Le 14/09/04, 1234@boum.org a écrit dans « Critique d’une critique du féminisme qui (elle-même) enferme les genres et hiérarchise les luttes [v0.1] » (en réponse au texte « Critique d’un féminisme qui enferme les genres [v1.0] » de seprpillere@no-log.org, via squats-fr-discussion@squat.net) :

« tu es un con aussi de dire qu’on ne s’intéresse
pas aux personnes transgenres ou transexuelles »

En quoi c’est ‘intéressant’ un-e transgenre ou un-e transexuel-le ? C’est utile pour la « lutte » ? Il faut m’expliquer, je ne comprends pas comment on peut classer l’être humain dans une perspective d’intérêt. Ah si, c’est vrai : en trouvant des « ennemis ». Ca doit être pratique des ennemis, ça balise une vie, ça pose des repères, ça préfabrique un quotidien. Le duel, unidirectionnel.

Mais je ne comprends quand même pas ceci. Pourquoi il est écrit dans « Critique d’une critique du féminisme qui (elle-même) enferme les genres et hiérarchise les luttes [v0.1] » (de 1234@boum.org) que « les personnes transgenres ou transexuelles trouvent souvent plus de place qu’ailleurs avec des féministes » si ensuite il est énoncé que « les personnes avec un GENRE garçon sont des ennemis de classe » ?!… Il y a également un trie au sein de la-dite catégorie transgenre/transexuel-le ? J’ai l’impression d’ailleurs que ‘transgenre’ et ‘transexuel-le’ sont amalgamés. Un-e individu-e transgenre a plutôt tendance à ne jamais se fixer dans un genre, il/elle tient à indéfinir son genre ; alors qu’un-e individu-e transexuel-le tend bien plus à se conformer au genre féminin ou masculin, dans une optique de transition aboutie et socialement effective.

J’avoue : le transgenre que je suis – entre autres – a toujours eu l’impression d’être en effet désigné-e par bon nombre de féministes comme un-e « ennemi-e ». A Paris, a Toulouse, a Rennes, a Grenoble, etc. Dans mon entourage, je ne connais pas beaucoup de transgenres qui aient trouvé-e-s « plus de place qu’ailleurs avec des féministes ». Dans « Critique d’une critique du féminisme qui (elle-même) enferme les genres et hiérarchise les luttes [v0.1] », 1234@boum.org dit mesurer les limites de son action, moi je vis les limites des classifications.

Les classifications, je m’y cogne sans cesse socialement, alors que tout a toujours été malléable dans mon esprit. Si je me définis généralement transgenre, ça n’est que dans une perspective socio-politique ; mais je me contrefous de cette identité comme des autres. Si je les utilise, que je jongle volontairement avec, c’est pour déjouer l’échiquier social ultra binaire et hiérarchisé. Mon genre ne pourra jamais être saisi, désigné, car il est multiple, variable, vivant. Multidirectionnel. Ca fait de moi un-e traître ? Je suis dissident-e de toutes les classes. Je suis l’oblique qui a croisée plein de fois la direction de ceux qui catégorisent. Cette direction est de l’ordre du même non-sens que les-dits queers du tout nouveau squat de Barcelone qui annoncent qu’il s’agit d’un lieu « queer non-mixte ». Quand l’humain a peur de l’humain, il se cloisonne lui-même.
Et je ne sais pas trop ce qui est appellé « ailleurs », ce qui a besoin d’être mis à distance. Mais je sais que ‘ma place’, je me la suis faite seul-e, sans distinguer d’ici et d’ailleurs. Sans stratégie de guerre. J’ai plutôt appris à passer au travers des gueguerres des autres, ces guerres d’adultes qui prétendent être des ‘luttes’. Je n’ai opté pour aucune ‘transition’, j’ai parfois lu des textes et écouté des gens qui m’ont permis-e de poser ici et là des mots sur mon mode de vie, mais je n’adhère à aucune attitude pré-établie. Tout comme je me méfie des minoritaires qui tendent plus à accéder au pouvoir qu’à le déstabiliser [clin d’oeil aux queers]. « Je suis mon propre architecte ». Non sans failles et contradictions ; mais ma pensée n’a pas de courant, elle court bien où elle veut.

« Tu ne peux pas comprendre », « tu ne peux pas comprendre »… c’est dingue, moi j’ai le sentiment de ne jamais avoir autant compris ce qu’il y a d’insensé dans l’humain depuis que j’ai vu combien tout est fait pour maintenir les genres.

Je ne dois en effet vraiment rien comprendre à ce monde. Je vois des gens annoncer ou dénoncer le binaire en prétendant ‘lutter’, le combattre. Une bataille c’est pour un supposé avenir victorieux… Moi je n’ai jamais attendu une quelconque victoire, je ne veux rien abattre, si ce ne sont mes faiblesses qui peuvent se répercuter sur les autres. Je me bats avec moi-même, ici et maintenant.

Ici et maintenant je ne me sens ni spécifiquement fille, ni spécifiquement garçon. Je ne me sens même pas entre les deux car je n’ai jamais ressenti que ces ‘deux’. Je ne comprends pas ‘deux’. Mis a part ‘naissance’ et ‘mort’. Je sollicite au maximum la vie, tout comme j’étends au maximum mes genres, multiples, indéfinissables, modulables, fluides. Le binaire n’a jamais eu de sens en moi, si ce n’est une frontière morose, un ring de combat. Tout comme je ne me suis jamais senti-e de décliner une sexualité labelisée, ma sexualité s’exprime dans l’interaction et non la prévision. Mon but n’est pas de perturber les autres, mais d’être le plus ouvert, lisible possible, sans étalage de concepts et théories.

Quel-le ennemi-e je suis si je ne fais partie de rien, si ce n’est de moi-même ? Comment on attrape un-e individu-e qui alterne tellement du féminin au masculin que les significations de ces deux genres se diluent ? Va-t-on m’assigner le signifiant/signifié du sexe qu’il y a entre mes jambes et ce que détiennent mes chromosomes pour m’ ‘intégrer’ dans une case, pour me ranger dans une classe ? C’est vrai, l’ennemi-e, le traître se montre du doigt. Identifier, juger, boycotter, lyncher ; nier l’humanité de celui qui n’est pas comme soi, qui « ne peut (doit) pas comprendre », ça me rappelle de vieilles choses…

J’aime zigzaguer dans plein de zones pour apprendre tout ce qui y est possible. Le/la traître est-il/elle cel-l-ui qui va voir « ailleurs » ? Alors je reste traître. Mais cet ailleurs de la traîtrise désignée plus ou moins ouvertement par des féministes ne peut pas avoir de sens pour moi non plus, puisqu’il est dans une (il)logique binaire. Il est arrivé dans diverses villes qu’un groupe composé de garçons et de filles souhaitent se réunir pour discuter des genres, mais, qu’au moment de ces réunions, les filles décident de se diviser définitivement des garçons afin de pouvoir discuter entre elles. Est-ce que ça inclut d’office pour ces filles que ‘le reste’ du groupe sont des garçons ? Que se passe-t-il si une des personnes restantes ne se désigne ni fille ni garçon, ne se sent d’aller ni dans le groupe des filles, ni dans celui des garçons ? exclusion par défaut, par identité instable (par « schizophrénie », comme m’a qualifié-e un jour une féministe à qui je répondais aux questions à propos de mes genres fluctuant) ? Je peux comprendre le besoin et la nécessite de non-mixité, mais je ne comprends pas quelle altérité apporte une discussion mono-genrée annoncée sur le thème des genres ?

L’absurdité humaine poussera bientôt des trans à établir des rassemblements ‘non-mixtes trans’… si ce n’est déjà en train de se faire. La fierté exclut l’autre en voulant exclure la peur. Je digère mal les amalgames. Je vomis la fierté.

Je vais peut-être m’entendre dire que je suis ‘hors de la réalité’. Quelle réalité ? chaque individu-e vit sa réalité, de son point de vue unique. Le danger est lorsqu’il s’enferme dans celle-ci, lorsqu’il n’écoute et ne questionne pas les autres (réalités). Je ne réfute pas l’existence d’individu-e-s qui se reconnaissent des genres masculins ou féminins – en cohésion avec leur sexe biologique, ou pas – , et qui les vivent pleinement. Tout comme je ne renie pas la réalité gerbante du sexisme exercé les un-e-s envers les autres (que des transexuel-le-s reproduisent également parfois).

Je tiens à témoigner en tant qu’erreur du système construit sur deux genres – voulant être – bien distincts et permettant de maintenir des inclusions / exclusions. Et j’écris ici entre autre parce que je suis loin d’être le/la seul-e a ne pas me sentir equilibré-e dans un combat généralisant ‘filles victimes contre garçons violents’. Nous sommes plusieurs à buger, a Grenoble comme au Groenland. Plus ou moins silencieusement, plus ou moins à s’autocensurer, de peur d’amalgames entre nos volontés de déjouer le sexisme et nos malaises avec le féminisme tel qu’il se montre et agit.

J’aime bien mater les nombrils des autres, vive la megalozizanie. J’y apprends souvent bien plus que d’un groupe qui tend plus à être efficace qu’humain. Je considère parfois le groupe plus égocentrique et étiqueté que des individu-e-s nomades.

Et moi je m’ « intéresse » aux traîtres, j’ai tendance à penser qu’un dysfonctionnement permet, non pas une destruction, mais une évolution. Le malaise que je ressens, ainsi que d’autres personnes, vis-à-vis de ce que nous ressentons du féminisme ne me donne pas envie d’accumuler de la violence et des blessures. Et ma réalité crèverait si elle opterait pour l’autarcie ou l’exil.

Genre ça vous dit qu’on s’EC(H)Oute ?

Zig

09><2004