale(7).

L’écofascisme

Le fascisme(8) est un mouvement qui combine des tendances contradictoires : révolutionnaires et conservatrices, païennes et cléricales, populistes et bourgeoises, putschistes et électorales, mais qui se rejoignent sur la réduction des libertés individuelles. C’est un pessimisme décidé, un passéisme réactivé au nom d’un ordre ancien en vue d’un ordre nouveau. Certains y ont vu essentiellement une révolte contre le positivisme qui engendre  » ce régime de l’or, régime essentiellement niveleur, matérialiste et cosmopolite « . L’attachement à la terre, au chez-soi natal se relie au mythe de l’enracinement débouchant sur les thèmes de la communauté organique et du territoire à conserver et purifier.

Les sentiments que l’écologisme véhicule ne sont pas incompatibles avec les idéologies autoritaires qui peuvent soit les intégrer, soit les reformuler. Le culte de la différence, le régionalisme, le refus des brassages, de l’immigration sont des avatars du sociobiologisme. Philippe Lebreton qui affirme(9) :  » Première constatation biologique, il existe bel et bien des races humaines « , s’est aussi prononcé  » contre l’immigration « , à l’instar d’un Waechter pour qui  » ouvrir les frontières aux étrangers est une utopie dangereuse « , pour des raisons démographiques bien sûr… Un autre dira que pour lutter contre l’acculturation, il faut enraciner et limiter la mobilité des gens car le brassage interdit l’identité.

Sans ses aspects novateurs et ses apparences anticapitalistes, le fascisme n’aurait jamais séduit une fraction importante de la population, ainsi qu’un grand nombre d’intellectuels (il agitait aussi en permanence l’imminence d’un péril, juif en l’occurrence, à même de souder un peuple amoindri par la crise sociale et économique et démoralisé par l’échec de la révolution sociale des années vingt). La critique anticapitaliste d’un nazisme opposant capital  » productif  » et capital  » prédateur  » n’est pas sans connotation naturaliste, ni sans rappeler la position écologiste majoritaire qui stigmatise le productivisme mais qui ne remet pas fondamentalement en cause le capital, et encore moins l’Etat, fort de préférence.

Fascistes et naturalistes intégristes se rejoignent même sur la forme, notamment dans l’utilisation de la peste émotionnelle : recours à l’émotion brute, au débordement réactionnel, à l’intolérance. Chez les écologistes, la peste émotionnelle prend la forme de l’alarmisme, du catastrophisme et de la panique. Des exagérations sont faites volontairement ou pas autour de certaines questions et jouent sur le registre de la peur, nuisant ainsi à la cause qu’elles prétendent servir (exemple de l’emploi du terme  » holocauste biologique  » pour parler de la destruction des forêts tropicales ou du titre  » 5000 jours pour sauver la planète « ). Sur le plan scientifique, toutes les manipulations sont possibles, qui échappent au commun des mortels mais qui sont l’œuvre des groupes de pression scientifico-industriels (amalgames, mélanges des niveaux de démonstration, unités de mesures changeantes etc.) : le procédé classique du propagandiste, écologiste ou non, est d’escamoter une partie des faits. Tout en critiquant les experts, les écologistes deviennent à leur tour des experts qui restent en relation étroite et assujettie avec l’appareil d’Etat.

Il ne s’agit pas de dire que l’écologisme constitue le dérivé du fascisme, malgré certaines convergences idéologiques, mais que par contre il lui dispute le même terrain sociologique de la classe moyenne. Structurellement, il est lui aussi candidat à la nouvelle gestion du système capitaliste.

L’écologisme de parti.

La nouvelle petite-bourgeoisie urbaine désorientée idéologiquement et bousculée économiquement trouve son débouché et son refuge dans les partis verts. Politiquement, les dirigeants écologistes peuvent être considérés comme des déçus de la social-démocratie et être assimilés à la deuxième gauche (tendance PSU et CFDT). D’elle ils partagent l’anticommunisme, la conception néocorporatiste prétendument autogestionnaire et le régionalisme. Les proximités idéologiques sont aussi patentes avec les racines cléricales de cette deuxième gauche : antimatérialisme et antirationalisme, aspirations maurassiennes [Charles Maurras : idéologue de l’extreme droite française des années 1900-1940] et régionalistes, acceptation de l’État, philosophie du  » moindre mal « , non-violence théorique, refus du progrès qui se conjugue avec les désillusions des anciens gauchistes recyclés en écolos pour nier l’hypothèse révolutionnaire. {on reconnait là Cohn bendit …]

L’écologisme depuis plus de trente ans a activement contribué à la confusion mentale actuelle : ses experts parfois aussi peu fiables que ceux des institutions, ses politiciens et idéologues occultent délibérément les problèmes sociaux les plus graves (et leurs causes). En tant que construction sociale de la peur, le discours écologiste annonce des catastrophes et permet de ne pas voir le désastre qui est déjà là (et sa nature) ; sa dramatisation est à la fois le reflet et le vecteur de la nouvelle évolution du système capitaliste(10).

Un accommodement des extrêmes et des contradictions n’est pas propre à l’écologisme mais caractérise aussi le capitalisme, probablement le premier système depuis l’animisme à proposer des visions simultanément rationnelles et irrationnelles du monde, ce qui lui a conféré une force énorme.

L’écologisme est la nouvelle pensée hégémonique et dominante. L’idéologie consensuelle (nous sommes tous sur le même bateau) s’est déplacée de l’entreprise vers la sphère du citoyen, culpabilisé quand il mange à sa faim et remplit sa poubelle. Elle s’appuie sur une théorie manichéenne qui joue sur des altérités franches, des oppositions tranchées et valorisées en Bien ou Mal, artificiel ou naturel. Cette pensée binaire ami-ennemi se double d’un déterminisme monocausal qui impute au progrès et à la technologie l’origine de tous les maux. Les métaphores autour de la pollution articulent des glissements de la sphère environnementale à la sphère sociale et politique : la naturalisation du social se double d’un discours porteur de morale

La question du postmodernisme, autre courant de pensée actuel.

La tradition newtonienne et positiviste considère la science comme une méthode rationnelle pour découvrir les lois objectives et la structure intime de la nature. Nombreux sont ceux qui affirment sans ambages que cette conception mécaniste de la science et de la nature est indissociable de la conception marchande du capitalisme : l’approche mathématique, mesurable et régulière correspondrait selon eux à l’évaluation monétaire, commerciale et marchande des biens. Certes on ne peut nier les rapports qui existent entre les Lumières et le capitalisme, mais de là à établir un lien absolu, déterministe entre ces deux conceptions, il y a un pas qui est franchi.

L’idéologie postmoderniste rejette ce qu’elle appelle le cartésianisme tout en revendiquant pêle-mêle la flexibilité, l’individualisation, la décentralisation, la diversification et la proximité. Elle n’offre pas seulement une nouvelle vision du monde, elle en propose aussi les nouveaux outils de gestion. Concurrence ou symbiose avec l’écologisme ?

Le monde est unifié économiquement par la marchandise et le capitalisme, et politiquement par l’État nation. Il est unifié culturellement par les attributs, les signes de la marchandise et de la nation, et par la machinerie de la société du spectacle.

L’enjeu de l’échelle locale est fondamental pour les dirigeants : si le capitalisme engendre des processus de déplacements, de prolétarisation et de guerres, il provoque par contrecoup chez les hommes des désirs farouches de ré-enracinement et donc systématiquement des rejets identitaires ou classistes qui peuvent menacer sa stabilité relative. Il a besoin en certains lieux de populations stables qui assurent sa reproduction, sa pérennité. Les pulsions de ré-enracinement territorial, religieux et ethnique ne constituent pas pour lui des dangers fondamentaux, à condition de les maîtriser.

La réhabilitation postmoderniste du religieux, du spirituel, du mystique va tout à fait dans cette direction ainsi que sa glorification de la tribu, du micro convivial voire de la famille, tandis que le régionalisme et le localisme de l’écologisme offrent la solution politique correspondante. La meilleure gestion pour le capitalisme mondial consiste à empêcher l’union des exploités : régner au sommet grâce aux entreprises transnationales, diviser à la base en maintenant les populations à l’écart les unes des autres, tout en leur accordant un semblant d’autonomie sur des choses, sinon secondaires du moins sans danger pour lui. C’est clairement sur le plan politique un retour à la féodalité médiévale, et sur le plan idéologique, un retour à la conception supra territoriale de l’Église qui savait se passer des frontières de l’État nation, encore dans les limbes : autrement dit, de l’empire ; retour qui bien entendu adopte des formes nouvelles ou qui admet parfaitement la coexistence de formes plus ou moins traditionnelles.

La pensée vacille : l’idéologie postmoderniste ou écologiste retrouve parallèlement les chemins de la gnose : le monde nous est révélé, planère Gaïa ou déesse Terre-mère. L’imposture postmoderniste affirme haut et fort « la fin de l’histoire ».

On notera que l’écologie a  » pris  » le mieux et le plus tôt dans les pays où la révolution sociale a été la moins ample comme les USA ou l’Allemagne (où les Bürgerinitiativen constituèrent un mouvement de masse non négligeable), et le plus tard et de manière périphérique dans ceux qui furent le plus longtemps travaillés par la critique radicale des années 60, comme l’Italie.

FIN DU RÉSUMÉ . DÉCEMBRE 2001.

(1) Par  » contre-rationalité  » j’entends une pensée non pas étrangère à la raison, mais qui se déploie en réaction contre elle, qui l’incrimine dans tout ce que la modernité recèle d’insatisfaisant et de destructeur, jusqu’aux confins de l’irrationalisme. J’interprète là une expression de M. Postone qu’il a utilisée pour appréhender l’antisémistisme nazi . Cf.. son article  » Logique de l’antisémitisme « , in la revue Temps Critiques n°2.

(2) Cf.. Nietzsche qui la considère comme  » une ombre de Dieu « .

(3) pour qui  » La différence essentielle entre la société humaine et la société animale est que les animaux au mieux collectent, tandis que les hommes produisent. Cette différence, unique mais capitale, interdit à elle seule de transposer les lois des sociétés animales dans celles des hommes « .

(4) On ne doit pas sous-estimer le rôle de la religion dans la genèse de l’écologisme contemporain par exemple à travers l’apport de Jacques Ellul et de Bernard Charbonneau dont la citation suivante cultive à la fois le messianisme, le catastrophisme et le scientisme : « Si l’on veut sauver la terre de toute urgence il faut maîtriser le facteur perturbant : l’homme. Tôt ou tard, il faudra qu’un gouvernement scientifique planétaire connaisse et contrôle ses plus secrètes pulsions ». Note d’Hipparchia : je tiens à disposition l’article de Charbonneau intitulé le  » Chaos du système  » in la revue Combat nature n°96, de février 1992 ; à mon sens Pelletier se trompe, Charbonneau évoque ce qui pourrait arriver dans la logique du système qu’il dénonce, et non pas ce qu’il souhaite lui-même.

(5) Pierre Lévy (1992), Donner droit de cité à la nature. Terminal n°57.

(6) Joël de Rosnay (1990) in le Monde diplomatique, Pour une nouvelle culture de la complexité.

(7) Au Japon, les dirigeants se flattent de proposer un modèle aux autres pays dans leur façon de lier le culturel, l’idéologique et le naturel. Un universitaire proche de Nakasone déclarait :  » Alors que la civilisation industrielle menace l’équilibre naturel de la planète, je crois qu’il est essentiel de porter un regard nouveau sur les institutions qui conservent des liens avec la nature, comme par exemple l’institution impériale. »

(8) Le mot est devenu un tel terme repoussoir qu’il sert d’anathème brutal et permet trop souvent d’expédier les débats sans véritable discussion.

(9) in  » Ex-croissance « . Les chemins de l’écologisme. Denoël 1978.

(10) Des dirigeants capitalistes  » éclairés  » tels Jimmy et Teddy Goldsmith financent de nombreuses associations écologistes et antinucléaires et cela indique que le système a compris que ce qui était teinté de vert faisait vendre. L’écobusiness et l’écomarché répondent à deux demandes croissantes : en équipement de protection et en produits jugés propres. Ce sont donc les mêmes qui polluent, dépolluent et financent les écologistes. Comme le disait le patron du groupe Ferruzzi (Montedison) :  » l’écologie est l’avenir de l’économie, et l’agriculture l’outil le plus important de l’écologie.  » La cogestion est déplacée de l’usine à la campagne, proposée à la bonne conscience de la classe moyenne.

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